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L’EXPOSITION PERMANENTE DE LA MAISON CHAPAIS La reconstitution matérielle

NIV THÈME PIÈCE PERSONNAGE PÉRIODE 1 er Vie

I- 3.3 – L’espace et le parcours

D’après Levy, les pièces d’une maison historique devraient être passées à la loupe en se posant quatre questions : Quels thèmes sont associés à ce lieu ? Quelles personnes occupent cet espace ? Quelles activités sont fortement associées à cette zone ? Quelles histoires (anecdotes ou faits) importantes sont rattachées à cet endroit362 ? Par la suite, il faut analyser la culture matérielle qui illustrerait les éléments de réponses à ces questions.

La visite d’une maison-musée ne peut commencer n’importe où. La maison en elle-même induit une logique qui n’est pas linéaire. Il y a des culs-de-sac ou des recoins qu’on ne peut camoufler, alors imposer un parcours linéaire devient difficile, c’est pourtant ce qui s’est produit à la Maison Chapais.

362 LEVY, Barbara Abramoff, « Ch.2 – Interpreting Planning: Why and How », dans Jessica Foy DONNELLY,

Lors de sa première visite, l’expographe a remarqué que le parcours respectait l’aspect physique de la Maison. Elle a arpenté tout le premier niveau, tout le deuxième, puis exploré les dépenses. On avait prévu qu’elle visiterait les jardins, puis qu’elle reviendrait par la cuisine, pour monter par l’escalier des domestiques, qu’elle traverserait tout le troisième et redescendrait ensuite par les escaliers avant. La fatigue muséale se fait grandement sentir lorsque les visiteurs entrent à nouveau dans la maison par le troisième, et ce, même si monter à l’étage par l’escalier caché crée une certaine excitation. La conservation préventive est également préoccupante lors de l’aller-retour de l’extérieur vers l’intérieur de la maison. Pour l’expographe, il était clair que la Maison devait être visitée dans son entièreté avant de se rendre à l’extérieur et qu’il aurait fallu établir un meilleur équilibre dans la répartition des espaces occupés par les guides.

Le parcours proposait la visite des pièces publiques : la salle à manger, le salon, suivis de la chambre des maîtres. Celle-ci symbolisait la passation de la maison à la prochaine génération. Il était ensuite logique de se rendre au troisième niveau pour parler de Thomas, de ses sœurs et de ses petits-enfants (les enfants d’Amélie). Le transfert des guides se faisait dans la dernière chambre du troisième étage. Le nouveau guide (la guide domestique) amènerait le groupe au grenier et redescendrait par l’escalier domestique, pour arriver dans la première cuisine et poursuivre dans les dépenses et le jardin363.

Ce parcours a été rejeté, sous prétexte que la descente des escaliers domestiques était dangereuse. Les plus grandes personnes auraient pu se cogner la tête. Pourtant, les escaliers, bien qu’ils soient étroits, sont standards et solides. Un ajout d’éclairage pouvait remédier à la situation, avec un avertissement en évidence dans la zone où il est possible de se heurter la tête, mais la direction a refusé. L’expographe a donc conclu que si l’escalier était dangereux à descendre, il l’était tout autant dans le sens contraire, car les visiteurs montaient réellement dans la noirceur. Cette décision a obligé les visiteurs à revenir sur leurs pas et à reprendre l’escalier de devant364.

363 Voir les schémas des différents parcours à l’annexe E. 364 Idem.

La séquence a donc été remaniée : hall des dignitaires – salon – chambre des maîtres – retour sur ses pas pour se rendre au troisième étage – visite des trois chambres – du grenier – retour encore sur ses pas par les escaliers avant – exploration de la salle à manger. Si le visiteur avait parcouru la vie bourgeoise, il débuterait l’exploration de la vie quotidienne sous la thématique de l’alimentation dans la salle à manger. Le visiteur commence donc par la table des bourgeois, puis celle des domestiques. Ensuite, il observe la transformation de l’aliment dans la cuisine, sa conservation dans les dépenses et le fournil, pour terminer dans les jardins et les champs. Par la suite, il revient par les galeries extérieures et emprunte les escaliers extérieurs recourbés qui le ramènent à son point de départ.

Pour des intérêts économiques, le responsable des guides a soulevé la difficulté de ramener les visiteurs à la boutique pour signer le livre d’or. La fin a été modifiée par l’abandon du grand escalier extérieur, le visiteur entrant plutôt par la porte du hall pour redescendre par l’escalier intérieur avant. Cette porte était déjà utilisée dans l’ancien parcours, et les tapis ont été achetés à des commerces de grande surface. Ils servaient à protéger le plancher de l’achalandage. Ils n’ont donc aucune valeur patrimoniale.

À l’été 2013, la direction a rejeté le parcours sans aucune réunion pour argumenter. D’après elle, le visiteur passait de 1860 à 1915 et revenait en 1860, ce qui lui semblait illogique. L’expographe a soutenu le bien-fondé du parcours thématique, mais la direction ne trouvait pas que le parcours se faisait bien. Sachant aujourd’hui que le chef des guides n’a jamais voulu adhérer au nouveau scénario, il est possible de penser que le scénario n’a pas été défendu correctement, et encore moins testé réellement. Cela soulève une question : Une maison historique doit-elle toujours être parcourue chronologiquement lorsque les étages représentent des époques différentes ? L’expographe avait fait des choix audacieux pour des raisons expographiques judicieuses, a-t-elle été trop académique à cause de son manque d’expérience ? Toujours estil qu’aujourd’hui, c’est toujours le premier parcours qu’on utilise dans un aménagement renouvelé par ailleurs.

I-3.4 – L’objet

La maison historique a la particularité d’être le contenant et le contenu à la fois. Elle doit exploiter plus que toute autre institution muséale la relation étroite entre l’édifice, les collections et les personnages historiques qui y sont rattachés. Comme le musée, la maison historique transforme l’objet en un document culturel. Cette métamorphose se perçoit dans le discours : les guides parlent davantage de l’aspect historique de l’objet que de sa fonction réelle, ce que nous percevions déjà dans la première visite. De plus, la présentation muséale est plus inclusive, surtout lorsqu’on enlève les clôtures entre la zone publique et la zone de conservation dans la maison. Les objets font tous partie d’une reconstitution. Un à un, ils sont perdus dans le décor, c’est pourquoi les traiter un par un constitue un non-sens. En effet, la maison-musée est confrontée à la doube tâche d’avoir à préserver et à communiquer : « Le musée se bat entre la nécessité de préserver ces restes matériels et celle de dynamiser l’esprit, l’idéologie, le savoir et les actes de ces personnages365. » La relation

entre les collections, l’édifice et les personnages historiques ne met pas simplement en valeur la collection exposée, elle va au-delà. La reconstitution rend intelligibles les relations entre elles.

La Maison Chapais a la chance d’avoir à sa disposition plusieurs meubles d’origine liés à son passé, mais le mobilier seul ne peut pas suffire à rendre l’impression d’origine de la maison habitée. Il fallait lui donner une personnalité, et il y avait des vides à combler. Dans les faits, la Maison Chapais ne semble pas avoir de politique d’acquisition. Elle intègre aisément les articles fabriqués par le Cercle des fermières de Kamouraska et tous les dons consentis entre 1830 et 1960. La plupart des meubles sont peu documentés. Les recherches de l’ethnohistorienne, enrichies par la lecture de cinq journaux intimes de la vie quotidienne de Jean-Charles (fils), viendront néanmoins élucider certains mystères entourant la maison et la collection, comme l’appartenance du piano du salon.

Le véritable problème était surtout que le renouvellement du prêt à long terme n’était pas tout à fait accordé. Il fallait donc démonter la nécessité de l’utilisation étendue du mobilier. De plus, l’emprunt de nouveaux objets au Musée de la civilisation s’avérait ardu, voir

impensable avec le délai de cinq mois de l’ouverture de l’exposition. C’est pour cette raison que les objets de la vie quotidienne (assiettes, bols, pots, verres, ustensiles, etc.) ont été empruntés au Musée François-Pilote366.

La nécessité de garder le plus de meubles possibles a entraîné des incohérences dans le décor, comme l’énorme commode avec miroir qui s’est retrouvée dans une chambre d’enfant. Il y a fort à parier que ce meuble allait plutôt dans la chambre disparue de la salle domestique, au deuxième niveau. Plusieurs objets ont été placés dans un endroit simplement pour combler un vide ; une maison bourgeoise se devait d’avoir des étagères et des bibliothèques bien remplies. Le manque d’un plan d’aménagement se ressent, car il aurait orienté les nouvelles acquisitions de manière à bonifier le décor. Somme toute, lorsque l’aménagement de la maison se termine, au printemps 2013, la vision de l’ensemble reste malgré tout globalement cohérente.