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Section II.2 – Revue de la littérature du capital investissement dans les pays émergents

III. La problématique d’un capital investissement adapté aux pays émergents

2. Recommandations pour un capital investissement adapté aux pays émergents

émergents

Ce qui sépare pays émergents et développés est la longueur du chemin des réformes nécessaires à l’éclosion et au déploiement d’une industrie vivace du capital investissement. C’est l’argument que défendent Roger Leeds et Julie Sunderland dans leur article de recherche « Private equity in emerging markets157 ». Les auteurs y

considèrent que l'ensemble de la chaîne de financement du capital investissement doit repenser son approche : le fonds de capital investissement, le législateur des pays émergents et les organismes multilatéraux. Nous reprenons ici leurs principales recommandations.

Le premier agent concerné est le fonds de capital investissement : selon les auteurs, il doit être présent localement, rompant avec la pratique d'acteurs basés aux États-Unis ou en Europe et multipliant les déplacements sur le terrain : l'absence de proximité continue avec les entreprises et les écosystèmes financiers locaux représente, selon les auteurs, un dangereux écueil. Ils estiment que les fonds d'investissement doivent

intégrer des équipes d'investisseurs locaux, engagées dans les communautés et familières des usages du monde des affaires. Ces équipes doivent s'impliquer dans le processus de suivi et de création de valeur du portefeuille, étant donnés les besoins élevés en gouvernance et les difficultés d'implémentation d'une stratégie de sortie. Les auteurs considèrent aussi que les équipes de gestion issues de banques d'affaires ne sont pas les mieux adaptées aux enjeux, trop focalisées qu’elles sont sur la réalisation de l'investissement au détriment du suivi à valeur ajoutée des portefeuilles.

Le deuxième agent concerné est le législateur local : ce dernier a, selon les auteurs, un rôle décisif à jouer dans la diffusion efficace et pénétrante du métier : il doit valoriser le rôle de l’investissement comme ferment du secteur privé, en faisant évoluer la réglementation locale. Parmi les grandes thématiques relevées par Roger Leeds et Julie Sunderland figurent la protection du droit des actionnaires, la promotion des standards et des bonnes pratiques comptables, la diffusion des audits financiers indépendants, la responsabilité des conseils d'administration et la taxation allégée des plus-values. Le troisième agent enfin est le souscripteur public (organisme bi- ou multilatéral) : toujours selon les auteurs de l'étude, il doit assumer pleinement son rôle de catalyseur économique, par la mutualisation du risque auprès des souscripteurs privés, l'accompagnement des gouvernements dans les évolutions réglementaires et le recours aux partenariats public-privé. L'étude considère en effet qu’il revient aux organismes multilatéraux de former les gestionnaires de fonds locaux, pour que les meilleures pratiques percolent à travers les portefeuilles, jusqu'à atteindre le cœur du tissu industriel du pays.

Florence Eid recommande quant à elle la mise en place d'infrastructures appropriées au développement de l'entrepreneuriat et la création de programmes de formation à l'entrepreneuriat (Eid, 2010). Elle estime que le financement n'est pas la difficulté majeure des pays émergents : l'enjeu serait plutôt l'existence et l’efficience des canaux

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LEEDS, R. SUNDERLAND, J. Private equity in emerging markets. Journal of applied corporate finance. Printemps 2003, 15(4), 8-16

de transmission permettant de flécher les fonds disponibles jusqu’aux projets à fort potentiel.

Dans l’article « Private equity in developing nations » (Banerjee, 2008), plusieurs réformes économiques sont proposées afin d’augmenter la pénétration du capital investissement dans les pays émergents : la baisse de l’impôt sur les plus-values ; l'allègement des restrictions sur les investissements directs étrangers ; et la protection des droits des actionnaires. L'existence d'une place financière locale liquide ressort aussi comme un enjeu essentiel selon l'auteur : elle permettrait aux fonds d'investissement de déboucler leurs positions et d’animer les bourses de valeurs, à proximité des entreprises qui y sont cotées. Or, dans de nombreux pays émergents où les marchés financiers offrent de faibles volumes, les cotations sont dépaysées, ce qui représente un coût d'opportunité pour les économies locales.

Dans l'article « The Role of Corruption, Culture, and Law in Investment Fund

Manager Fees158 », S. Johan et D. Najar estiment que l'environnement légal et réglementaire influence les paramètres des fonds de capital investissement, notamment pour ce qui est de la rémunération des équipes de gestion : ainsi, dans un environnement perçu comme protecteur, les honoraires fixes sont abaissés au profit des honoraires liés à la performance. Cela renforce l'alignement d'intérêt entre souscripteurs et gestionnaires, conformément à la théorie des mandats de Michael Jensen (voir supra159). Cette influence du contexte sur le fonctionnement des fonds d'investissement est également relevée dans l'article de recherche « An Explanatory

Study of Private Equity and Venture Capital in an Emerging Economy: Evidence from Egypt » (Hassan, 2010) : les relations interpersonnelles seraient d'autant plus fortes

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JOHAN, S. NAJAR, D. The Role of Corruption, Culture, and Law in Investment Fund Manager Fees.

Journal of Business Ethics, 2 Septembre 2010, N°95, 147-172

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que les institutions légales sont jugées inefficientes, dans une dynamique de compensation entre micro et macroéconomie.

Dans l'article de recherche « Emerging Markets: Net Importers or Exporters of Private

Equity Capital?160 », Peter Cornelius met en exergue le rôle que peuvent jouer les fonds souverains, qui représentaient 2 000 milliards de dollars US en 2007 selon une étude de Morgan Stanley citée par l'auteur. L'auteur y rappelle que, sur le plan technique, les fonds souverains ont été créés par les gouvernements de nombreux pays émergents pour investir leurs réserves de change avec plus de flexibilité qu'au travers de banques centrales. Et de citer l’investissement de 3 milliards de dollars US par le gouvernement chinois dans le fonds d'investissement Blackstone en 2007, qui donne la mesure des ressources disponibles, capables, selon l'auteur, de soutenir une industrie locale du capital investissement.

Abeer Hassan (Hassan, 2010) relève deux particularités du capital investissement en Égypte, qui pourraient être suivies comme autant de recommandations pour les gestionnaires de fonds des pays émergents : une forte concentration géographique et une approche proactive suivie par les équipes de gestion. La première particularité du capital investissement en Egypte est la concentration géographique, qui concerne les principales villes du pays (le Caire, Alexandrie, et Port-Saïd). Les raisons de ce phénomène sont le besoin d'un relationnel de proximité entre équipes de gestion et entreprises locales, permettant une connaissance mutuelle préalable à tout projet d’investissement. L'optimisation des coûts de recherche de cibles et de suivi de portefeuille passent aussi par la réduction des frais logistiques, et donc par une proximité géographique. La seconde particularité du métier en Egypte est une posture proactive des sociétés de gestion pour identifier les opportunités d'investissement. Ainsi, l’auteur note que les entreprises candidates au financement sont généralement

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CORNELIUS, Peter. Emerging Markets: Net Importers or Exporters of Private Equity Capital? The Journal

passives vis-à-vis du capital investissement, à cause du peu informations disponibles sur les investisseurs et à cause de la mauvaise compréhension du métier par le grand public. Enfin, l’auteur relève l'absence d'une association nationale du capital investissement égyptienne, situation révolue depuis la publication de l’article en 2010, puisque cette association professionnelle a été constituée en 2011, notamment à l'initiative du fonds Beltone MidCap Egypt, objet de notre cas clinique longitudinal.

La présente revue de la littérature sur le capital investissement dans les pays émergents nous a permis de circonscrire les principaux enjeux de la recherche. Mais la jeunesse de la recherche en la matière, directement liée à celle de la profession elle-même, réduit le patrimoine des connaissances accumulées, limité en comparaison d'autres champs de la finance ou de l'entrepreneuriat. C'est pourquoi, nous aborderons dans la suite de nos travaux une approche fondée sur le retour d'expérience de terrain : suivant une approche abductive, nous analyserons un cas clinique réel grâce à la grille de lecture théorique de Timmons, que nous considérons pertinente. La perspective de ces travaux étant d’obtenir des enseignements de portée plus générale, qui nous éclaireront sur la construction d'un modèle de capital investissement adapté aux pays émergents. Cette approche méthodologique est décrite dans la section II.3 qui suit.