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Section II.2 – Revue de la littérature du capital investissement dans les pays émergents

III. La problématique d’un capital investissement adapté aux pays émergents

1. Difficultés d’introduction du capital investissement dans les pays émergents

émergents

Comme nous l’avons évoqué supra, Joao Neiva de Figueiredo identifie deux différences principales entre pays développés et émergents du point de vue de l'investisseur en capital dans son article « Unique characteristics of Cross-Boarder

Emerging Market Private Equity: implications for investors and managers148 ». La première différence tient à la volatilité des cycles macro-économiques : les pays émergents connaissent des changements de tendance plus fréquents et plus abrupts, combinés à de fortes variations de taux de change. Cette volatilité se concrétise dans la prime de risque qui augmente le coût du capital exigé par les bailleurs de fonds, ce que l'auteur considère comme le principal facteur inhibant de diffusion des opérations à effet de levier (LBO). Elle dégrade également les conditions d'identification des opportunités d’investissements sur la base de leur business plan, dont la solidité sera largement éprouvée par le contexte. La seconde différence entre pays développés et émergents réside, selon l’auteur, dans la faible gouvernance des institutions. Ce que Joao Neiva de Figueiredo qualifie de « faible maturité institutionnelle dans les pays

émergents » entraîne une protection limitée des investisseurs et des incertitudes quant

à la force exécutoire des contrats. La gouvernance des entreprises participe de cet environnement inefficient, pour des raisons culturelles : une tradition d'autonomie et de secret au sein des entreprises familiales, le manque d'écoute à l'endroit des investisseurs minoritaires, voire le refus d'ouvrir son capital en dehors d’un cercle resserré. Il en résulte une communication relativement opaque entre dirigeants et

148

FIGUEIREDO (DE), Joao Neiva. Unique characteristics of Cross-Boarder Emerging Market Private Equity: implications for investors and managers. Journal of International Finance and Economics, 2008, Volume 8, Numéro 3, 42-55

actionnaires, fondée sur des états financiers dont l'image fidèle peut s’avérer discutable.

Cette inefficience creuse l’asymétrie d’information entre le promoteur du projet et l’investisseur (voir Partie I). Le capital investissement peut être considéré comme une réponse à cette asymétrie d’information, en ce qu’il cherche à la réduire par le recours à des outils multiples : due diligences préalables à l’investissement, mise en place d’un alignement d’intérêt et d’un reporting au cours de la période de détention.

Le capital investissement, encouragé par le succès qu'il a rencontré dans les pays développés, cherche sa voie dans les pays émergents. Malgré une diffusion dynamique, son acclimatation aux environnements émergents n'est pas chose aisée. C'est ce que rappellent Roger Leeds et Julie Sunderland dans un article de recherche fondateur publié en 2003 sous le titre « Private equity in emerging markets149 ». Les

auteurs y analysent les raisons des faibles performances du capital investissement dans les pays émergents des années 90, alors que le métier était balbutiant. Selon eux, cette contre-performance tiendrait à une application trop rapide des méthodes, et à une mise en pratique du capital investissement dans les pays émergents ne prenant pas en compte les spécificités locales.

L’héritage du capital investissement issu des pays développés se diffuse de façons multiples dans les pays émergents, facilitant la pénétration et l'ancrage de pratiques ensuite adaptées localement : c’est ce que pense déceler Abeer Hassan dans son article « An Explanatory Study of Private Equity and Venture Capital in an Emerging

Economy: Evidence from Egypt150 », publié en 2010. Pour l'auteur, l’introduction du capital investissement en Egypte aurait été facilitée par la grande proportion de praticiens égyptiens formés aux Etats-Unis, ou ayant eu une expérience professionnelle initiale dans des pays développés.

149

LEEDS, R. SUNDERLAND, J. Private equity in emerging markets. Journal of applied corporate finance. Printemps 2003, 15(4), 8-16

150

HASSAN, Abeer. An Explanatory Study of Private Equity and Venture Capital in an Emerging Economy: Evidence from Egypt. The Journal of Private Equity. Printemps 2010, 13(2), 55-66

La maturité de la gouvernance des pays émergents peut au contraire altérer la diffusion locale du capital investissement. C’est le cas du Brésil, étudié par Leonardo Lima de Ribeiro, Antonio Gledson de Carvalho et Claudio Vilar Furtado dans leur article de recherche « Private Equity and Venture Capital in an emerging economy: evidence

from Brazil151 ». Les auteurs développent que le capital investissement au Brésil est

dérivé du modèle américain, tout en étant caractérisé par certaines particularités locales : les investissements se font dans des sociétés d’âge et d’industrie hétérogènes, la concentration géographique est forte et les opérations de LBO inexistantes. Une autre particularité brésilienne est le recours généralisé aux procédures d’arbitrage, pour trancher les différends qui peuvent opposer les équipes de gestion aux promoteurs.

Parfois, les spécificités spatiales ouvrent des perspectives inédites au métier, en comparaison des pays développés. C'est le cas du Moyen-Orient, analysé dans l’article de recherche « The Anatomy of Private Equity investments in the MENA region152 »

par Jean Abillama, Arya Bolurfrushan et Zaur Mammadov. Les auteurs, supervisés par le Professeur Josh Lerner, y estiment que les opportunités de capital investissement au Moyen-Orient continueront de se développer pour trois raisons. La première tient aux besoins d'accompagnement des transmissions intergénérationnelles d'entreprises : les auteurs estiment que 75% des sociétés de la région sont détenues et gérées par des familles ; et seules 30% des entreprises familiales survivent à la deuxième génération, ce taux passant à 5% à la troisième génération. La deuxième raison est le niveau élevé de fonds régionaux disponibles à l'investissement dans le non-coté, évalué à plus de 35 milliards de dollars US. Enfin, la troisième raison est une montée en puissance des fonds souverains, qui pourraient compenser un futur désengagement de certains investisseurs internationaux, le cas échéant.

151

LIMA RIBEIRO (DE), Leonardo. GLEDSON DE CARVALHO, Antonio. VILAR FURTADO, Claudio. Private Equity and Venture Capital in an emerging economy: evidence from Brazil. FGV Business School et

Université de Sao Paulo, 2006, 14 p.

152

ABILLAMA, Jean. BOLURFRUSHAN Arya. MAMMADOV Zaur. The Anatomy of Private Equity

Dans un article intitulé « International Allocation Determinants of Institutional

Investments in Venture Capital and Private Equity Limited Partnerships153 »

Alexander Peter Groh, Heinrich Liechtenstein et Miguel Canela présentent les conclusions d'une enquête menée auprès d’investisseurs institutionnels actifs en capital investissement : il ressort que la protection des droits de propriété et la gouvernance d'entreprise sont des critères décisifs pour le choix des pays d’investissement. Parmi les critères les plus fréquemment cités figurent le professionnalisme des équipes de gestion et des entrepreneurs locaux, les prévisions de flux d'affaires (deal flow) et l'absence de corruption. Si ces résultats sont intuitivement confortés par la pratique, un autre enseignement de l’étude peut surprendre : les auteurs analysent en effet que « l'argent public n’attire pas l'argent privé » ce qui signifie que les programmes gouvernementaux de financement n'auraient pas d'effet sur la décision d'investir des souscripteurs privés. A l’occasion de l’étude du cas clinique Beltone MidCap Egypt (Partie III), nous apporterons un témoignage discordant sur ce dernier point de l’étude de Peter Groh : en effet, la décision des institutions publiques (BEI, IFC-World Bank) d’investir dans le fonds égyptien, lorsqu'elle a été rendue publique, a convaincu certains investisseurs privés de rejoindre le projet, malgré leurs réticences d’origine.

Les trois auteurs P. Groh, H. Liechtenstein et M. Canela ont aussi mené en 2008 une recherche spécifique à l’Europe de l’Est, sur la perception du capital investissement par les souscripteurs : « Limited partners’ perceptions of the Central Eastern European Venture Capital and Private Equity Market154 ». Les principaux critères de choix des marchés sous-jacents cités par l'enquête ressortent comme étant : la protection des droits de propriété, la qualité des équipes de gestion et le degré de développement des places boursières locales.

153

GROH, Alexander Peter. LIECHTENSTEIN, Heinrich. CANELA, Miguel A. International Allocation

Determinants of Institutional Investments in Venture Capital and Private Equity Limited Partnerships. IESE

Business School – Université de Navarra, Espagne, Working Paper 726. 2009, 41p.

154

GROH, Alexander Peter. LIECHTENSTEIN, Heinrich. CANELA, Miguel A. Limited partners’ perceptions

of the Central Eastern European Venture Capital and Private Equity Market. IESE Business School – Université

Dans son article de recherche « Private Equity Finance as a Growth Engine : What It

Means for Emerging Markets155 » publié en 2006, Florence Eid analyse les résultats d’une enquête réalisée auprès de 10 fonds de capital investissement actifs en région MENA. Elle y pointe certaines des difficultés récurrentes pour l’introduction du capital investissement dans les pays émergents. À la question : « Quels sont les

principaux obstacles que rencontre le capital investissement dans la région MENA ? », les réponses les plus fréquentes donnent l'absence de marché pour les

sorties et une réglementation inadaptée.

Les conséquences de la jeunesse du capital investissement dans les pays émergents sont illustrées par la recherche « An Explanatory Study of Private Equity and Venture

Capital in an Emerging Economy: Evidence from Egypt » (Hassan, 2010). On y

apprend qu’en 2005, seuls 14 fonds d'investissement étaient enregistrés en Egypte auprès de la Capital Market Authority. L’auteur rappelle que, lorsque les pays émergents ont commencé à déployer une industrie du capital investissement dans la perspective d'améliorer leur croissance économique, ils ont dû faire face à de nombreux défis tels que la rareté d'entrepreneurs qualifiés et une réglementation inadaptée. En Égypte, une des difficultés révélées par l'enquête est l’incapacité des investisseurs à convaincre l’entreprise de l'alignement de leurs intérêts actionnariaux.

Enfin, à l'occasion de la conférence « The Private Equity Forum in Paris » organisée les 3 et 4 mars 2011 par Sciences-Po et HEC, Peter Groh a présenté sa recherche en cours « The first move disadvantage: the case of emerging market private equity156 ». Il y livre des conclusions d’étape négatives sur la classe d'actif : considérant l’inefficience opérationnelle et informationnelle des pays émergents, Peter Groh conclut qu'il serait préférable pour les souscripteurs de différer leurs investissements dans les pays émergents jusqu'à ce que ces derniers atteignent une maturité suffisante. Nous partageons l'analyse de Peter Groh sur les particularités des pays émergents, et

155

EID, F. Private Equity Finance as a Growth Engine: What It Means for Emerging Markets. Business

Economics, Juillet 2006, 41(3), 7-22

156

GROH P, PHALIPPOU L. The first move disadvantage: the case of emerging market private equity. In : The

les difficultés spécifiques qu'elles impliquent pour le déploiement local du capital investissement. En revanche, nous ne souscrivons pas à ses conclusions : nous pensons qu'un modèle de capital investissement particulier, inspiré du capital risque actif, pourrait permettre un déploiement professionnel et efficace du métier, particulièrement dans des environnements inefficients et turbulents.

À présent que les difficultés d'introduction du capital investissement dans les pays émergents ont été étudiées, nous synthétisons dans le chapitre suivant les recommandations en la matière, telles que formulées par la littérature.