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PARTIE II : CADRE THÉORIQUE ET PROBLÉMATISATION

CHAPITRE 4 : LA QUESTION DE L’EFFICACITÉ DE L’ENSEIGNEMENT

1. Des recherches divergentes sur la question de l’efficacité de l’enseignement

Nous débutons une perspective historique dans les recherches de différents auteurs sur l’efficacité des pratiques enseignantes.

Pour Bru (2002), les pratiques enseignantes sont l’objet d’une longue tradition de recherche, surtout dans les travaux américains intitulés les « handbooks of research on teaching ». Ces travaux offrent des synthèses très stimulantes. Cependant, les travaux de Van Zanten (2001) constituent de remarquables recherches mais restent insuffisants dans le domaine.

Piot (2008)90 distingue trois périodes de recherches sur l’efficacité des pratiques

enseignantes.

L’auteur mentionne que la première période débute à fin de la Seconde Guerre mondiale et conduit jusqu’à la fin des années 1970. Bru (2002), cité par Piot (2014) précise qu’il y avait « plus de dix mille travaux de recherche » sur l’enseignement et les pratiques des enseignants en classe. « À côté de travaux mono-disciplinaires et surtout prescriptifs, ont émergé des recherches qui trouvent un modèle dans la psychologie expérimentale, dans ce qu’on désignait par psychopédagogie » (p. 31).

On s’efforçait de caractériser avec précision une variable qu’on modifiait expérimentalement entre une classe témoin et une classe test, toutes choses estimées stables par ailleurs, avant de mesurer les effets induits et de comparer les différences obtenues dans les deux classes, avec l’aide de traitements statistiques (Mialaret, 1991)91.

90 Piot, T. (2008). « La construction des compétences pour enseigner », Mc Gill Journal of Éducation (Montréal,

Cependant, les connaissances produites par ces travaux sont apparues relativement peu solides, sans doute parce que ceux-ci font l’hypothèse, implicite le plus souvent, d’une causalité linéaire, qui apparaît in fine faiblement explicative des phénomènes d’enseignement.

Pour Piot (2014), la seconde période est celle des recherches processus/produit qui s’écartent du modèle expérimentaliste initial, mais qui demeurent fortement ancrées dans une épistémologie néo-béhavioriste (Durand, 1996). Ces recherches qui ont débuté dans les années 1950-1960 aux Etats-Unis et dans les années 1965-1980 en France, visent à mettre en relation des variables processus d’enseignement avec les produits, c’est-à-dire les résultats observables de l’action de l’enseignant, résultats mesurés de manière systématique et standardisée. Elles se sont surtout souciées d’améliorer l’efficacité du système éducatif au niveau de sa cellule d’organisation historique : la classe (Tardif et Lessard, 1999) et elles ont souligné l’effet-maître comme un des résultats, signalé par Bru et ses collègues (1996), qui est corrélé à d’autres variables : effet-classe, effet-établissement.

Postic (1977)92 décrit les cinq points qui structurent la démarche scientifique de ces

recherches basées sur l’observation des comportements de l’enseignant et des élèves. Il convient de : 1) sélectionner des groupes d’élèves ayant des résultats contrastés dans un domaine de

performance ;

2) faire l’hypothèse de l’influence d’une variable du processus pédagogique de transformation appelé processus d’enseignement-apprentissage : par exemple la clarté de la consigne, les modalités de régulation interactive, un dispositif pédagogique formalisé... ;

3) mener des observations instrumentées rigoureuses qui décrivent et relèvent les informations sélectionnées, c’est-à-dire qui permettent de coder en les quantifiant les différentes positions ou valeurs de la variable retenue ;

4) réaliser des calculs statistiques de corrélation (analyses multi-variées, modèles de régression…) entre les différentes modalités du processus étudié et les performances obtenues ;

5) caractériser à partir de l’intensité de la corrélation calculée un lien causal entre processus et produit.

Dans les années 1970-1990, on peut aussi citer des courants plus ponctuels qui s’appuient sur l’analyse de matériaux issus de l’observation des pratiques enseignantes : le courant des processus médiateurs, un des courants les plus ponctuels identifié à partir des analyses de l’observation des pratiques enseignantes, a étudié l’enseignant en tant que stimulus des comportements de l’élève ; les travaux écologiques ont insisté sur l’importance de la situation en classe. Cependant, les résultats de ces recherches conduisaient le plus souvent à la préconisation d’une méthode pédagogique ou didactique, s’inspirant du processus observable des pratiques enseignantes.

Piot (2008) mentionne un changement important. Ce changement s’opère dans les années 1985-1995 avec les travaux d’Altet (1994)93 et Bru (1994) qui indiquent que les pratiques

enseignantes ne se réduisent pas à une question de méthode. Ces travaux, qui croisent des variables pédagogiques et didactiques issues de « micro-observations » minutieuses du processus d’enseignement-apprentissage, mettent en évidence l’intérêt des approches multi variées et ont abouti à un modèle des processus interactifs et contextualisés des pratiques enseignantes (Altet, Bressoux, Bru et Leconte-Lambert, 1994)94.

Pour Piot (2014), la troisième période débute dans les années 1990. Les recherches en éducation notamment en Europe, se sont écartées du modèle béhavioriste de la seconde période. Cela signifie que ces recherches se sont orientées « vers des cadres pluri et interdisciplinaires, soucieux de ne pas découper la complexité du réel des situations d’enseignement-apprentissage, de les inscrire dans une perspective dynamique, interactionniste et écologique » (p. 32).

Dans les années 1990, la naissance du réseau OPEN (Observation des Pratiques Enseignantes) a permis de comprendre les différentes approches interdisciplinaires dans les pratiques enseignantes : « approche plurielle (CREN, 1999), approche co-disciplinaire (CREF, 1997), approche contextualisée (CREFI, 1998) » (Bru, Altet et Blanchard-Laville, 2004)95.

« Les recherches de ce courant qui commence à appréhender la complexité de la conjugaison des différentes logiques à l’œuvre dans les pratiques enseignantes doivent être continuées, y compris dans les prolongements qu’elles peuvent trouver au niveau de la formation des enseignants » (p. 32).

Piot (2014) mentionne que vers les années 1990, en Europe, le paradigme de la complexité dans les sciences humaines et les sciences de l’éducation s’enrichit des progrès des sciences cognitives qui ne se réduisent pas à l’apport des neurosciences : les travaux anglo-saxons de Kennedy (1983)96, Shulman (1986)97, Clark et Peterson (1986)98 sont novateurs car ils invitent à

dépasser la dimension comportementale du travail des enseignants en s’intéressant à la pensée des enseignants (Teacher’s thinking) ou aux connaissances construites dans l’action (Working knowledge). L’auteur précise qu’en France, la naissance de la didactique professionnelle (Pastré, Mayen et Vergnaud, 2006)99 prend en compte ce courant cognitiviste, mais de manière mesurée : 93 Altet, M. (1994). Comment interagissent enseignant et élèves en classe, note de synthèse, Revue Française de

Pédagogie, Paris, INRP, n°107

94 Altet, M., Bressoux, P., Bru, M., et Leconte-Lambert, C. (1994). « Étude exploratoire des pratiques

d’enseignement en CE2 », les dossiers de la DEP, MEN, n°44.

95 Bru, M., Altet, M. et Blanchard-Laville, C. (2004). « À la recherche des processus caractéristiques des pratiques

enseignantes dans leurs rapports aux apprentissages », Revue Française de Pédagogie, n°148, p.72-94.

96 Kennedy, M. (1983), « Working Knowledge », Knowledge: Creation, diffusion, utilization, n°5(2), p.193-211. 97 Shulman, L. (1986), « Those who understand: knowledge grows in teaching. Educational Researcher », n°15 (2),

p.4-14.

98 Clark, C.-M. et Peterson, P.-L. (1986), « Teacher's thought processes », Handbook of Research on Teaching,

M.C. Wittrock, New York, Macmillan, p.255-297.

elle ouvre la voie à d’autres travaux, avec comme centre de gravité les notions de professionnalité et d’activité des enseignants (Piot, 2008 ; Vinatier, 2009100).

Pour Piot (2008), dès le début des années 1970, l’approche de l’enseignement efficace est l’objet de critiques :

« on s’aperçoit qu’établir des corrélations statistiques, fut-ce sur la base de très nombreuses observations et en suivant les méthodologies multi-sites, pour dresser un catalogue des gestes efficaces des enseignants, catalogue susceptible de constituer un référentiel de formation, voire d’évaluation pour les enseignants, n’ouvrait pas sur la compréhension de cette efficacité et décontextualisait en les réifiant les pratiques enseignantes. Autrement dit, le transfert des « bons gestes » n’a pas produit les effets attendus : une des critiques tenait à la prise en compte de la mobilisation et de l’implication professionnelle des enseignants, qui constitueraient un facteur « interne » à l’enseignant et qui influeraient sur l’efficacité de la pédagogie que celui-ci met en œuvre » (Piot, HDR, 2008).

2. L’effet-établissement, l’effet-classe et l’effet-maître