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PARTIE II : CADRE THÉORIQUE ET PROBLÉMATISATION

CHAPITRE 2 : LA BUREAUCRATIE DU SYSTÈME

5. La bureaucratie dans les organisations

5.4. Les organisations scolaires

Firestone et Herriort (1982), repris par Tardif et Lessard (1999)62 suggèrent que l’école est

une organisation qui joue entre deux modèles : le modèle bureaucratique et le modèle anarchique.

Chacun de ces modèles est caractérisé par des traits empiriques différents permettant d’identifier ces types d’organisation.

5.4.1. L’école comme modèle bureaucratique

En s’inspirant de Weber (1971)63 et de Merton (1957), Firestone et Herriort (1982)

identifient divers aspects de la bureaucratisation de l’école. Le « type-idéal » d’une organisation serait parfaitement bureaucratique, possédant six caractéristiques.

- Les buts de l’école sont définis avec précision et clarté et leur contenu est censé orienter sans équivoque les agents.

- Ces buts sont transmis aux subordonnés par leurs administrateurs. Pour les subordonnés, ces buts deviennent des tâches précises à exécuter. Le rôle des administrateurs est de s’assurer que les buts et les tâches sont clairement articulés entre eux et que le partage des responsabilités entre les agents est bien défini. Selon les auteurs, l’articulation des buts et des tâches est un problème technique. Les administrateurs s’assurent en principe d’un maximum d’information disponible et prennent leur décision en connaissance de cause, selon une logique de résolution de problèmes.

- L’école bureaucratique possède un système formel de contrôle, incluant les normes régissant les comportements des agents. Des lois, des codes, des règles définissent les programmes d’actions dans l’école.

- Un ordre hiérarchique de fonctions engendre une structure d’autorité basée sur des normes légales qui définissent le pouvoir de chacun et des responsables, un système de contrôle, par les supérieurs, des conflits entre les agents et l’établissement de lignes d’autorité et de communication règlementaire.

- Il existe un haut degré d’intégration et de coordination entre les membres de l’organisation. Ces membres travaillent en fonction des tâches différenciées réclamant des compétences spécialisées, mais cette spécialisation et cette différenciation sont bien intégrées, notamment grâce à la centralisation des décisions et à une exécution planifiée.

- L’organisation se comporte comme un système clos ou, du moins relativement fermé. La bureaucratie scolaire ne se mêle pas de politique et exécute ses tâches en fonction d’une neutralité éthique.

62 Id.

Tardif et Lessard (1999) analysent que ces différents aspects bureaucratiques existent dans divers degrés de l’école. L’intérêt de leur propos est de souligner que ces aspects ne sont pas imposés artificiellement mais découlent des contraintes exercées par le mandat même de l’école. En effet, l’école est responsable de la production d’un résultat uniforme d’une certaine qualité (Bidwell, 1965).

Herriort, Derouet et Sikota (1987, p. 75), cités par Tardif et Lessard (1999) soulignent aussi que le problème central de l’organisation scolaire est de faire face à une double contrainte : « Efficacité et universalité, qui s’accompagnent volontiers d’une certaine dépersonnalisation dans les rapports humains, et d’une socialisation de la jeune génération, qui requiert de plus en plus la prise en charge individualisée et l’esprit communautaire ».

Selon les auteurs, l’école doit former des millions d’élèves selon des standards communs, afin qu’ils s’adaptent à un rôle qu’ils auront à remplir plus tard. Cela nécessite d’organiser et d’atteindre un niveau maximum dans la formation des élèves. Or, les cohortes d’élèves présentent un large éventail de différences. L’école doit donc, si elle veut produire un résultat uniforme, être capable d’évaluer ces différences. Elle doit routiniser la variabilité de ses services. Elle doit travailler sur les différences individuelles, mais par des moyens généraux. De plus, la socialisation des enfants et des adolescents aux rôles adultes est massive et complexe. L’école œuvre avec des élèves sur de longues périodes de temps et doit offrir des services éducatifs comprenant des séquences cohérentes comportant des différences progressives et demandant des tâches de socialisation différenciées. Les auteurs concluent que l’école bureaucratique tient beaucoup à la nature et à la complexité de son mandat.

5.4.2. L’école comme modèle anarchique

Le deuxième modèle qui est à l’opposé de ce modèle bureaucratique est le modèle anarchique. En s’inspirant de March et Olson (1976), Firestone et Herriort (1982), repris par Tardif et Lessard (1999), identifient ce modèle scolaire qui forme à son tour un « type-idéal » possédant quatre caractéristiques.

- Les buts de l’école sont mal définis, ambigus. Les agents opèrent donc selon diverses préférences mal coordonnées ; les buts sont alors souvent définis après coup, une fois l’action déclenchée. Ils sont élaborés sur le tas. Ils servent alors de rationalisation a posteriori de l’action.

- L’articulation des tâches est différemment réalisable et chacun travaille dans son coin. L’indépendance est alors maximale entre les agents. Les administrateurs peuvent donner des conseils mais non des ordres. En fait, une large portion de ce qui se fait réellement échappe complètement à leur contrôle.

- La structure d’autorité passe par l’autonomie des agents et, par conséquent, elle implique des relations de confiance poussées entre eux. Cette confiance n’est pas basée sur des règles objectives mais sur la légitimité reconnue aux agents à titre de professionnels, voire de personnes.

- Ces organisations anarchiques engendrent des environnements de travail turbulents et ouverts, dans lesquels seules de petites interfaces sont en contact, sans qu’il y ait d’objectifs généraux.

Le tableau suivant résume les idées de Firestone et Harriort (1982) et les visions contrastées de l’école qu’ils suggèrent.

Tableau 2 : deux modèles d’organisation scolaire: l’école bureaucratique et l’école anarchique No Dimension de l’organisation Modèles

Bureaucratie Anarchie 1 Explication et consensus sur les buts Forte Faible 2 Communication hiérarchique Forte Faible 3 Règlements formels Beaucoup Peu

4 Centralisation Forte Faible

5 Influence des administrateurs Forte Faible 6 Autonomie des enseignants Faible Forte 7 Environnement ouvert Peu Beaucoup Source : Maurice Tardif et Claude Lessard, 1999, Le Travail enseignant au quotidien, Perspectives en Éducation, De boeck

Tardif et Lessard (1999) concluent que, comme l’école bureaucratique, les différents aspects de l’école anarchique se retrouvent souvent dans la réalité scolaire car les facteurs humains y prédominent. Ce sont des facteurs de base de ces organisations sur le plan du personnel, des technologies utilisées et des services rendus par le personnel. Cette situation conduit à des tensions à deux faces qui se reflètent à tous les niveaux de l’organisation scolaire : « le travail en classe avec les élèves et la haute hiérarchie scolaire ».