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Recherche expérimentale

Dans le document Des Fantômes dans la Voix (Page 104-110)

préservée, il s’agit du choix dit « relationnel » en psychologie cognitive et selon le processus secondaire d’après Brakel

I. 3.2.2.2 Pratique privée

I.3.3 Recherche expérimentale

Comme indiqué, la recherche proposée dans ce travail n’est pas une recherche expérimentale. Cependant, une recherche expérimentale, encore à publier, a été menée au

386 BAZAN A. (2007). Des fantômes dans la voix. Une hypothèse neuropsychanalytique sur la structure de l’inconscient, op.cit.

laboratoire du Prof. Shevrin au Michigan. Une première série de résultats a été présentée au colloque international « Affect et symbolisation » les 11 et 12 avril 2008 à Lyon et est reprise ici de façon à illustrer la façon dont une opérationnalisation des hypothèses théoriques proposées pourrait se faire. L’étude a été présentée sous le titre : « Les sujets défensifs évitent l’ambiguïté inconsciente – une étude d’amorçage subliminal au seuil de détection objectif» et les auteurs en sont: Ariane Bazan, E. Samuel Winer, Ramesh Kushwaha, Linda A.W. Brakel, Michael Snodgrass et Howard Shevrin.

Dans l’Inconscient Freud387 propose un modèle de l’inconscient qui accorde à la présentation de mot, c’est-à-dire au mot en tant que stimulus ou objet, un pouvoir organisateur en relative indépendance de sa sémantique, c’est-à-dire du référent de ce mot (présentation de chose388). La présente étude propose de vérifier expérimentalement certains aspects de la façon dont la présentation de mot organise le traitement inconscient du langage. Le concept de « présentation de mot » est opérationnalisée par sa graphémie mais également par sa phonologie puisqu’il a été démontré qu’une présentation visuelle du mot évoque de façon irrépressible sa phonologie389.

32 participants sont soumis à une expérience d’amorçage subliminal. Tant l’amorce (un mot) que les cibles (deux mots) sont présentés à une milliseconde. Les mots, présentés au tachistoscope, ne sont pas masqués. La tâche expérimentale soumis au participant est de d’indiquer le choix cible qui lui paraît le plus similaire à l’amorce. Une des deux cibles est un palindrome phonologique de l’amorce (ex. « road »/ « door »); ces paires de mots ont été choisies de façon à ne pas être graphémiquement identiques. Comme le participant ne voit rien, il dit « un » pour le choix en haut de carte et « deux » pour le choix en bas de carte.

Les participants sont encouragés à faire le choix qui leur semble le plus correcte même si la tâche leur paraît absurde.

387 FREUD S. (1915a /1969). L’inconscient. Dans Métapsychologie, op. cit . 388 FREUD S. (1891/1983). Contribution à la conception des aphasies, op. cit .

389 FROST, R. (1998). Towards a strong phonological theory of visual word recognition: True issues and false trails.

Psychological Bulletin, 123, 71–99.

À la fin de l’expérience, les participants complètent des questionnaires de personnalité, dont deux échelles de désirabilité sociale, le Marlowe-Crowne390 et le « Balanced Inventory of Desirable Responding » de Paulhus391. Ces échelles mesurent le niveau de défensivité envers sa propre vulnérabilité (ex. « J’ai parfois envie de jurer »).

Une expérience de détection, menée en parallèle, permet de vérifier que les conditions de l’expérience excluent toute perception consciente, le d’ (paramètre de détectabilité) n’étant pas différent de zéro392.

Les résultats montrent que le nombre de choix structurels (c’est-à-dire ambigus) diminue avec un niveau de défensivité croissant, mesuré tant avec le BIDR (-.417 ; p=.020), qu’avec le Marlowe-Crowne (-.505 p = .004). De plus, à défensivité élevé, le nombre de choix ambigus est sous le niveau de chance (nombres négatifs). En d’autres termes, les participants défensifs évitent activement les choix ambigus inconscients.

390 CROWNE D. & MARLOWE D. (1960). A new scale of social desirability independent of psychopathology. Journal of Consulting Psychology, 24, 349-354.

391 PAULHUS D.L. (1991). Measurement and control of response bias. Dans Measures of personality and social psychological attitudes, ed. J.P. Robinson, P.R. Shaver et L.S. Wrightsman, New York, Academic Press, 17-59.

392 SNODGRASS M. & SHEVRIN H. (2006), Unconscious inhibition and facilitation at the objective detection threshold:

replicable and qualitatively different unconscious perceptual effects, op. cit.

Les participants qui produisent des scores de « désirabilité sociale » plus élevés réagissent d’une façon défensive à de possibles indications de faille ou de vulnérabilité personnelle. Il apparaît des résultats présents que, remarquablement, ces mêmes participants évitent également de manière significative l'ambigüité sur des stimuli linguistiques dont ils n'ont aucune conscience. En effet, quand ils doivent faire un choix inconscient sur des similarités entre mots, ils choisissent de manière substantiellement plus significative que par chance l’alternative sans relation particulière au mot amorce – ce qu’on ne peut comprendre qu’en faisant la conjecture qu’ils évitent intentionnellement (bien qu’inconsciemment) l’alternative graphémiquement et/ou phonologiquement proche du mot prime. Une défensivité, mesurée par rapport à des situations sociales par les questionnaires de personnalité, semble donc également se manifester au niveau inconscient par un évitement des rapports de similarités entre palindromes phonologiques, c’est-à-dire par une défensivité contre l’ambiguïté du langage au niveau inconscient.

Cliniquement la défensivité d’un sujet se marque aussi par une défensivité contre tout lapsus ou fourchement de la langue, contre toute lecture ambigüe d'un propos tenu ou entendu. En d’autres termes, une réaction de type « ça n'a aucune importance » à un lapsus produit ou à une consonance double soudainement évidente peut être considérée défensive. Pour un sujet (défensif), accepter la confusion que peut induire l'ambigüité serait perçu comme menaçant, car cela pourrait mener par voie associative à une exploration d’une partie de sa propre subjectivité encore inconnue ou difficile à accepter – par le même principe que l’association libre dans la cure analytique. Ces résultats suggèrent donc, en accord avec les observations cliniques, que les sujets plus défensifs se défendraient d’entendre les possibles ambigüités inconscientes des discours.

En conclusion, les présents résultats suggèrent que la dynamique de défensivité dans un rapport à l’autre se retrouve d’une façon très basique dans un rapport inconscient au langage: selon leur défensivité, c’est-à-dire selon leur organisation psychodynamique, les sujets seraient différemment positionnés dans leur rapport au langage à un niveau inconscient, organiseraient leur langage et/ou sa perception différemment à ce niveau. En particulier, une défensivité plus élevée dans le rapport à l’autre se marquerait également par un évitement de l’ambigüité linguistique inconsciente.

I.4 Hypothèses

Quelques hypothèses forment les grandes lignes directrices de ce travail. Le premier élan part de l’observation clinique que l’organisation psychique du sujet, dont la symptomatologie

psychopathologique est le révélateur, suit des régularités en référence à la forme phonologique du langage. L’hypothèse est que la forme du langage serait la trace de la marque du corps sur l’esprit, en d’autres termes que « Chez l’humain, c’est en particulier par la forme motrice de l’élocution que le corps à la fois réalise et contraint le niveau psychique . ». L’idée que contrainte et possibilité font partie de la même dynamique fondamentale témoigne de l’inscription de ce travail dans une perspective transcendantale:

là où les dynamiques psychiques se sont vues contraintes dans leur choix, nous retrouvons les marques de ce qui a rendu possible leur réalisation. Plus précisément:

∙ Cette réalisation se ferait du fait qu’une mémoire du corps s’inscrirait en référence à la forme phonologique du langage, par l’inscription d’un couplage d’un état de tension du corps interne à une forme motrice du corps externe au niveau de la motricité du langage; cette inscription se ferait au niveau d’une mémoire émotionnelle linguistique inspirée de la proposition de LeDoux d’une mémoire émotionnelle.

∙ Puisque la forme du langage est ambiguë, de tels couplages peuvent donner lieu à de « faux nouages » ou fausses connexions fréquents en psychopathologie, dans les cas ou l’activation émotionnelle due à la forme du langage se fait en dehors du contexte sémantique dans lequel a eu lieu l’encodage premier.

L’application des logiques physiologiques de la sensorimotricité à la motricité du langage et la rencontre avec F., dont le langage aux moments de décompensation semblait être parasité, voire hanté, non d’une insistance sur le sens des mots, mais d’une insistance sur leur forme, a mené à cette troisième hypothèse:

∙ Un blocage structurel d’une intention articulatoire précise – du fait, par exemple, d’un refoulement – ferait émerger des fantômes moteurs, semblables aux membres fantômes, mais qui seraient de forme phonémique puisqu’émergeant de l’intention de dire; ces fantômes phonémiques contribuerait à déterminer le choix ponctuel de l’élocution, par exemple en favorisant leur élocution dans des contextes sémantiques inoffensifs.

Le second élan de ce travail part d’abord de (la frustration de ma) rencontre américaine qui me démunit d’une réflexion centrée autour du signifiant. Elle part ensuite de ma rencontre avec, en particulier, Hervé, Zacarie et Denis au centre psychiatrique de Beernem, sujets psychotiques qui, dans leurs différences, semblent avoir en commun de souffrir d’une impossibilité d’inhibition allant de pair avec un vécu violent d’intrusion du monde extérieur dans leur espace mental. Plus précisément:

Hervé et Denis en particulier suggèrent que s’il y a difficulté au niveau du ressenti de l’initiative d’action, il s’en suivrait un vécu d’invasion de l’intériorité mentale par le monde extérieur, ce qui mène à l’hypothèse que

∙ ce serait l’initiative d’action du sujet, qui permettrait, par le recoupement de son ressenti avec la sensation de son effet, de constituer une extériorité en distinguant cette extériorité d’un monde mental vécu comme une intériorité.

Les tableaux cliniques conjugués aux logiques physiologiques de la sensorimotricité, mènent en outre à l’hypothèse que

cette constitution implique nécessairement une inhibition et qu’il devrait s’agir d’ un mécanisme d’inhibition très précis , puisqu’il devrait être continuellement capable de mettre en évidence d’éventuelles différences entre intention et réalisation de l’action.

L’idée serait en outre que

∙ cette inhibition, pensée dans une logique sensorimotrice en tant que rendue possible par l’initiative d’action, du fait de l’avoir mise en rapport avec une clinique psychopathologique percutante, correspondrait à l’inhibition des processus

secondaires et du moi sur les processus primaire dans le modèle freudien, c'est-à-dire à l’inhibition pensée dans une logique psychique.

Ce second élan inscrit alors le premier dans une perspective plus large de la dynamique d’action. La seconde hypothèse plus générale de cet ouvrage serait alors que « C’est par la forme motrice de l’initiative d’action que le corps à la fois contraint et réalise le niveau psychique . ».

Dans le document Des Fantômes dans la Voix (Page 104-110)