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1.2.4.3 Corps interne et corps externe

Dans le document Des Fantômes dans la Voix (Page 131-135)

préservée, il s’agit du choix dit « relationnel » en psychologie cognitive et selon le processus secondaire d’après Brakel

II. 1.2.4.3 Corps interne et corps externe

Cette hypothèse qui propose une similitude dynamique entre affect et perception du mouvement implique une vision du corps divisé en un corps interne et un corps externe447.

Tableau 1: Comparaison entre le corps interne et le corps externe

Corps Interne (Invertébrés) Corps Externe (Vertébrés) type de

mouvement mouvements involontaires mouvements volontaires

effecteurs glandes et muscles lisses involontaires muscles squelettiques striés, volontaires fonctions systèmes dits végétatifs: respiration,

circulation sanguine, digestion,

perspiration, excrétion, reproduction, etc.

locomotion, perception, direction, préhension etc.

objets de l’action internes (air, sang, nourriture, sueur,

excréments, sperme, etc.) objets du monde externe

topographiquement rudimentaires le cortex moteur est organisé de façon somatotopique

il n’y a pas d’arrêt abrupt de l’action: une

fois initié l’effet est « massif » l’initiation et l’arrêt de l’action sont abruptes (scansions)

d’une organisation rudimentaire l’aire somatosensorique (proprioceptive) dans le neocortex est organisée de

l’évolution (âge) premiers invertébrés à corps mou 670 Millions d’années, premiers mollusques

Le corps interne est des « viscères », c’est le corps de l’invertébré, l’animal sans squelette interne, le corps externe apparaît dans l’évolution en même temps que le squelette, c’est-à-dire avec l’émergence des vertébrés. Son avènement vient donc avec le premier animal vertébré, l’amphioxus ou « lancent fish »: c’est le corps du squelette interne et des muscles striés ou squelettiques, qui permettent la motricité de ce squelette.

La perception de l’affect se fait alors au niveau du corps interne, celle du mouvement au niveau du corps externe. L’action du corps interne est dirigée vers le milieu intérieur et l’objet incorporé, alors que l’action du corps externe est dirigée vers l’environnement extérieur et l’objet manipulé448.

II.1.2.5 Le nouage entre affect et signifiant

Un modèle se dégage du mécanisme à l’origine des symptômes décrits plus haut. Dans sa circulation, le langage peut activer la réarticulation d’une séquence de phonèmes, par exemple si cette séquence est entendue, en passant par les neurones miroir qui vont activer l’appareil moteur. Cette séquence forme un objet linguistique qui est traité en aval à travers deux trajectoires relativement autonomes. Dans la première, au niveau sous-cortical, le traitement se ferait à partir du matériel premier sans désambiguïsation préalable: sole et soul, par exemple, y ont la même valeur, ces stimuli n’y sont pas distingués. Un certain degré de tension affective, enregistré dans une mémoire émotionnelle, serait ranimé par la simple évocation du fragment, indépendamment du contexte, et ressenti par le retour de l’activation des systèmes végétatifs (telle que l’accélération des battements cardiaques, la sueur des paumes, les tensions musculaires, etc.). Dans la seconde trajectoire, au niveau des aires linguistiques du néocortex, le matériel est désambiguïsé en fonction du contexte et donne généralement lieu à une compréhension sans équivoque dans le vécu conscient. Si la tension affective est importante, le sujet sera tenté de renouer cet affect au vécu conscient du contexte présent, alors qu’à l’origine cet affect était provoqué par le même fragment mais dans un autre contexte. Il s’agit alors d’un faux nouage449.

Il y a un autre scénario possible à l’origine des faux nouages. Après articulation (ou réarticulation) d’un fragment de langage, l’objet linguistique, qui n’a pas encore été désambiguïsé, déclenche d’abord l’activation d’une multitude de champs sémantiques.

Ce n’est que dans un deuxième mouvement qu’un travail de désambiguïsation permet la sélection du champ sémantique correspondant au contexte dans lequel le fragment de langage se présente. Le court laps de temps entre le premier et le deuxième mouvement n’est pas suffisant pour qu’on prenne conscience de l’ambiguïté sémantique, mais il l’est néanmoins assez pour activer une tension affective correspondant à une des lectures du fragment. Rien n’indique que cette lecture particulière soit nécessairement celle qui correspond au contexte. Or, à nouveau, si cette tension affective est importante, le sujet sera tenté de renouer ce vécu affectif à la signification consciente correspondant au contexte, et un faux nouage sera établi. Dans ce second scénario, une mémoire émotionnelle linguistique implique une mise en rapport du fragment phonologique avec une signification spécifique, ce qui n’est pas une condition préalable du premier scénario.

Il est à noter que les deux scénarios ne sont pas mutuellement exclusifs. Il est tentant d’envisager qu’un conditionnement affectif des fragments phonologiques sans rapport à la

448 Cette vision du corps est aussi suggérée dans ce passage Freud: « L’affectivité se manifeste essentiellement en décharge motrice (sécrétoire, vaso-régulatrice) destinée à transformer (de façon interne) le corps propre, sans rapport avec le monde extérieur. » FREUD S. (1915a /1969). L’inconscient, op. cit., p. 85.

449 FREUD S. (1894/1973). Les psychonévroses de défense, op. cit.

sémantique se fait plutôt en bas âge, lorsque les circuits émotionnels sont déjà opérationnels alors que les champs sémantiques au niveau du néocortex ne le sont pas encore. Dès que cette maturation néocorticale est assez avancée, la mise en rapport de ce processus de conditionnement émotionnel avec les champs sémantiques peut alors s’effectuer et dominer par la suite. Il y aurait dans ce cas à tout moment deux niveaux de mémoire émotionnelle du langage, un plus ancien reliant des fragments phonologiques à des degrés de tension affective sans rapport à la sémantique, et un plus récent, reliant des lectures sémantiques de fragments phonologiques à des degrés de tension affective. Quoi qu’il en soit, une constante se dégage de ces différents scénarios: c’est le fragment phonétique non encore désambiguïsé qui est le vecteur d’une possible activation affective.

II.2 L’Inconscient Structuré comme un Langage

II.2.1 La Structure Symbolique du Langage

II.2.1.1 Le langage humain est un système symbolique

On commence à voir que la question de l’inconscient — notamment les dynamiques linguistiques à l’origine de faux nouages entre affect et signifiant — se joue au niveau du fragment phonologique non encore désambiguïsé. La chaîne linguistique se présente, en première instance, toujours comme une séquence intrinsèquement ambiguë, dans la mesure où la suite des phonèmes peut se ponctuer ou se segmenter de diverses façons.

En effet, comme les suspensions de l’énonciation ne suivent pas la délimitation des mots, tout fragment linguistique perçu est toujours initialement ambigu. Les modèles courants de la reconnaissance du langage parlé s’accordent à dire que celui-ci active de multiples candidats de mot qui ne s’alignent pas toujours exactement450. La linguiste Cutler451, par exemple, propose qu’une simple phrase, apparemment sans ambiguïtés, telle que « We stop begging » active, de façon évanescente, des significations correspondant à des mots

« intermédiaires » tels que east (entre we et stop), top (dans stop) et egg (dans begging).

Pour faire émerger la signification contextuelle d’un énoncé, il faut donc procéder à sa désambiguïsation. Ce processus pourrait définir le champ opératoire de l’inconscient452.

La désambiguïsation est fonction du contexte. Cela signifie que la position du fragment linguistique par rapport au contexte en détermine une part de la signification. Cela signifie aussi que le langage est une structure positionnelle, qu’il constitue donc un système symbolique. Dans The Symbolic Species, Terrence Deacon 453 soutient que la spécificité du langage humain est d’être organisé de façon symbolique alors que les « langages »

450 GASKELL M.G. & MARSLEN-WILSON W.D. (1997). Integrating form and meaning: a distributed model of speech perception.

Language and Cognitive Processes, 12, 613-656; LUCE P.A. & PISONI D.B. (1998). Recognizing spoken words: the neighborhood activation model. Ear and Hearing, 19, 1-36; MCCLELLAND J.L. & ELMAN J.L. (1986). The trace model of speech perception. Cognitive Psychology, 18, 1-86; NORRIS D. (1994). Shortlist: A connectionist model of continuous speech recognition. Cognition, 52, 189-234.

451 CUTLER A., DEMUTH K. & MCQUEEN J.M. (2002). Universality versus language-specificity in listening to running speech.

Psychological Science, 13, 3, 258-262.

452 BAZAN A. (2005). La forme du langage en clinique. Une perspective neuropsychanalytique. Psychologie clinique, 18, 51-97.

453 DEACON T. (1997). The symbolic species: the co-evolution of language and the human brain, Londres, Penguin, 69-83.

animaux sont des systèmes d’icônes ou d’index. Il reprend à cet égard les définitions de Peirce454. Une icône se caractérise, selon Deacon, par son « indistinction ». Il y a toujours une identité de forme entre l’icône et l’objet auquel elle renvoie. Le dessin d’une pomme ne peut qu’être un tenant-lieu de l’objet « pomme ». Un index, par contre, n’a pas d’identité de forme avec l’objet auquel il renvoie, mais il possède néanmoins toujours une relation directe de référence avec cet objet. Il peut s’agir d’une relation préalable, un rapport spatiotemporel ou métonymique entre le signe et le référent par exemple. Les exemples classiques de relation indexicale sont la fumée renvoyant au feu et les traces de pas dans le sol renvoyant à l’animal. La relation indexicale peut être aussi totalement arbitraire, auquel cas elle doit être apprise. Un exemple non humain d’un index appris est l’association d’un cri animal à un danger spécifique. Une fois établie, par expérience ou par apprentissage, la relation est, comme pour l’icône, linéaire et sans équivoque. De cette façon, le dessin d’une pomme peut tout aussi bien être le tenant-lieu de l’objet « jardin » ou, au choix, de tout autre objet auquel on aurait associé le dessin. Les signes qui constituent les langages animaux se situent à ce niveau.

Les symboles sont d’une tout autre nature. Deacon soutient que le langage humain est un système symbolique puisque l’interprétation du mot dépend du contexte de son utilisation: « Les symboles ne peuvent être considérés comme une collection non structurée de stimuli qui correspond à une collection de référents car les symboles ne se limitent pas à la simple représentation des choses dans le monde, ils ont aussi la fonction de se représenter mutuellement. Le fait que les symboles ne se réfèrent pas directement aux choses dans le monde, mais s’y réfèrent indirectement grâce à leur action de référence à d’autres symboles, implique que les symboles sont des entités combinatoires dont la capacité de référence est dérivée de ce qu’ils occupent des positions déterminées dans un système organisé d’autres symboles. »455.

L’action de référence des symboles dépend fondamentalement de deux niveaux subordonnés de références indexicales, notamment la référence du symbole à l’objet dont il pourrait être le tenant-lieu et la référence du symbole aux symboles qui l’entourent. Dans son modèle logique de la construction d’un symbole, Deacon indique que ces deux niveaux indexicaux peuvent être appris par conditionnement. Par exemple, le rapport du stimulus

« pomme » à l’objet « pomme » peut s’apprendre, autant que la règle qui veut que le verbe

« manger » requiert un objet: « manger une pomme ». Jusqu’ici, les relations entre les stimuli S sont données par les relations entre les objets — en d’autres termes, elles en sont le reflet. Or, dans un troisième stade de cette construction logique, un retournement s’opère:

au lieu de s’appuyer sur les objets pour comprendre les stimuli S, le sujet va s’appuyer sur la relation entre les stimuli pour saisir les objets. À ce stade-là, un mot x dans une formule

« manger une x » est déjà identifié comme « un objet qui se mange » sans qu’il y ait besoin de nulle autre expérience ou connaissance de l’objet456. C’est ce qu’indique le retournement des flèches dans son schéma.

454 PEIRCE. C.S. (1931/1966). Collected Papers of Charles Sanders Peirce, 8 vols., dir. C. Hartshorne, P. Weiss et A.W. Burks, Cambridge (Mass.), Harvard University Press.

455 DEACON T. (1997). The Symbolic Species, op. cit., p. 99.

456 Ibid., p. 79.

Figure 10: Le modèle de constitution du symbole selon Deacon

Schéma de la logique de la construction de relations de référence de type symbolique à partir de relations indexicales selon Deacon

457

: Deacon conçoit trois étapes logiques dans cette construction, indiquées de bas en haut. (1) D’abord, il y aurait apprentissage d’une collection de différentes relations indexicales entre des stimuli signes S et des objets O individuellement (à intensité variable selon que le conditionnement soit plus ou moins important).

(2) En second lieu, il y aurait une reconnaissance de relations systématiques

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