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Considérations Épistémologiques

Dans le document Des Fantômes dans la Voix (Page 65-68)

préservée, il s’agit du choix dit « relationnel » en psychologie cognitive et selon le processus secondaire d’après Brakel

I.2 Considérations Épistémologiques

I.2.1 Enjeux

L’entreprise de la « neuropsychanalyse » pose un problème épistémologique de taille, notamment celle de mettre en rapport deux domaines des sciences à statut radicalement différent du point de vue épistémologique:

∙ la psychanalyse puise ses « données » au niveau de la clinique, i.e. dans l’observation et l’écoute – au plus intime – de sujets singuliers;

∙ les neurosciences puisent leurs « données » dans l’observation empirique ou expérimentale de la matière physiologique du cerveau, et plus largement, du corps.

I.2.1.1 Recouvrement versus indépendance

Avant d’expliciter l’approche épistémologique dans lequel ce travail s’inscrit précisément, nous proposons un aperçu non-exhaustif de différentes positions prises dans le domaine.

Nous proposons de les regrouper dans trois catégories approximatives: lerecouvrement, le recoupement et la déconnexion. Ces catégories représentent des réponses possibles aux enjeux du débat épistémologique. Le premier enjeu pourrait se dire comme suit:

∙ s’agit-il d’expliciter la façon dont un niveau – en l’occurrence le mental – se

subordonne, voire se réduit, à l’autre – le physiologique dont il est une forme de vécu de son expression?

∙ ou s’agit-il dans le domaine de la neuropsychanalyse d’expliciter l’agencement réciproque de deux niveaux organisationnels indépendants et à statut propre, le mental et le physiologique?

Les propositions qui nous semblent aller dans le sens du premier cas de figure sont présentées dans la catégorie « recouvrement ». En effet, dans ce cas, la subordination du niveau mental au niveau physiologique, implique que la phénoménologie psychique est déductible du niveau physiologique à condition d’aboutir – grâce à un progrès du savoir et des méthodologies – à une résolution des données physiologiques d’un niveau de précision tel qu’il permettrait de calculer, c’est-à-dire de prédire, les résultats au niveau psychique. En d’autres termes, les données observées au niveau physiologique permettraient de déduire in fine ce qui se laisse observer au niveau psychique. Par conséquent, la légitimité ultime se situerait en fin de compte plutôt au niveau physiologique. Certaines conséquences découleraient de ce positionnement: à terme, le cadre théorique, le vocabulaire et la méthodologie des deux domaines, dont la séparation était provisoire, seraient remplacés par une approche unifiée d’épistémologie (neuro)-physiologique. Dans le cas concret de la neuropsychanalyse, cette approche pourrait aussi impliquer que la clinique psychanalytique serait influencée, guidée ou remplacée, à terme, par une intervention sous l’autorité d’une information du niveau physiologique.

D’une certaine façon, on peut considérer qu’il s’agit là de la position de Freud, comme en témoignent certaines de ces propositions. En 1920, Freud écrit dans Au-delà du principe de plaisir 267: « C’est que nous sommes obligés de travailler avec les termes scientifiques, c’est-à-dire avec le langage imagé de la psychologie elle-même (ou, plus exactement, de la psychologie des profondeurs). Sans le secours de ces termes et de ce langage, nous serions tout à fait incapables de décrire ces processus, voire de nous les représenter.

267 FREUD S. (1920/1971). Au-delà du principe de plaisir, op. cit., p.110.

Sans doute, les défauts de notre description disparaîtraient, si nous pouvions substituer aux termes psychologiques des termes physiologiques et chimiques. Ceux-ci font certes également partie d’une langue imagée, mais d’une langue qui nous est familière depuis plus longtemps et est peut-être plus simple. » ou encore: « La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées: nous devons nous attendre à recevoir d’elle les lumières les plus surprenantes et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnerait dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Il s’agira peut-être de réponses telles qu’elles feront s’écrouler tout l’édifice artificiel de nos hypothèses.».

Freud se montre en cela héritier du serment de l’école physicaliste de physiologie.

À ce moment, la science en Allemagne est dominée par le serment physicaliste pour qui comprendre la nature c’est la comprendre en termes mécaniques. La plupart des physiologistes de la puissante école allemande sont d’accord avec Helmholtz: le fonctionnement physico-chimique de l’être vivant est soumis aux mêmes lois que la matière inanimée et doit être étudié dans les mêmes termes. En 1842, Du Bois-Reymond énonce son serment: « Brücke et moi avions pris l’engagement solennel d’imposer cette vérité, à savoir que seules les forces physiques et chimiques à l’exclusion de toute autre, agissent dans l’organisme. Dans le cas que ces forces ne peuvent encore expliquer, il faut s’attacher à découvrir le mode spécifique ou la forme de leur action, en utilisant la méthodephysico-mathématique.»268. C’est la charte commune des physiciens et physiologistes (Helmholtz, Du Bois-Reymond, Brücke, Ludwig, Fechner) qui se regroupent en 1845 dans la Berliner Physikalische Gesellschaft. La science est conçue comme l’explication du monde en termes d’attraction et de répulsion des forces physiologiques et chimiques. Helmholtz fait l’hypothèse que rien n’échappe à la loi de causalité – hypothèse qui s’apparente aussi à un acte de foi: « Toute inférence inductive repose sur la confiance que nous avons qu’un certain comportement qui, selon les observations effectuées jusqu’à présent, est régi par une loi, le sera encore dans toutes les situations qui n’ont pas encore fait l’objet d’observations. C’est faire confiance à l’idée que tout ce qui arrive est régi par une loi. Or, la possibilité d’établir des lois conditionne notre compréhension. En sorte qu’avoir confiance en la possibilité d’établir des lois, c’est aussi avoir confiance en la possibilité de comprendre les apparences de la nature. Si cette compréhension se révèle totale, s’il est possible de trouver quelque chose d’ultime et d’inaltérable comme étant la cause des changements observés, on parle de loi causale (Kausalgesetz) pour désigner ce principe régulateur de notre esprit qui n’est autre finalement que la confiance que nous avons dans la totale compréhensibilité du monde. »269. Helmholtz prétend ainsi avoir « expliqué » certains des concepts de Kant, en particulier celui d’intuition: « Je pense que la principale avancée théorique de ces derniers temps a consisté à résoudre le concept [kantien] d’intuition en processus élémentaires de la pensée … Ce sont essentiellement les recherches menées dans le domaine de la physiologie sur les perceptions sensorielles qui ont permis d’aboutir à ces processus ultimes de la connaissance. »270. Freud est pétri de ces convictions: « ...

nous avons cherché à faire entrer la psychologie dans le cadre des sciences naturelles, c’est-à-dire à représenter les processus psychiques comme des états quantitativement déterminés de particules matérielles distinguables, et ceci afin de les rendre évidents et incontestables »271.

268 cité dans ASSOUN P.L. (1981). Introduction à l'épistémologie freudienne, op. cit.,, p.3.

269 cité dans BALIBAR F. (2002). Le scientisme, Lacan, Freud et Le Dantec, op. cit.

270 Ibid..

271 FREUD S. (1895/1956). Esquisse d'une psychologie scientifique, op. cit., p. 315. Or, nous verrons en I.2.3.1. que ce jugement sur Freud est à nuancer et que, homme de terrein tant en ce qui concerne la biologie qu’en ce qui concerne la clinique,

Le second cas de figure propose un niveau d’indépendance des niveaux mental et physiologique. Cette approche n’implique pas pour autant que ces niveaux soient établis de façon indépendante, mais propose que du fait qu’ils ont été établis – c’est-à-dire, que leur organisation a été mise en place – une linéarité entre ces deux niveaux a été irréversiblement perdue, et que, par conséquent, les données se rapportant à un niveau ne permettent pas de calculer ou de déduire l’organisation de l’autre niveau, et vice versa. Par conséquent, cette approche-là proposerait aussi qu’une légitimité propre – c’est-à-dire, un cadre conceptuel, un vocabulaire, une méthodologie et une autorité propre – soit reconnue à chaque domaine car ils opèrent à partir d’informations propres. Dans cette approche l’exercice interdisciplinaire n’a pas comme conséquence – ni, a fortiori, comme ambition – de remplacer « à terme » un cadre théorique, un vocabulaire ou une méthodologie par un autre. Dans le cas concret de la neuropsychanalyse, cette approche impliquerait alors que la clinique psychanalytique s’opère de par sa propre autorité et ne conçoit pas une clinique psychanalytique sous une autorité neuroscientifique ou médicale.

I.2.1.2 Déconnexion versus recoupement

Le second enjeu du débat épistémologique s’inscrit dans cette approche qui accorde un statut propre tant au physiologique qu’au psychique et pose la question dustatut de leur rapport. Nous proposons de formuler ce second enjeu comme suit:

∙ s’agit-il de concevoir une déconnexion assez radicale entre ces niveaux qui, une fois établis, se développent et fonctionnent de façon à exclure la possibilité logique de points de recoupement?

∙ ou s’agit-il de concevoir que les deux niveaux s’entrecroisent, se recoupent ou s’imbriquent directement à certains points ?

Les propositions qui nous semblent aller dans le sens du premier cas de figure sont présentées dans la catégorie « déconnexion ». Il s’agirait peut-être du cas de figure le plus « dualiste ». En effet, une façon de s’y positionner serait de concevoir le physiologique comme matériellement localisable et le mental comme immatériel et de ce fait non localisable, séparant un corps étendu dans l’espace, d’un esprit intangible272. Puisqu’ils sont présents dans des espaces d’une autre nature, le mental et le physiologique ne pourraient littéralement « se toucher ». Il pourrait s’en suivre que les deux niveaux soient soit sans rapport aucun, soit leur rapport ne peut se limiter qu’à un rapport de concordance ou de corrélation. La supposition d’un rapport de corrélation, mais somme toute déconnecté, du mental au physiologique, peut privilégier un approche de recherche par des méthodes neuroscientifiques au sens stricte (particulièrement l’imagerie cérébrale) dont les résultats sont mis en parallèle avec des observations cliniques ou comportementales (récoltées dans la même étude ou non).

Les propositions qui nous semblent aller dans le sens du second cas de figure sont présentées dans la catégorie « recoupement ». Une façon de s’y positionner serait de concevoir que le rapport entre le mental et le physiologique peut à certains points de recoupement être directement directement significatif et effectif et que les phénomènes mentaux pourraient témoigner dans leurs formes de l’impact du physiologique et inversement. Dans cette approche, ces points d’impact directs pourraient être la conséquence de ce qu’il pourrait être considéré que les objets – perceptions, souvenirs,

Freud se donne la mesure du fait que ce qui se donne à voir est aussi conditionné par la méthodologie d’approche – nuançant l’idée d’un objet indépendant que la science aurait comme mission de disséquer et d’analyser.

272 DESCARTES R. (1641/2004). Méditations métaphysiques, trad. F. Khodoss, Paris, PUF.

langage etc. – et les fonctions – mémoire, motricité, attention, langage etc. – de l’appareil psychique ont également un statut matériel et/ou une étendue273. Cette matérialité ou cette étendue se comporterait selon d’autres régularités ou lois, selon qu’elle soit considérée d’un point de vue psychologique ou d’un point de vue physiologique, mais elle devrait être supposée telle qu’elle puisse faire sens et fonctionner dans les deux niveaux à la fois.

Dans cette approche, l’observation scientifique du psychique ne serait pas cantonnée à n’être qu’un descriptif « métaphorique » du physiologique, mais serait aussi potentiellement directement informative par rapport à ce niveau274. La clinique ne serait alors pas limitée à son statut herméneutique, requérant de facto le passage par l’interprétation pour se faire comprendre275. D’autre part, cette approche peut privilégier dans le choix méthodologique de la recherche les méthodes psychologiques à parts entières, telle que la psychologie expérimentale (e.g. paradigmes d’amorçage).

I.2.2 Positions

Nous prenons la liberté, dans les paragraphes suivants, de regrouper les diverses approches épistémologiques prises explicitement ou implicitement dans le domaine de la neuropsychanalyse, selon les lignes que nous venons de tracer. Il va sans dire qu’il s’agit d’un dessin du paysage épistémologique comme je le considère en ce moment et qui est proposé afin d’avoir un repère contextuel du présent travail de réflexion théorique dans le domaine de la neuropsychanalyse.

I.2.2.1 Recoupement

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