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3.1.1.2 Les processus secondaires

Dans le document Des Fantômes dans la Voix (Page 156-160)

de S) pour désigner les objets indirectement par le biais des relations entre les objets (les flèches sur le plan horizontal des O). Alors que les indices peuvent

II. 3.1.1.2 Les processus secondaires

Ce mécanisme est suffisant pour une membrane simple; avec la fermeture de la membrane, un système vivant est constitué. Dès cet instant, deux catégories de stimuli se distinguent:

les stimuli auxquels l’organisme peut échapper, par exemple la lumière — ce sont les stimuli externes —, et les stimuli sur lesquels la fuite n’a pas d’effet, par exemple la faim

— ce sont les stimuli internes. Freud indique que c'est sur base de l'efficacité de son système moteur à faire cesser cette stimulation (ce flux de stimuli) que l'organisme peut distinguer l'origine (extérieure ou intérieure) de la source de stimuli. En effet, si la source est extérieure, le mouvement de l'organisme en modifiera le flux, voir fera cesser toute stimulation. Or, le mouvement (locomotif) de l'organisme n'aura aucun effet de modulation sur son flux de stimuli intérieur: en effet, on ne peut fuir une source de stimulation intérieure. Dans les termes de Freud, ces derniers « prennent naissance dans les cellules du corps et provoquent les grands besoins: la faim, la respiration, la sexualité. […] Les excitations ne cessent que si des conditions bien déterminées se trouvent réalisées dans le monde extérieur […].»525. Ainsi, pour que la faim cesse, il faut se nourrir. Certains

522 Voir également BAZAN A. (2007). An attempt towards an integrative comparison of psychoanalytical and sensorimotor control theories of action. Dans Sensorimotor foundations of higher cognition, dir. P. Haggard, Y. Rossetti et M. Kawato, New York, Oxford University Press, 319-338.

523 Il s’agira aussi, chez l’humain, des tracés qui seront déclenchés sur base des traits verbaux associés au stimulus.

524 FREUD S. (1900/1969). L’interprétation des rêves, op. cit., p. 481.

525 FREUD S. (1895/1956). Esquisse d’une psychologie scientifique, op. cit., p. 317.

stimuli insistant à partir de substrats à l'intérieur du corps menacent donc la survie de l’organisme à moins qu’une action adéquate ne soit entreprise. Pour ces stimuli, une stratégie s'impose: « L'excitation ne peut se trouver supprimée que par une intervention capable d'arrêter momentanément la libération des quantités (…) à l'intérieur du corps.

Cette sorte d’intervention exige que se produise une certaine modification à l’extérieur (par exemple apport de nourriture, proximité de l’objet sexuel), une modification qui, en tant qu’“action spécifique”, ne peut s’effectuer que par des moyens déterminés.» 526. L’action n’est donc adéquate qu’à condition qu’elle puisse avoir un effet sur la source de la stimulation. Par exemple, un desséchement des membranes du corps se fera sentir sous forme d’une activation, d’une incitation à réagir – que Freud présentera comme une première percée de la pulsion au niveau psychique. La survie du système vivant dépend alors de la possibilité de déployer un plan d’action ayant un effet sur ce desséchement.Les processus secondaires sont les processus mentaux qui produisent des actions adéquatespour réaliser des changements spécifiques dans le monde extérieur.

Puisque l’enfant humain est sans défense à la naissance, la plupart des premières actions adéquates527 requièrent donc l’interaction avec un congénère: « L’organisme humain, à ses stades précoces, est incapable de provoquer cette action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec une aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant. Ce dernier l’a alertée, du fait d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes (par les cris de l’enfant, par exemple). […] Quand la personne secourable a exécuté pour l’être impuissant l’action spécifique nécessaire, celui-ci se trouve alors en mesure, grâce à ses possibilités réflexes, de réaliser immédiatement, à l’intérieur de son corps, ce qu’exige la suppression de stimulus endogène.» 528. Par exemple, si la mère, en entendant pleurer son bébé, a mis la bouche du bébé à son sein, ou à une bouteille, les mouvements réflexes de succion suffiront à soulager la faim. Freud souligne ici le cas de figure plus complexe et spécifiquement humain, qui consiste dans le fait que, vue la situation de détresse initiale du petit d'homme, l'action spécifique devra initialement être accomplie par l'adulte, le prochain. Cette situation a des conséquences cruciales: le petit d'homme n'est pas en relation directe avec la signification de la plupart des stimuli, et doit donc, dès la naissance, passer par le prochain pour l'identification de leur source ou de leur signification. Ce sera le prochain qui sera un

« fournisseur » ou incitateur essentiel à cet égard529.

Un acte adéquat réussi a des conséquences majeures pour l’organisation de l’appareil mental. D’abord, il constitue une expérience de satisfaction qui a, d’après Freud, trois conséquences importantes: « 1o Une décharge durable s’effectue, ce qui entraîne la suppression de la tension ayant suscité en W530 du déplaisir; 2o L’investissement correspondant à la perception d’un objet se produit dans un ou plusieurs neurones du pallium; 3o D’autres points du pallium reçoivent l’annonce de la décharge provoquée par

526 FREUD S. (1895/1956). Esquisse d’une psychologie scientifique, op. cit., p. 336.

527 La respiration forme une exception, elle se fait immédiatement, c'est-à-dire, sans médiation.

528 Ibid., pp. 336-337.

529 Pour une discussion, voir VAN DE VIJVER G. (1999). Du corps à l'esprit? Une analyse du matérialisme freudien, op. cit.

C’est aussi ce que thématise Lacan dans la différence entre besoin, désir et demande.

530 voir note 425.

le déclenchement du mouvement réflexe qui a suivi l’action spécifique.» 531. Dans le cas du bébé qui boit, il y a, premièrement, un soulagement de la faim, deuxièmement, une activation du regroupement neuronal correspondant à la perception par exemple du sein de la mère et, troisièmement, un retour du mouvement de succion. En second lieu, cet acte adéquat réorganise les connectivités neuronales entre les circuits impliqués en facilitant la connexion entre ces trois événements neuronaux: « Ainsi la satisfaction aboutit à un frayage entre les deux images mnémoniques et les neurones nucléaires qui ont été investis pendant l’état de tension. » 532. Les deux images de souvenir sont l’image perceptuelle de l’objet de satisfaction et l’image du mouvement satisfaisant.

II.3.1.1.3 Le moi

Ces facilitations forment la base d’une organisation émergente dans l’appareil mental durant le développement, que Freud appelle le moi (ou l’ego): « [La] réception, constamment répétée, de quantités endogènes (Q) dans certains neurones (du noyau) et le frayage que cette répétition provoque, ne manquent pas de produire un groupe de neurones chargés de façon permanente […]. » 533 . Il est caractéristique des neurones du moi qu’ils soient constamment investis, qu’ils possèdent dès lors un plus grand frayage et qu’ils absorbent plus facilement de l’énergie ou de l’activation. Cependant, ces frayages peuvent aussi avoir des conséquences néfastes. En effet, dans certains cas il se peut que, le moi étant dans un état de désir, l’excitation passe aux deux images de souvenir, sans que l’objet de satisfaction ne soit en fait présent. Par exemple, la faim conduira le bébé à «voir» un sein ou une bouteille et à exécuter le mouvement de succion, même s’il n’y a ni mère ni biberon présents.

Cette reviviscence du vœu donne donc le même effet que la perception, c’est-à-dire une hallucination. Si l’action réflexe, ici la succion, est ensuite amorcée, le bébé sera déçu. D’un autre côté, il se peut aussi qu’une image de souvenir hostile soit investie de nouveau et soit sur le point de causer la dépense massive de déplaisir et de défense, alors que l’image est générée dans la vie mentale, et ne vient pas de l’extérieur. Par exemple, un stimulus tel qu’une ombre peut mener à l’activation du souvenir d’un intrus et à la libération consécutive d’une réaction de défense, par exemple la fuite. Il est clair que ces types de réaction sont problématiques dès qu’ils deviennent automatiques — c’est-à-dire dès qu’ils se mettent à fonctionner au niveau du processus primaire.

En d’autres termes, les premières facilitations mises en place grâce aux expériences de satisfaction produisent une structure initiale du moi, qui se met au service du traitement des activations internes. Dans un premier temps, ce traitement est de type primaire. Or, le processus primaire suppose un monde inchangé: les caractéristiques perçues du stimulus activent les mêmes chemins neuronaux, indépendamment du nouveau contexte. Dans le cas d’une stimulation externe sur un organisme simple, cette stratégie pourrait être bonne puisqu’il suffit souvent de s’enfuir pour s’en débarrasser. La première réponse du système aux stimuli internes est de suivre la même stratégie, c’est-à-dire de s’en défaire en suivant les chemins rapides déjà frayés dans la mémoire. Mais il apparaît rapidement que cela ne fonctionne pas toujours, en particulier dans le cas des stimuli internes. Au contraire,

531 FREUD S. (1895/1956). Esquisse d’une psychologie scientifique, op. cit., p. 337. Le terme « pallium » renvoie à une division du cortex que faisaient les histologues à la fin du dix-neuvième siècle. On distinguait deux couches; la couche externe était le pallium.

532 Ibid., p. 338. Les neurones nucléaires (Kernneurone) constituent le cœur du système psychique investi par les quantités intérieures, alors que les neurones du pallium (Mantelneurone) sont investis par les quantités extérieures.

533 Ibid., p. 341. Q est la notation de Freud pour une quantité psychique interne ou « intracellulaire »; elle est à comprendre en parallèle avec la quantité Q, qui vient de l’extérieur et dont elle est la dérivée.

souvent ces actions ne mènent pas au soulagement des tensions mais à la déception, à la frustration ou même à des blessures. Ces nouvelles expériences s’ajoutent aux précédentes et produisent de nouvelles trajectoires qui élaborent la complexité du moi.

La survie du système vivant dépend alors de la possibilité d'aller du « tout azimut » du processus primaire à l'action spécifique du processus secondaire. Comment l'organisme réalise-t-il ce passage? D'abord, concevons que l'acquisition de stratégies d'action n'est pas le problème le plus difficile: comme indiqué, cette acquisition se fait par apprentissage. Le processus d'apprentissage, qui crée une mémoire par frayage, a amplement été montré en neurosciences (e.g. Kandel, 2007534). La structure du moi freine alors mécaniquement l'écoulement du traitement des stimuli : « s'est formée en ψ une instance dont la présence entrave le passage [de quantités] lorsque ledit passage s'est effectué pour la première fois d'une manière particulière [c'est-à-dire lorsqu'il s'accompagnait de satisfaction ou de souffrance]» 535 . Grace à cette structure, il y a atténuation quantitative des activations élicitées par le stimulus: en effet, une mémoire élaborée fera que chaque stimulus engendre l'activation d'un large répertoire de possibles réactions, qui résorbent l'investissement énergétique original du stimulus. Le problème structurel de l'organisme pour agir adéquatement n'est pas alors tant le manque d'une stratégie spécifique dans le répertoire d'action. Le problème principal est que, pour que cette action soit adéquate, il faut que l’organisme cesse en même temps d’agir de toutes les autres manières possibles également activées par le stimulus. En d’autres termes, le problème est la possibilité de sélectionner la réponse qui vaille dans le contexte. Par conséquent, si le processus primaire est celui qui fait agir de toutes les façons possibles, le processus secondaire est aussi celui qui permet de ne pas agir d’une certaine façon – c’est-à-dire qui permet l’inhibition ciblée.

C’est d’abord le freinage qualitatif grâce au niveau de complexité croissant du moi au cours du développement qui permettra d’intervenir dans l’exécution automatique des processus primaires. La prochaine fois que le bébé aura faim, la nouvelle organisation du moi interviendra dans l’écoulement de ces excitations et ralentira le processus primaire.

Freud donne alors une description mécanique du rôle du moi: «Cette quantité (Q) dans le neurone αne prendra pas seulement la direction de la barrière la mieux frayée, mais aussi de celle qui est investie du côté opposé. »536. Ces «investissements latéraux» forment le principe mécanique de l’action inhibitrice du moi: « Une quantité (Q), venue d’un endroit quelconque et pénétrant dans un neurone, poursuit sa route en franchissant les barrières de contact les mieux frayées et suscite un courant dans cette direction ou, plus exactement, le courant de la quantité (Q) se divise, suivant un mode inversement proportionnel à la résistance des barrières de contact qu’il rencontre. […] Quand un neurone contigu se trouve simultanément chargé, ce fait agit à la manière d’un frayage temporaire des barrières de contact entre les deux neurones et modifie le trajet du courant qui, sans cela, aurait emprunté la direction de la seule barrière de contact frayée. Un investissement “latéral” agit donc en s’opposant au passage de la quantité (Q).» 537.

534 Comme a été décrit en détail en neurosciences de la mémoire e.g. KANDEL E. (2007). À la recherche de la mémoire, une nouvelle théorie de l’esprit, op. cit.

535 FREUD S. (1895/1956). Esquisse d’une psychologie scientifique, op. cit., p. 340.

536 Ibid., p. 337.

537 Ibid., p. 341.

Figure 13: Le modèle mécanique du processus secondaire selon Freud

Représentons-nous le Moi comme un réseau de neurones investis et bien frayés

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