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L’anatomie de la désambiguïsation

Dans le document Des Fantômes dans la Voix (Page 151-154)

de S) pour désigner les objets indirectement par le biais des relations entre les objets (les flèches sur le plan horizontal des O). Alors que les indices peuvent

II.2.2 La Dynamique de la Désambiguïsation

II.2.2.5 L’anatomie de la désambiguïsation

Mais la question de savoir comment concevoir le mécanisme neuronal de la sélection lexicale est restée jusqu’ici en suspens. Qu’y a-t-il dans l’hémisphère gauche qu’il n’y a pas dans l’hémisphère droit? Le psychologue Baddeley offre des éléments de réponse en supposant, d’après ce que lui apprend sa recherche en psychologie expérimentale, l’existence d’une structure appelée « mémoire de travail ». La mémoire de travail, ou mémoire à court terme, est celle qui permet de garder présents à l’esprit les contenus de réflexion et d’action en cours. Elle serait constituée d’un processeur central et de deux sous-systèmes, un pour le matériel verbal — la « boucle articulatoire » — et un pour le matériel visuel — le « calepin visuospatial »511. La boucle articulatoire recycle continuellement le matériel verbal présent dans un stock phonologique par une articulation interne en boucle.

Le calepin visuospatial a la même fonction pour l’information spatiale.

Sur le plan anatomique, cette organisation a en effet été confirmée par imagerie cérébrale512. Dans l’hémisphère gauche, une composante du processeur central est située dans le cortex dorsolatéral préfrontal (DLPFC, dorsolateral prefrontal cortex, ou BA9 et BA46). La boucle articulatoire comprend l’aire de Broca (impliquant les aires BA44 et l’aire contiguë BA6 dans le lobe préfrontal gauche)513. La répétition du contenu de la mémoire par verbalisation subvocale est associée à l’activation de l’aire de Broca ainsi que de l’aire prémotrice et de l’aire motrice supplémentaire (la SMA, supplementary motor area)514.

510 GAZZANIGA M.S. (2000). Cerebral specialization and interhemispheric communication. Does the corpus callosum enable the human condition?. Brain, 123, 1293-1326.

511 BADDELEY A.D. (1986). Working Memory, Oxford, Oxford University Press; BADDELEY A.D. & HITCH G. (1974). Working Memory. Dans The psychology of learning and motivation, dir. G.H. Bower, 8, New York, Academic Press, 47-90.

512 FRACKOWIAK R.S.J. (1994). Functional mapping of verbal memory and language. Trends in Neuroscience, 17, 109-115.

513 SMITH E.E., JONIDES J., MARSHUETZ C. & KOEPPE R. A. (1998). Components of verbal working memory: evidence from neuroimaging. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 95, 876-882.

514 La face latérale de l’aire BA6 correspond à l’aire prémotrice proprement dite, tandis que la face dorsoventrale de l’aire BA6 correspond à l’aire motrice supplémentaire. Elles sont responsables de l’élaboration des programmes moteurs en collaboration avec

L’espace de stockage pour le matériel verbal occupe le cortex postérieur pariétal gauche (BA40).

Figure 12: Coupe transversale du cerveau au niveau du corps calleux

Certaines structures associées à la mémoire de travail ne sont cependant pas concernées par la phonologie. Les aires BA47 et BA45 dans le cortex préfrontal inférieur gauche seraient plutôt impliquées dans des opérations lexicales telles que la classification des mots — selon qu’ils désignent, par exemple, des entités vivantes ou non vivantes, concrètes ou abstraites515. Or, les patients ayant des lésions à ce niveau ne présentent pas de troubles sévères en matière de connaissance sémantique516. Le neuroscientifique Poldrack estime en effet qu’il est peu probable que le cortex préfrontal inférieur gauche soit le lieu de stockage des représentations sémantiques. Sa capacité de classifier les mots serait davantage à mettre en relation avec sa fonction de maintien et de manipulation des représentations sémantiques. Ce serait à partir de cette structure que la fouille du stock sémantique et la sélection des représentations contextuellement appropriées seraient orchestrées. Il est intéressant de noter que, selon Poldrack, cette sélection se fait alors sur la base des « attributs appropriés pour la tâche » des représentations sémantiques. Aussi, il est tentant de voir une équivalence entre ces « attributs » et les labels lexicaux, tels que définis plus haut. Comme nous l’avons vu, la sélection de la sémantique appropriée se fait précisément selon ces labels lexicaux. Ricci517 propose une interprétation similaire pour

les ganglions de la base et le cervelet. L’aire motrice supplémentaire semble plus impliquée dans la préparation et les mouvements de manipulation et de préhension alors que l’aire prémotrice semble plus impliquée dans les mouvements visuoguidés.

515 POLDRACK R.A., WAGNER A.D., PRULL M.W., DESMOND J.E., GLOVER G.H. & GABRIELI J.D. (1999). Functional specialization for semantic and phonological processing in the left inferior prefrontal cortex. NeuroImage, 10, 15-35.

516 SWICK D. & KNIGHT R.T. (1996). Contributions of prefrontal cortex to recognition memory: electrophysiological and behavioral evidence. Neuropsychology, 13, 155-170.

517 RICCI P.T., ZELKOWICZ B.J., NEBES R.D., MELTZER C.C., MINTUN M.A. & BECKER J.T. (1999), art. cité

l’activation de l’aire BA47, c’est-à-dire qu’elle serait corollaire à la fouille, au recouvrement, à la sélection et à l’évaluation d’éléments du lexique. Pour résumer, il y aurait au niveau du cortex préfrontal inférieur, associé à la mémoire de travail, un système de sélection des représentations sémantiques qui opère en s’appuyant sur leurs labels lexicaux — c’est-à-dire qu’il y aurait là un système de sélection lexicale, à distinguer du traitement sémantique d’une part et du traitement phonologique de l’autre.

En outre, c’est le processeur central du cortex dorsolatéral préfrontal qui produirait l’inhibition de significations concurrentes non retenues. Une expérience d’imagerie cérébrale étaie cette proposition518. Il s’agit d’une expérience de classification de mots, plus particulièrement une suite de substantifs. Deux types de catégorie dichotomique sont combinés, une dichotomie « fleur / insecte » et une dichotomie « agréable / désagréable », par exemple: « bonheur œillet torture moustique ». Les participants à l’étude doivent décider (par une touche au clavier) de la catégorie du mot dans chaque cas de figure. En général, une fleur est éprouvée comme quelque chose d’agréable et un insecte comme quelque chose de désagréable. Aussi, lorsqu’on demande aux participants de choisir avec la même touche la catégorie « fleur » et la catégorie « agréable » d’une part, et « insecte » et

« désagréable » de l’autre, la condition (de réponse) est dite concordante. À l’inverse, associer la catégorie « fleur » et la catégorie « désagréable », ou « insecte » et « agréable » à la même touche, est considéré comme discordant. Pour arriver à la réponse discordante il faut que les participants inhibent la tendance intuitive à donner le même type de réponse à des stimuli dont les attributs sont implicitement associés. Il est important de noter que ce qui est en jeu ici ce n’est pas simplement le choix entre plusieurs réponses possibles (deux en l’occurrence), mais aussi l’inhibition d’une réponse préférée de façon intuitive et du choix de celle que requiert le contexte. Pour ce type de réponse, les chercheurs ont démontré par imagerie cérébrale une implication claire du cortex préfrontal dorsolatéral gauche, ainsi que du cortex cingulaire antérieur.

De façon analogue, Thompson-Schill519 propose un protocole expérimental où les participants ont à sélectionner une réponse sémantique appropriée à partir d’un nombre croissant de possibilités concurrentes. Là encore, l’imagerie cérébrale fait voir lors de l’expérience une activation du cortex préfrontal dorsolatéral gauche, dont cette chercheuse démontre que c’est la sélection et non la simple recherche d’alternatives sémantiques qui en est le corollaire.

Les données d’imagerie cérébrale suggèrent donc qu’il y a, dans le lobe préfrontal gauche, une organisation anatomique qui pourrait fonctionner comme support aux dynamiques de désambiguïsation telles qu’observées en psycholinguistique. Il apparaît que la répétition subvocale du matériel linguistique dans la boucle articulatoire de la mémoire de travail, qui permet de garder en mémoire un fragment linguistique, correspond à l’activation de l’aire de Broca. L’activation des aires voisines ventrales gauches, BA45 et 47, serait alors liée à la sélection lexicale de représentations sémantiques pouvant correspondre au fragment phonologique dans la boucle. L’activation de ces représentations permettrait la libération de leurs attributs ou labels lexicaux. Une inhibition de représentations dont les labels ne seraient pas en correspondance avec les exigences requises par le contexte se ferait dans le cortex préfrontal dorsolatéral gauche et dans le gyrus cingulaire antérieur

518 CHEE M.W., SRIRAM N., SOON C. S. & LEE K.M. (2000). Dorsolateral prefrontal cortex and the implicit association of concepts and attributes. Neuroreport, 11, 135-140.

519 THOMPSON-SCHILL S.L., D’ESPOSITO M., AGUIRRE G.K. & FARAH M.J. (1997). Role of left inferior prefrontal cortex in retrieval of semantic knowledge: a reevaluation. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 94, 14792-14797.

gauche. Une fois la sélection lexicale opérée, la boucle articulatoire reprend un nouveau chargement phonologique.

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