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3.3.3.2 Der andere Schauplatz

Dans le document Des Fantômes dans la Voix (Page 192-195)

Représentons-nous le Moi comme un réseau de neurones investis et bien frayés les uns par rapport aux autres; soit une quantité [intracellulaire] Q# qui pénètre le

II. 3.3.3.2 Der andere Schauplatz

Dans ce que nous venons d’articuler, le nœud du raisonnement, tant chez Freud que dans les neurosciences, est que c’est à partir du ressenti du mouvement qu’une première différenciation entre intérieur et extérieur peut se faire, et que c'est à travers une dialectique de tels mouvements, en interaction de va et vient avec quelque chose qui y répond et qui s'y rapporte dorénavant, qu'une ébauche d'organisation psychique, une structure dynamique intentionnelle, peut commencer à prendre forme. Ceci permet d'envisager la question du psychique en termes d'une appropriation active du stimulus. La signification du stimulus ne

634 Il s’agit en même temps d’une description mécanique permettant d’expliquer la focalisation de l’attentionsur une partie restreinte du champ d’observation, notamment la partie la plus surprenante puisque non anticipée.

se fait pas sentir dans l'immédiateté, mais se fait à travers le détour d'une appropriation par laquelle peut devenir apparent ce qu'est le stimulus pour le système psychique en question.

Cette opération d'appropriation requiert d'abord la perte de l'évidence ou de l'efficacité immédiate du mouvement. Il faut la surprise d'un écart entre les anticipations et les retours pour que l'expérience de ce quelque chose qui ne s'est pas laissé résorber complètement se fraye un chemin dans le psychisme. Il faut que le contenu immédiat sensitif se montre dans sa fuite et dans ce qui échappe, pour qu'un contenu pour le psychisme puisse émerger.

Ou en d'autres termes, ne porte à conséquence au niveau psychique que ce qui a été perdu au niveau de l'immédiateté ou de l'évidence du mouvement. Le stimulus, qui, pour quelque raison que ce soit, perd son statut d'évidence et d'immédiateté, ouvre la tâche d'en articuler la signification à partir d'un autre lieu. L’intériorisation psychique se fait sous forme d’une récupération du mouvement à travers les effets qu'il a produits, effets qui se montrent sous forme de rencontre ou résonance parfaite, ou sous forme d'obstacle et de perte.

L'appareil psychique est ce qui témoigne d'un parcours singulier de perte et d'appropriation du stimulus.

L'intériorité psychique est ainsi quelque chose qui demande, continuellement, à être comprise et appréhendée, mais qui résiste néanmoins à toute prise immédiate, et ceci de la manière la plus stricte. Le raisonnement de Freud tient: externe est ce à quoi nous pouvons échapper, interne est ce terme inconnu qui nous colle dessus, qui est imprégné dans tous nos mouvements et qu'il faudra perdre pour pouvoir le thématiser, pour pouvoir le signifier et l'interpréter. C'est à notre avis ce que Freud voulait dire lorsqu'il soulignait l'importance de l'inconscient comme « der andere Schauplatz ».

II.4 Dynamiques de l’Action Linguistique

II.4.1 L’Action Linguistique

Le langage est action. Qu’il soit parlé, entendu ou imaginé, c’est essentiellement un événement moteur. Cette idée paraîtra évidente dans le fait de parler, qui implique en effet la combinaison d’actions discrètes, ou de gestes, de six articulateurs fonctionnellement indépendants: les lèvres, l’apex, le dos et la racine de la langue, le velum et le larynx635. Un acte d’énonciation est une configuration particulière de ces articulateurs qui produit un phonème spécifique. La motricité de la parole est donc organisée par segments, mais le segment de phonèmes n’en est pas le seul type d’organisation. Selon le linguiste Studdert-Kennedy, chez l’enfant, c’est le mot dans son ensemble — dit mot holistique — qui est l’unité initiale d’action linguistique menant à l’émergence de segments plus fins dans le développement du langage636. Au début, les phonèmes qui composent le mot ne sont pas perçus comme indépendants. L’enfant ne dispose donc pas à ce stade de son apprentissage de ces phonèmes ou gestes articulatoires pour les utiliser dans une série illimitée d’autres

635 STUDDERT-KENNEDY M. (2000). Imitation and the Emergence of Segments. Phonetica, 57, 2-4.

636 STUDDERT-KENNEDY M. (1991). Language development from an evolutionary perspective. Dans Biological and behavioral determinants of language development, dir. Norman A. Krasnegor et al., Hillsdale (NJ), Erlbaum, 5-28; STUDDERT-KENNEDY M. &

GOODELL E. (1995). Gestures, features and segments in early child speech. Dans Speech and reading: a comparative approach, dir.B. de Gelder et J. Morais, East Sussex, Erlbaum, 65-85.

contextes637. Les gestes indépendants émergent automatiquement au contact de la langue, à force de trier les mots phonétiquement similaires. Les linguistes Davis et MacNeilage pensent ainsi que la syllabe (ou frame, cadre, structure) est un fondement précoce de la structuration de la parole638. D’un point de vue articulatoire, la syllabe est caractérisée par l’ouverture et la fermeture de la mandibule. Dans ce sens, les syllabes trouveraient leur origine dans les cycles de l’oscillation mandibulaire correspondant à l’ingestion. Elles seraient associées phylogénétiquement (et physiologiquement) aux actions de mâcher, de sucer et de lécher, qui auraient pris une nouvelle signification dans la communication à travers les claquements des dents, des lèvres et de la langue639.

Mais la perception du langage implique également la motricité, puisque l’accès à la dimension linguistique du signal auditif reçu requiert la mobilisation du système moteur propre comme nous l’avons déjà souligné640. Il en va de même dans le cas où la parole est imaginée sans être effectivement produite. Plusieurs études ont mis en évidence qu’il y a une activation de l’aire de Broca même pour des tâches expérimentales linguistiques qui ne passent pas par l’énonciation vocale641. Comme le suggère le chercheur Demonet, lors de ces tâches «des processus de traduction sensorimotrice entrent en action comme ils le font également dans d’autres phénomènes psychologiques tels que […] la parole intérieure, la boucle articulatoire de la mémoire de travail, ou les stratégies motrices adoptées par les enfants durant la période de l’acquisition du langage» 642. La parole intérieure (inner speech) ainsi que l’imagerie verbale auditive chez le sujet normal correspondent en effet à une activation de l’aire de Broca643. D’autres études démontrent que l’hallucination auditive chez le psychotique relève d’une énonciation subvocale644, comme si le sujet produisait effectivement une parole tout en se trompant dans l’attribution de son origine645. L’activité

637 STUDDERT-KENNEDY M. (2000). art. cité.

638 DAVIS B. & MACNEILAGE P. (1995). The articulatory basis of babbling. Journal of Speech and Hearing Research, 38, 1199-1211.

639 MACNEILAGE P.F. (1998). The frame/content theory of evolution of speech production. Behavioral and Brain Sciences, 21, 499-511.

640 Voir LIBERMAN A.M. & MATTINGLY I.G. (1985). The motor theory of speech perception revised. Cognition, 21, 1-36 et RIZZOLATTI G. & ARBIB M.A. (1998). Language within our grasp. Trends in Neuroscience, 21, 188-194.

641 Par exemple, FRIEDMAN L., KENNY J.T., WISE A.L., WU D., STUVE T.A. & MILLER D.A., JESBERGER J.A. & LEWIN J.B. (1998). Brain activation during silent word generation evaluated with functional mri. Brain and Language, 64, 231-256; RYDING E., BRADVIK B. & INGVAR D.H. (1996). Silent speech activates prefrontal cortical regions asymmetrically, as well as speech-related areas in the dominant hemisphere. Brain and Language, 52, 435-451; WISE R., CHOLLET F., HADAR U., FRISTON K., HOFFNER E. & FRACKOWIAK R. (1991). Distribution of cortical neural networks involved in word comprehension and word retrieval. Brain, 114, 1803-1817.

642 DEMONET J.F., WISE R. & FRACKOWIAK R.S.J. (1993). Language functions explored in normal subjects by positron emission tomography: a critical review. Human Brain Mapping, 1, 44.

643 MCGUIRE P.K., SILBERSWEIG D.A., MURRAY R.M., DAVID A.S., FRACKOWIAK R.S.J. & FRITH C.D. (1996). Functional anatomy of inner speech and auditory verbal imagery. Psychological Medicine, 26, 29-38.

644 GREEN M.F. & PRESTON M. (1981). Reinforcement of vocal correlates of auditory feedback: a case study. British Journal Of Psychiatry, 139, 204-208; BICK P.A. & KINSBOURNE M. (1987). Auditory hallucinations and subvocal speech in schizophrenic patients. American Journal of Psychiatry, 144, 222-225; LIDDLE P.F., FRISTON K.J., FRITH C.D., JONES T., HIRSCH S.R. &

FRACKOWIAK R.S.J. (1992).Patterns of regional cerebral blood flow in schizophrenia. British Journal of Psychiatry, 160, 179-186.

645 Par exemple DAVID A.S. (1994). The neuropsychological origin of auditory hallucinations. Dans The neuropsychology of schizophrenia, dir. A. S. David et J. C. Cutting, Hove, Lawrence Erlbaum, 269-313.

cérébrale enregistrée durant ces hallucinations verbales est en outre similaire à celle observée dans la production de la parole intérieure et de l’imagerie verbale auditive chez le sujet normal646.

II.4.1.1 L’action linguistique primaire

Comme toute action, le langage s’inscrit dans le modèle psychodynamique de l’action, c’est-à-dire qu’il est traité d’une part selon le processus primaire, de l’autre selon le processus secondaire. Dans le cas du processus primaire, s’il est vrai qu’il correspond à l’activité de la voie ventrale, il devrait en résulter, premièrement, que l’action linguistique primaire réagit de façon immédiate aux caractéristiques du matériel linguistique en activant les représentations stockées qui ressemblent au matériel-stimulus; deuxièmement, que l’action linguistique primaire n’est pas concernée par la disposition, la spatialité ou les positions relatives des stimuli linguistiques; et que, troisièmement, « le langage primaire » est le plus souvent soumis à l’intervention inhibitrice du processus secondaire dans le traitement conscient du langage. Un tel langage sera donc de type associatif, il ne tiendra pas compte de l’ordre des mots dans une phrase, ni de l’ordre des lettres dans un mot, mais restera le plus souvent inconscient, sauf dans les cas où l’inhibition secondaire est levée. Cette description correspond au le langage sur le mode du processus primaire647 comme décrit par Freud: «Les représentations qui transfèrent leurs intensités l’une sur l’autre sont dans les relations les plus lâches et elles sont unies par des associations que notre pensée méprise et qu’elle n’emploie que dans les jeux de mots. Ainsi, des associations par homophonie et par assonance sont considérées comme l’équivalent des autres.» 648.

Dans le document Des Fantômes dans la Voix (Page 192-195)