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LES RAPPORTS ENTRE LE CONTENU DES CONVENTIONS COLLECTIVES ET LE DROIT IMPÉRATIF

Dans le document Etudes de droit du travail (Page 157-164)

ET PROTECTION CONTRE LE LICENCIEMENT*

IV. LES RAPPORTS ENTRE LE CONTENU DES CONVENTIONS COLLECTIVES ET LE DROIT IMPÉRATIF

La convention collective doit respecter les limites posées par le droit impératif (A). Parfois, le législateur lui permet d'y déroger (8).

A) Les limites posées par le droit impératif 1) Généralités

S'il doit favoriser la négociation collective, le législateur peut aussi l'encadrer, pour préserver les valeurs qui lui paraissent essentielles et dont il craint l'abandon par les organisations patronales ou les employeurs. C'est ainsi, par exemple, que le droit du licenciement comporte un certain nombre de règles absolument impératives, auxquelles la négociation collective ne saurait déroger. Ce faisant, il protège la partie patronale, le cas échéant, contre sa propre faiblesse. A vrai dire, on ne connaît pas de situation dans laquelle les employeurs auraient accepté des dispositions sur le licenciement qui leur fussent

PROTECTION CONTRE LE LICENCIEMENT 157 excessivement défavorables. En édictant des règles absolument impéra-tives pour leur protection, le législateur s'est surtout montré soucieux de prévention.

Il faut reconnaître que, dans d'autres domaines, le législateur, plus pragmatique, s'est défendu d'établir des règles de prévention dont la nécessité n'avait pas, selon lui, été démontrée dans la réalité. Ainsi, se prononçant en 1967, lors de la révision du titre dixième du code des obli-gations, sur l'idée de protéger les salariés contre des licenciements abusifs, le Conseil fédéral l'a écartée, au motif que la jurisprudence des tribunaux n'avait pas révélé un véritable besoin en la matière41.

En regard de la prudence affichée à l'époque par le Conseil fédéral, on constate que, s'agissant de la protection des employeurs contre des clauses conventionnelles désavantageuses, le gouvernement ne se laisse pas retenir par le même scrupule: loin de s'interroger sur les besoins révélés par la pratique (et ne citant aucun exemple de convention collec-tive inadmissible de ce point de vue), il prend les devants.

Notre propos n'est pas de reprocher au Conseil fédéral d'avoir adopté des règles destinées à prohiber des conventions excessivement lourdes pour l'employeur, de son point de vue (qui peut naturellement se discu-ter). Il vise plutôt à mettre en évidence une certaine langue de bois dans laquelle, sous couvert de prudence et de pragmatisme, le gouvernement aime parfois à emballer des prétextes pour faire obstacle à l'adoption de règles nouvelles, plutôt que de dire franchement qu'il n'en veut pas.

2) La parité des délais de congé

L'un des principes à la base de la révision du titre dixième du code des obligations est celui de la parité des délais de congé: la loi veut protéger l'employeur contre des clauses contractuelles par où il accep-terait que le salarié puisse résilier son contrat moyennant un délai plus court que celui qui s'appliquerait en cas de Iicenciemenrl2. Cette manière de voir, fondée sur l'idée étrange que, dans le cadre du contrat de travail, l'employeur et le travailleur éprouveraient un égal besoin de protection, a été justement critiquée par le professeur Berenstein43 . Comme le souligne cet auteur, on ne saurait nier que le droit du travail doit assurer sur/oui la protection du salarié, qui est la partie la plus faible au contrat

41 FF 1967 Il 395.

42 FF 1984 Il 610.

43 BERENSTEIN, A., op. cil .. p. 485-486; BERENSTEIN, A.: «La "protection pan.

taire contre le congé" dans le contrat de tnvaib), in RSJ 1984, p. 108.

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(et non pas de l' employeur)44. Le Tribunal fédéral a rappelé récemment ce principe45, que le Conseil fédéral invoquait lui-même dans son message à l'appui de la loi fédérale sur le droit international privé46 .

Le législateur a consenti une exception au dogme de la parité lorsque l'employeur a manifesté son intention de résilier le contrat ou qu'il l'a résilié pour des motifs d'ordre économique: en une telle hypothèse, des délais de congé plus courts peuvent alors être prévus en faveur du travail-leur par accord, par contrat-type de travail ou par convention collective (art. 356a al. 2 CO).

Cette exception soulève deux difficultés. D'abord, à rigueur de texte, il semble que seuls en bénéficient les accords conclus alors que les licenciements économiques sont imminents ou qu'ils ont déjà été notifiés.

On discerne mal la raison d'être de cette restriction. En réalité, plusieurs conventions collectives prévoient à l'avance des dispositions sur les délais de congé en cas de licenciements économiques. Faut-il admettre que, faute d'avoir été convenues à chaud, ces dispositions ne seraient pas valables? Il ne semble pas que telle ait été l'intention du législateur. En fait, comme le montre le message du Conseil fédéral, ce dernier ignorait visiblement la pratique des partenaires sociaux47 . Voulant ouvrir la porte à des dérogations, il énonçait les hypothèses auxquelles il pouvait songer.

Il ne paraît pas qu'il entendait condamner des clauses d'ores et déjà insé-rées dans les conventions collectives en vue de licenciements futurs.

En second lieu, comment faut-il comprendre, à l'art. 335a al. 2 CO, l'expression «des délais de congé plus courts ( ... ) prévus en faveur du travailleuf»? Ce problème est important, car les conventions collectives qui abordent la matière fixent le plus souvent, en cas de licenciements économiques, des délais de congé plus longs pour l'employeur, en fonc-tion de l'ancienneté ou de l'âge du travailleur48 . Est décisive la ratio legis. Selon l'art. 335 a al. 1 CO, les deux parties au contrat ne peuvent se délier qu'en respectant un délai identique pour l'une et pour l'autre, de sorte que ce délai ne saurait, en principe, être plus court pour le

travail-44 BERENSTEIN, A., «La loi sur la résiliation du contrat de travai!», in Pladoyer 1989, n' l, p. 52.

45 ATFI14II283 =SJI988,p. 617.

46 FF 1983 1 402.

47 FF 1984 11618-619.

48 Convention précitée de l'imprimerie, art. 32 al. 8 et 9; convention précitée de l'indusoie des machines, art. 34; convention précitée de l'industrie chimique bâloise, art. 8 al. 2; convention précitée de l'horlogerie, art. 12.10.1.

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leur que pour l'employeur; le législateur a voulu protéger le second, surtout durant les périodes de haute conjoncture, contre des accords qui, à son détriment, donneraient au premier une liberté plus grande que celle dont il jouit lui-même. Cependant, la dérogation prévue à l'al. 2 de cette disposition doit permettre au travailleur d'échapper à une telle règle lorsque la résiliation est voulue par l'employeur et découle de motifs économiques. En effet, dans ce cas, le salarié ne peut pas profiter de la situation pour imposer à son cocontractant, contre son gré, des délais déséquilibrés. Au contraire, vu la précarité de sa position économique, il se justifie de le mettre au bénéfice d'un traitement plus souple. Des délais de congé plus courts en sa faveur peuvent alors résulter soit de la réduc-tion du délai contractuel, initialement égal pour les deux contractants, de sorte que le travailleur est tenu par un préavis abrégé; soit de la prolon-gation de ce délai, de sorte que l'employeur doit respecter un préavis plus long, qui aide le travailleur à chercher un nouvel emploi. Dans ces deux hypothèses, le délai de congé est plus court pour le travailleur que pour l'employeur; dans l'une comme dans l'autre, cette différence se trouve convenue en faveur du premier, de sorte qu'elle ne se heurte pas au droit impératif.

3) La sanction du licenciement abusif

En vertu de l'art. 336a CO, la sanction du licenciement abusif consiste dans une indemnité égale, au maximum, à six mois de salaire.

Cette règle revêt un caractère absolument impératif, si bien que les parties ne peuvent convenir d'une sanction différente, au détriment de l'employeur (art. 361 CO). C'est dire qu'une convention collective ne pourrait valablement prévoir, comme sanction du licenciement abusif, la réintégration du salarié.

La doctrine, sur ce point, est divisée. Selon l'opinion majoritaire, il n'est pas licite de fixer dans un contrat individuel ou une convention collective, en cas de résiliation abusive, une indemnité supérieure à six mois de salaire49 . Une opinion minoritaire veut appliquer le principe de la parité, de sorte qu'une sanction plus sévère pourrait être prévue à l'encontre des deux parties50. Toutefois, le principe de la parité manque ici de pertinence, car une aggravation de la sanction mettrait en cause le caractère absolument impératif de la norme, qui n'autorise aucune déro-gation, ni au détriment de l'employeur, ni à celui du travailleur (art. 361

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Dans ce sens, MEIER, K., p. 48; FRITZ, M., n" 1 ad art. 336a.

BRUNNER, C., WAEBER, J. B., et BÛHLER, J. M., p. 168.

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CO). L'interdiction d'une sanction plus stricte que la pénalité de six mois de salaire exclut, afortiori, la réintégration51 .

B) Les dérogations aux dispositions impératives par la voie de la convention collective

Conclue, du côté des salariés, par un ou plusieurs syndicats, la convention collective offre une notable garantie de protection en faveur des travailleurs. Le législateur a estimé que cette garantie était assez forte pour qu'il puisse renoncer à l'application de certaines dispositions impé-ratives de la loi, en laissant aux parties à la convention le soin d'établir les règles les plus appropriées. C'est ainsi que sont aménagées des déro-gations au code des oblidéro-gations par la voie de la convention collective52.

Dans le domaine du licenciement, ce mécanisme joue un rôle non négligeable. Ainsi, après le temps d'essai, la loi prévoit, d'une manière générale, un délai de congé d'un mois pendant la première année de service; toutefois, par convention collective, ce délai de congé peut être abrégé (art. 335c al. 2 CO).

V. CONCLUSION

Dans le domaine du licenciement, la négociation collective n'a pas joué le rôle que le Conseil fédéral attendait, si bien que la protection légale revêt aujourd'hui une importance toujours plus grande.

Le législateur a prévu lui-même une réglementation relativement étoffée des licenciements individuels (répression du congédiement abusif, qui inclut le régime spécial en faveur des militants syndicaux et des représentants élus des travailleurs). Toutefois, il laisse aux parte-naires sociaux le soin de conclure des accords sur les licenciements collectifs, qu'il s'agisse d'instituer des procédures de consultation ou de mettre en œuvre, selon les circonstances, cet instrument nouveau qu'est le plan social; à vrai dire, dans le cadre du rapprochement de la Suisse et de la Communauté européenne, le parlement devra édicter lui-même des

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FRITZ, M., nO 1 ad art. 336a; con/ra: MEIER, K., p. 48, sans aucune explication.

Au sujet des dérogations conventionnelles aux règles de droÎt public, cf AUBERT, G., «L'aménagement de dêrogations à la loi sur le travail dans le cadre de conven~

tians collectives •• , in DrAC 1989, p. 42, reproduit dans le présent volwne, p. 211.

.',

PROTECTION CONTRE LE LICENCIEMENT 161 dispositions nouvelles en la matière, pour adapter notre droit aux exigences de la directive de 197553 .

Si elle promeut la protection des salariés, la loi s'attache aussi à préserver la liberté des employeurs, en privant d'effet les clauses des conventions collectives qui les désavantageraient excessivement par rapport aux salariés. Ce faisant, elle entend exercer une action préven-tive, qui ne répond pas vraiment à des besoins actuels. Les considérations dogmatiques sur lesquelles le législateur s'est fondé, en 1988, pour borner la négociation collective, sont surprenantes, si on les compare avec les intentions apparemment plus pragmatiques qui ont présidé à la révision du titre dixième en 1971.

53 Addendum. Cf. AUBERT, G., «La nouvelle réglementation des licenciements collectifs et des transferts d'entreprises~), in Journée /994 de droit du travail et de la sécurité sociale, Zurich 1995, p. 87 55.

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