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L'ARRÊT GEORGES CONTRE KRAMER

Dans le document Etudes de droit du travail (Page 172-176)

LE CONTRAT DE TRAVAIL PARTIAIRE *

V. L'ARRÊT GEORGES CONTRE KRAMER

1) Dans l'affaire Georges, le Tribunal fédéral ne s'est pas inspiré des règles rappelées ci-dessus. Georges avait travaillé dans le salon de coif-fure de Kramer du 31 octobre au 23 décembre 1978. Sa rémunération était de 40% de son chiffre d'affaires. Georges avait apporté sa clientèle et jouissait d'un horaire libre. Son chiffre d'affaires n'était toutefois pas assez élevé pour lui valoir une rémunération qui correspondît au mini-mum fixé par la convention collective nationale des coiffeurs, du 9 juin 1975, étendue par le Conseil fédéral le 10 mai 1976, avec effet jusqu'au 31 décembre 197823. \1 réclama donc au maître-coiffeur la différence entre le gain touché et le salaire calculé selon cette convention.

Le salaire de Georges consistait uniquement dans une participation à son chiffre d'affaires individuel, c'est-à-dire dans des commissions. Pour le Tribunal fédéral, «ces éléments - caractère aléatoire de la rémunéra-tion (du garçon-coiffeur), qui lui faisait partager dans une large mesure les risques et profits de l'entreprise - définissent l'accord des parties non pas comme un contrat de travail au sens des art. 319ss CO et de la convention collective, mais comme un contrat de travail partiaire ( ... ), voire un contrat de société. Dans les deux cas, le mode de rémunération visé par ( ... ) la convention collective était manifestement inapplicable aux rapports juridiques des parties. Celles-ci sont librement convenues d'une collaboration soumise à d'autres règles»24.

Cette manière de voir nous semble discutable pour plusieurs raisons. 2) D'abord, elle repose sur une conception trop étroite de la figure du contrat de travail. La loi ne tient pas la participation aux profits et aux risques pour incompatible avec cette figure. Au contraire, elle admet que les parties choisissent la commission (de même que la participation au résultat de l'exploitation) comme seul mode de rémunération. En

sous-22 On trouve la liste des conventions collectives de travail étendues in La Vie écono-mique 1982, p, 678. Sur la convention collective nationale pour les hôtels,

restau-23 24

rants et cafés, voir FF 1982 1 876, sur la convention collective nationale des ~~.

coiffeurs, FF 1980 Il 856, 19821257.

Voir FF 1976 11738.

ATF 106 (1980)" 46 s.

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trayant le contrat de travail partiaire à l'application des art. 319ss du code des obligations, le Tribunal fédéral paraît inattentif à ce point. De plus, il contredit sa propre jurisprudence et se heurte à une doctrine fort cohérente25 .

3) En second lieu, l'arrêt Georges se fonde sur une notion trop large de la société simple, qui serait caractérisée essentiellement par le mode de rémunération. Or, nous avons vu que ce critère n'est pas déterminant.

Il aurait fallu étudier les autres aspects. Georges devait une presta-tion de travail. Certes, il avait également apporté sa clientèle. Mais, dans ce métier, les clients suivent volontiers les garçons-coiffeurs lorsque ces derniers changent de place26. S'agissait-il donc nécessairement d'un apport au sens des règles sur la société simple? De toute façon, ce dernier ne jouait-il pas qu'un rôle accessoire? En outre, le Tribunal fédéral paraît douter que Georges ait dû son temps à Kramer, en raison de son horaire libre. Mais, d'habitude, l'horaire dit libre astreint le travailleur à certaines heures de présence obligatoire. Du reste, le garçon-coiffeur s'est vu octroyer une indemnité de vacances qui, liée à la mise à disposition du temps, est typique du contrat de travail27. Quoi qu'il en soit, il demeurait indispensable de rechercher si les deux parties, mues par un «animus societatis», avaient un but commun. Enfin, l'arrêt n'examine pas le problème du rapport de subordination, lequel représente pourtant une pierre de touche en la matière. Il ne souligne aucun indice révélateur d'une prise commune des décisions.

4) De plus, l'arrêt fait trop peu de cas des dispositions prises, dans le cadre de l'ordre juridique, pour protéger les garçons-coiffeurs payés à la commission. Etendue par le Conseil fédéral, la convention collective nationale des coiffeurs s'appliquait à tous les contrats de travail passés dans la branche28. Quant au mode de rémunération, son article 27 impo-sait aux parties une alternative excluant toute autre possibilité: soit un salaire fixe, soit un salaire minimum, avec provision sur le chiffre d'affaires individuel. Dans chacune de ces deux hypothèses, le salaire ne devait pas être inférieur à un montant déterminé à l'art. 28. La conven-tion interdisait donc le système .de rétribuconven-tion fondé uniquement sur les commissions. Elle obligeait les employeurs à garantir un salaire mini-mum en tout état. La seule volonté des parties ne pouvait suffire pour

25 Cf notes 4 et 9 supra.

26 Cf KUHN, R., Das Konkurrenzverbot im Arbeitsvertragsrech/. Muri BE, p. 21.

27 SCHWEINGRUBER, p. 22.

28 Cf note 23 supra.

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écarter l'application de la réglementation collective, précisément conçue de manière il l'emporter sur les accords individuels moins favorables au travailleur.

5) Dans une perspective plus générale, l'arrêt Georges suscite d'autres difficultés.

Le Tribunal fédéral laisse entendre que le contrat de travail partiaire pourrait être un contrat innommé, à mi-chemin entre le contrat de travail et la société simple. Or, selon la jurisprudence, les conventions qui ont pour objet une prestation de travail et qui ne correspondent pas à un type défini par la loi se trouvent régies par les dispositions relatives au mandat (numerus clausus, art. 394 al. 2 CO). Echappent à cette règle certains contrats mixtes dont les éléments se rapportent non seulement il une prestation de travail, mais aussi à d'autres prestations (par exemple la cession de l'usage d'une chose)29. Tombent ainsi sous le coup du nume-rus clausus et sont gouvernés par les dispositions relatives au mandat: le contrat de gérance d'un immeuble (éléments du mandat et du contrat de travail)30 et le contrat de «management» entre une chanteuse et son impresario (éléments du mandat et de la société simple )31. Est admis-sible, en dehors du numerus clausus, le contrat mixte de concierge (éléments du contrat de travail et du bail)32. Ayant pour objet une presta-tion de travail, le contrat de travail partiaire peut-il s'affranchir du nume-rus clausus? Bien qu'il ne paraisse pas l'envisager, le Tribunal fédéral lui appliquera-t-il vraiment les règles du mandat?

Supposé qu'un contrat de travail partiaire innommé soit concevable (qui mêlerait des éléments du contrat de travail et de la société simple), quelles seront les obligations des parties? L'une fournit son travail. Et l'autre? Elle versera à la première une participation à son chiffre d'affaires individuel. Lui accordera-t-elle, comme Kramer, des vacances payées? Quid, par exemple, de la rémunération en cas d'empêchement de travailler (art. 324a CO); de la prévoyance professionnelle (art. 331 CO);

du délai de résiliation (art. 334 ss., 545 s. CO) et des éventuelles conven-tions collectives applicables? En un mot, que fera-t-on des nombreuses dispositions absolument ou relativement impératives du titre X (art. 361

29 Cf ATF 106 (1980) II 157, 159; 104 (1978) II 108, 1 lOs. =JT1980 177, 79. Sur les contrats innommés en général, cf SCHLUEP, w. R., <dnnominatvertrage». in Schweizerisches Privatrecht. vol. VII. t. 2, Bâle et Stuttgart 1979, p. 761 S5. 770 55,

813 note 170; voir aussi VISCHER, p. 41 s.

30 CfATF 106 (1980)11 157, 159; 104(1978)11108, III =JT 1980 1 77, 79.

31 Cf ATF 104 (1978) Il 108, 112 = JT 1980 1 77, 81.

32 CfATF 104(1978) Il 108, III =JTl980 1 77, 79. VoiraussiSJ 1982,p.209s.

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et 362 CO)? Quand les parties auront-elles la faculté d'éluder la protec-tion33 du travailleur, voulue par le législateur?

VI, CONCLUSION

Selon l'opinion traditionnelle, bien qu'il prévoie une rémunération variable, liée aux profits et dans une certaine mesure aux risques, le contrat de travail partiaire reste un contrat de travail. L'arrêt Georges infirme cette manière de voir. Le Tribunal fédéral n'a guère explicité les motifs d'un tel bouleversement. Nous avons tenté de montrer que la jurisprudence nouvelle s'inspire d'une notion trop étroite du contrat de travail et d'une conception trop large de la société simple. Elle multiplie les problèmes délicats dans le domaine des contrats innommés. Et surtout, elle néglige les dispositions impératives visant à protéger les salariés. Or, c'est précisément dans une situation comme celle de Georges, dont la rétribution était inférieure au minimum fixé par la convention collective, qu'une telle protection révèle sa nécessité.

33 Cf SCHLUEP, p. 793; SlEGWART, Vorbem. zu Art. 530·531, note 72.

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