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ETUDES DE DROIT DU TRAVAIL

Dans le document Etudes de droit du travail (Page 91-96)

SOUMISSIONS PUBLIQUES ET CONVENTIONS COLLECTIVES DE TRAVAIL *

B) La liberté du commerce et de l'industrie

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conséquent, les primes qu'elles prélèvent auprès des employeurs et des travailleurs soient inférieures à celles demandées par les institutions proches des majoritaires.

Vu les liens moraux (et parfois financiers) étroits entre les organisa-tions professionnelles et les instituorganisa-tions sociales, les mesures de contrainte visant l'affiliation à celles-ci doivent être traitées de la même manière que celles visant l'affiliation à celles-là. L'État ne saurait donc, dans le cadre des procédures de soumission, imposer l'application des conventions qui prévoiraient l'affiliation obligatoire des employeurs et des salariés à une institution reconnue par elles, lorsque les intéressés ont la possibilité de fonder ou de s'adresser à une autre institution offrant les mêmes prestations50.

Comme on l'a vu, la réglernentation valaisanne sur les soumissions oblige les entreprises à «décompter» régulièrement avec les caisses sociales valaisannes créées par les conventions collectives et gérées par les associations professionnelles intéressées51. Dans la mesure où elle s'écarte des principes ci-dessus, cette réglementation nous parait contraire au droit fédéral52.

Les mêmes principes s'appliquent dans le domaine de l'extension. En particulier, la convention ne doit pas porter atteinte à la liberté d'associa-tion ni en particulier au droit de s'affilier à une associad'associa-tion ou de ne pas le faire. C'est en effet un principe essentiel du droit collectif du travail que les organisations professionnelles ne peuvent prendre des disposi-tions ayant pour efTet, juridiquement ou économiquement, de contraindre les employeurs ou les salariés à devenir membres de l'une d'entre elles ou d'empêcher leur affiliation à une organisation tierce, voire de provoquer leur démission d'une telle organisation 53.

0) L'art. 4 al. 1 de la Constitution fédérale a) Le respect des minorités

En imposant le respect des conventions collectives dans le cadre du régime des soumissions, l'État ne doit pas méconnaître les intérêts des

50 Cf le même resultat in JAAC 35 (1970·1971) n' 10, p. 40, Homère.

51 Art. 2 al. 1 lit. c de l'arrêté précité de 1974.

52 Cf , dans le même sens, un avis de droit du professeur F. VISCHER, au Département valaisan de l'économie publique en date du 7 mai 1987.

53 An. 2 ch. 5 LECCT; cf l'art. 356a al. 1 CO; SCHWElNGRUBER, E., BIGLER, F.

W., (note 5), p. 1 JO.

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minorités quand ces intérêts résultent de la diversité des conditions régionales et des entreprises et justifient un traitement particulier. Il serait en effet contraire à l'art. 4 Cst. féd. de régir de façon uniforme des situa-tions nettement différentes, sauf nécessité objective contraire.

Ainsi, l'État ne peut pas empêcher des entreprises situées dans des régions moins prospêres ou désavantagées par les distances (transports) de compenser ces handicaps en pratiquant, par exemple, des salaires plus bas. JI ne peut pas non plus, sans autre examen, imposer les mêmes contraintes, en fait de durée du travail par exemple, aux grandes et aux petites entreprises54.

Le même principe s'applique dans le domaine de l'extension, qui doit tenir équitablement compte des intéréts des minorités dans les branches économiques ou professions visées par el1e, quand ces intérêts résultent de la diversité des conditions régionales et des entreprises55.

b) Le respect des majorites?

L'État peut-il, dans le domaine des soumissions, imposer le respect de conditions de travail fixées par une minorité d'employeurs ou de travailleurs? Contrairement à l'extension, qui intervient à la demande d'organisatiol)s patronales ou syndicales majoritaires56 désireuses de recevoir de l'Etat un pouvoir quasi-législatif, l'obligation, prévue dans le cadre du régime des soumissions, d'appliquer la convention col1ective de la branche ne suppose pas l'octroi d'un tel pouvoir. El1e constitue seule-ment la contrepartie d'un avantage sollicité par l'employeur auprès de l'État. L'intérêt de ce dernier à favoriser la négociation collective est en principe suffisant même si le texte n'est accepté que par une minorité. Il suffit donc que la négociation de la convention collective ait été ouverte à toutes les organisations représentatives de la branche; peu importe que, en fin de compte, seules certaines d'entre elles concluent l'accord.

Il faut toutefois réserver, deux exceptions. D'abord, on l'a vu, la procédure mise en place par l'Etat ne doit pas avoir pour but ou pour effet d'étendre la convention col1ective à toute la branche en frustrant les inté-ressés de la protection prévue par la loi de 1956. En outre, si l'État

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SCHWEINGRUBER, E., BIGLER, F. W., (note 5), p. 105-106.

Art. 2 ch. 2 LECCT.

SCHWEINGRUBER, E., BIGLER, F. W., (note 5), p. 106-108; BOeN 1938, p. 378 et 382; FF 1945 1 905 et FF 1954 1 172; la réglementation des quorums a été .---critiquée: cf TSCHUDI, H.-P., «Die Revision des Bundcsgesetzes über die AVE von GA V)), in MitreiJungen des Instituts for Schweizerisches Arbeitsrecht /986, p. 61-62; cf aussi AUBERT, G., «L'extension ... », p. 58.

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méconnaissait de façon injustifiée les intérêts légitimes de la majorité, sa décision se heurterait à l'art. 4 Cst. féd.

c) L'égalité dans l'application de la convention collective

Contraints d'appliquer une convention qu'ils n'ont pas conclue, les minoritaires ou les dissidents doivent être traités de la même façon que les membres des parties contrac~tes. Leur imposant les mêmes obliga-tions qu'aux entreprises liées, l'Etat doit leur reconnaître les mêmes droits. En proportion du nombre de leurs adhérents, les organisations minoritaires doivent donc disposer de sièges à la commission paritaire créée, le cas échéant, par la convention collective. Ils doivent aussi être représentés dans les organes des caisses de compensation ou de prévoyance reconnues par cette dernière, lorsqu'il n'existe pas d'autres caisses auxquelles ils puissent s'affilier. En outre, les dissidents et les minoritaires ne sauraient faire l'objet de contrôles plus stricts que les membres des organisations signataires57.

Or, nous avons vu qu'à Genève les procédures de contrôle du respect de la convention collective varient selon que les employeurs sont ou non membres de la ou des organisations signataires. Lorsqu'ils appartiennent à une telle organisation, c'est la commission paritaire qui effectue les contrôles; dans la négative, c'est l'inspection du travail. En pratique, l'inspection du travail et les minoritaires ignorent les méthodes, les critères et l'étendue des contrôles effectués par la commission paritaire;

inversement, l'inspection du travail ne communique pas le résultat de ses enquêtes à la commission paritaire. Il est fort douteux, dans ces condi-tions, que les membres de l'organisation patronale signataire fassent l'objet d'un contrôle aussi strict que les dissidents ou les minoritaires.

Faute de transparence, le système en place n'offre donc pas de garantie suffisante que l'égalité de traitement se trouve effectivement respectée.

Dans le domaine de l'extension, le contenu des dispositions appli-quées aux tiers a priori non liés ne doit pas violer l'égalité devant la loi;

au surplus, dans l'application de la convention, tous les travailleurs à qui s'applique la convention doivent être traités sur un pied d'égalité 58.

57 Un arrêt ancien, qui n'a rien perdu de son actualité, laisse entendre que le principe de l'égalité devant la loi interdit aux parties à la convention collective de laisser au seul syndicat majoritaire le droit de désigner les membres des organes d'exécution de la convention: cf ATF75 II 328 =JT1950 1182.

58 Art. 2, ch. 4 LECCT et art. 5 al. 1 LECCT; SCHWEINGRUBER, E., BIGLER, F.

W., (note 5); p. 108 et 118.

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d) Les conditions spéciales relatives à l'organisation et à la gestion des caisses de compensation

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Nous avons relevé que l'administration ne peut imposer à une entre-prise l'obligation de s'affilier à une caisse de compensation lorsque l'employeur désire demeurer lié à une autre institution offrant les mêmes prestations. Lorsqu'une seule caisse permet à l'employeur de remplir envers les salariés les obligations découlant de la convention collective, l'État peut exiger de l'entreprise qu'elle s'y affilie.

Cette règle s'applique aussi bien dans le domaine des soumissions que dans celui de l'extension 59. Toutefois, pour éviter toute discrimina-tion contraire à l'art. 4 Cst. féd., il faut que l'organisation de la caisse soit réglée de façon satisfaisante et qu'une gestion correcte soit assurée. Cela suppose, en particulier, que les dissidents et les minoritaires aient accès à la comptabilité de la caisse et que celle-ci fournisse toutes les explica-tions utiles sur ses dépenses. Évidemment, les minoritaires conservent la faculté de créer en tout temps une institution servant les mêmes pres-tations.

e) Information et consultation des intéressés

Selon la jurisprudence traditionnelle, les entreprises ne peuvent atta-quer pour violation de la constitution le refus, par l'État, d'une commande ou d'une allocation de travaux publics60 . En revanche, la décision d'imposer aux soumissionnaires le respect d'une convention collective déterminée peut être attaquée par la voie du recours de droit public en cas de violation de la constitution61 .

Nous ne pouvons pas examiner ici dans quelle mesure les ordon-nances administratives doivent être publiées. Afin que les minoritaires et les dissidents puissent faire valoir utilement leurs droits, il serait à tout le moins opportun, en pratique, que l'État publie ou, du moins, annonce en les rendant accessibles, les conditions de travail qu'il entend imposer aux soumissionnaires. JI devrait donner aux dissidents et aux minoritaires l'occasion de s'exprimer à leur sujet. Ainsi garanti, le droit d'être entendu permettrait de faire en sorte que les intérêts légitimes des minoritaires et des dissidents soient sauvegardés.

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Art. 3 LECCT.

Rapport de MANFRINI, P. L., (note 34), ch. 4. ~~

ATF 102 (1976) la 539, USIT; AUER, A, p. 177-178; MANFRINI, P. L., (note 36), p. 243 et 248 ss; ZIMMERMANN, R., (note 36), p. 133-135.

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Il sied d'ailleurs de noter que dans le domaine de l'extension, pour protéger les dissidents et les minoritaires, la loi de 1956 prévoit, pre-mièrement, la publication de la demande d'extension de la convention collective; deuxièmement, la faculté, pour les intéressés, de faire opposi-tion à cette demande; enfin, l'obligaopposi-tion, à la charge de l'autorité compé-tente, de prendre une décision notifiée aux opposants62 .

E) La force dérogatoire du droit fédéral

Nous avons signalé plus haut la jurisprudence relative à la compati-bilité du régime des soumissions avec la loi de 1956. Pour que soit pleinement respecté le principe de la force dérogatoire du droit fédéral, la convention étendue dont l'État exige le respect par les soumissionnaires ne doit en outre rien contenir de contraire aux autres normes de droit fédéral (art. 2 DT).

Si la convention collective renferme une disposition illicite, l'État devra exiger des entreprises soumissionnaires qu'elles renoncent à l'appliquer. Ainsi, par exemple, dans l'imprimerie, la récente convention prévoit expressément un système de rémunération discriminatoire au détriment des femmes. En adressant des commandes aux imprimeurs, l'administration devra spécifier, parmi ses conditions, que l'entreprise est tenue de verser le même salaire aux travailleuses et aux travailleurs non professionnels63 .

Le même principe s'applique en matière d'extension de la convention collective64 .

62 Art. 9, 10 et 12 LECCT.

63 Cf l'art. 114 de la convention collective de l'imprimene, 1988-1994, qui prévoit une difference de salaire mensuel de plus de FS 400, pour cette catégorie de travailleurs, à combler par paliers successifs jusqu'à l'expiration de l'accord; cf AUBERT. G., (L'égalité des sexes dans le domaine du travail» in L'égalite entre hommes et femmes, Lausanne 1988, p. 170, reproduit dans le present volume, p. 53.

64 Art. 2 ch. 4 LECCT.

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V. LES EFFETS, SUR LES CONTRATS INDIVIDUELS DE TRAVAIL,

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