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LA PROTECTION DE LA CONCURRENCE LOYALE

Dans le document Etudes de droit du travail (Page 68-74)

À PROPOS DE LA QUALITÉ POUR AGIR DES ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES*

II. LA PROTECTION DE LA CONCURRENCE LOYALE

Notre problème peut également être envisagé sous un angle diffé-rent, qui ouvre des horizons plus larges: celui des rapports de concur-rence entre les intéressés.

A) L'art. 7 LeD

1.1 Les discriminations salariales faussent le jeu de la concurrence entre les entreprises. En effet, les employeurs qui, pour un même travail, allouent aux femmes et aux hommes un même salaire se trouvent désavantagés par rapport à ceux qui pratiquent des coûts de production '

9 Cf. TERCIER, P., p. 113 et 244, avec réf.; BUCHER, A., p. 140, avec réf.

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plus bas en offrant aux femmes un salaire inférieur à celui des hommes (toujours pour un même travail).

Parallèlement, les discriminations salariales faussent le jeu de la concurrence entre les travailleurs. En efTet, l'employeur et la travailleuse qui s'entendent pour fixer un salaire plus bas au détriment de cette dernière, pour un même travail, créent une sous-enchère doublement nuisible. D'une part, les autres travailleuses de la branche, non victimes de discrimination salariale, risquent leur emploi, car leurs employeurs éprouvent une charge plus lourde que leurs concurrents déloyaux. D'autre part, les autres travailleurs (masculins) de la branche risquent également leur emploi, car leur employeur peut être tenté de le confier à une travail-leuse acceptant un salaire discriminatoire.

1.2 Selon l'art. 7 LCD, agit de façon déloyale celui qui, notamment, n'observe pas les conditions de travail légales qui sont également impo-sées à la concurrence. Cette disposition existait déjà sous l'ancien droit1O.

L'on ne connaît pas de jurisprudence à son sujet.

L'application de l'art. 7 LCD suppose, d'abord, l'existence de condi-tions de travail; en second lieu, l'existence de condicondi-tions de travail légales; enfin, l'obligation, à la charge des autres entreprises concur-rentes, de respecter également ces conditions de travail légales.

a) Le montant du salaire fait à l'évidence partie des conditions de travail 1 1.

b) Les conditions de travail légales sont celles imposées par une

«loi». Comme l'admet la doctrine, la notion de loi, selon cette disposi -tion, doit être entendue dans son sens large, aussi bien matériel que formel 12. Peu importe donc que l'interdiction de la discrimination sala-riale entre femmes et hommes ne résulte pas stricto sensu de la loi, mais de la constitution elle-même (art. 4 al. 2, 3ème phrase). Cette solution se trouve d'ailleurs dictée par le but même de la norme, laquelle veut empêcher que, violant les dispositions impératives (de tout rang) applicables simultanément à elles et à leurs concurrents, une entreprise ne fausse les conditions de la concurrence. On ne voit pas comment, à

la FF 198311 1105.

Il VON BûREN) R.. Kommenlar zum Bundesgesetz über den unlauteren Wettbewerb, Zurich 1945, p. 118-119.

12 VON BÛREN, R., op. cit., p. 119, qui précise «Durch "Gesetz", d.h. durch einen Erlass einer mit gesetzgeberischer Gewalt ausgestattenen Staatsbehôrde»; voir aussi p. 119-121; panni les dispositions impératives en cause, l'art. 7 LeD vise expres-sément les conventions collectives (conditions de travail contractuelles).

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cette fin, le respect des obligations imposées par la constitution devrait être moins bien assuré que celui des obligations découlant d'une loi, d'une ordonnance ou d'une convention collective13.

c) Le respect de l'art. 4 al. 2 dernière phrase est. féd. s'impose à tous les employeurs en Suisse. Il s'agit donc typiquement d'une norme qui oblige l'ensemble des entreprises concurrentes dans la branche consi-dérée.

1.3 Il résulte de ce qui précède que le fait, pour un employeur, de ne pas respecter le principe constitutionnel de l'égalité des salaires entre femmes et hommes, pour un même travail, représente un acte de concurrence déloyale réprimé par l'art. 7 LeD.

D) La qualité pour agir des organisations professionnelles

2.1 Selon l'art. 10 al. 2 lit. a LeD, lorsqu'est commis un acte de concurrence déloyale, ont notamment qualité pour agir contre l'auteur les associations professionnelles et les associations économiques que leurs statuts autorisent à défendre les intérêts économiques de leurs membres.

Qu'un syndicat de travailleurs soit une organisation professionnelle, aussi bien qu'économique, se passe de démonstration. D'abord, selon l'usage courant, ces mots s'appliquent parfaitement à une telle organisa-tion. De plus, il est évident qu'un syndicat, qui regroupe les travailleurs d'une ou plusieurs professions, a pour but de défendre les intérêts éco-nomiques de ses membres. A notre avis, il en va de même des organisa-tions féminines.

Comme l'indiquent les travaux préparatoires, la qualité pour agir des organisations professionnelles et économiques est définie de façon large.

Premièrement, elle ne suppose pas que ces organisations établissent le droit de leurs membres eux-mêmes d'intenter l'action. Il suffit que leurs statuts les autorisent à défendre les intérêts économiques de leurs membresl4. Deuxièmement et surtout, la qualité pour agir ne suppose pas un rapport de concurrence entre le défendeur et le demandeur. Ce dernier peut agir même contre un tiers qui ne se trouve pas dans un rapport de concurrence avec lui 15. En effet, la loyauté de la concurrence doit être

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14 15

De toute façon, il serait possible de faire intervenir ici la clause générale de l'art. 2 LeD: cf TROLLER. A., Immaterialgüte"echt, Bd. JI, Bâle 1985, p. 960. ,...-FF 1983111109-1110.

FF 1983 11 1093 et 1108-1109; cf ATF 117 IV 196-197.

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sauvegardée partout, en raison de son importance de principe pour le fonctionnement de l'économie l6.

2.2 Ainsi, lorsqu'un employeur viole l'interdiction de la discrimina-tion salariale, toute organisadiscrimina-tion syndicale de la branche, voire toute organisation féminine, a qualité pour agir contre lui.

Comme on l'a vu, peu importe que cette organisation ne se trouve pas dans une relation de concurrence avec cet employeur, car sa qualité pour agir a pour but de sauvegarder non pas ses intérêts directs, mais le fonctionnement loyal de la concurrence dans notre système économique.

2.3 Selon l'art. 10 al. 2 lit. a LCD, en relation avec l'art. 9 al. 1 LCD, l'organisation économique ou professionnelle qui allègue une violation de la loi sur la concurrence déloyale peut demander au juge, notamment, de la faire cesser, si elle dure encore l7 . Elle conclura donc à ce que l'employeur soit condamné, sous menace des sanctions prévues à l'art.

292 CP, à cesser les pratiques discriminatoires attaquées, c'est-à-dire à respecter l'art. 4 al. 2, troisième phrase de la constitution.

Cette disposition vise à supprimer les discriminations salariales exis-tantes. Selon la doctrine et la jurisprudence, une telle suppression doit se faire en faveur des victimes de la discrimination. Pour un travail égal, les salaires des femmes doivent donc être alignés sur ceux des hommes (et non l'inverse)l8.

III. REMARQUE SUR L'EMPLOI DES ÉTRANGERS

Les observations qui précèdent se rapportent à l'interdiction de la discrimination salariale à raison du sexe. Elles peuvent naturellement être transposées dans d'autres domaines, en particulier l'emploi des étrangers.

Aujourd'hui, à teneur du droit suisse, les employeurs ont l'obligation d'appliquer aux travailleurs étrangers des conditions de travail

équiva-16 TROLLER, A., p. 919.

17 Cf aussi FF 1983 Il Il Il.

18 Cf AUBERT, G., p. 163, avec des références à ta jurisprudence cantonale et li CAMP1CHE, A., MAHRER,l., STAEHELlN, A., HUBER H., et VISCHER, f., ad p. 46 du présent ouvrage; voir aussi, exactement dans le même sens, ATF 116 V 198 =RCC 1990, p. 530, commenté in VIRET, 8., «La jurisprudence récente du Tribunal fédéral des assurances en matière de prévoyance professionnel1e,), Journée 1991 de droit du travail el de la sécurité sociale, Zurich 1991, p. 13-14 .

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lentes à celles en usage pour les salariés indigènesl9 . L'entreprise qui viole cette règle commet, envers les autres employeurs de la branche, un acte de concurrence déloyale selon l'art. 7 LCD. Comme on l'a vu, les organisations professionnelles et économiques, qu'elles regroupent des employeurs ou des travailleurs, ont la qualité pour agir contre lui.

Demain, le même principe résultera de l'acquis communautaire. Qu'il suffise de citer l'une des dispositions les plus importantes du droit euro-péen du travail: «Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres Etats membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notanunent en matière de rémunération ( ... )>>20.

Cette interdiction de la discrimination salariale s'applique directement à tous les employeurs. Lorsqu'elle aura pénétré dans notre droit, rien ne s'opposera à ce que les organisations professionnelles et économiques s'efforcent d'en assurer le respect en invoquant la loi fédérale sur la concurrence déloyale.

IV. CONCLUSION

La lutte contre les discriminations revêt une importance croissante.

La Suisse n'a pas pris, en cette matière, les mesures qu'impose le libéra-lisme moderne. Toutefois, dans le cadre du droit positif, le régime protecteur de la personnalité (art. 28 ss CC) et la législation sur la concurrence déloyale offrent des instruments qui ne paraissent pas négligeables21 .

19 Art. 9 de l'ordonnance du Conseil fédéral limitant le nombre des étrangers, du 6 octobre 1986 (OLE; RS 823.21), plusieurs fois révisée depuis lors (cf en dernier , ... -lieu la modification du 16 octobre 1991, RO 1991, p. 2236).

20 21

Art. 7 du règlement CEE n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté. ...-.

Addendum. Dans le sens des considérations qui précèdent, cf un ATF du 27 avril 1995, Gewerkschaft Druck und Papier, destiné à la publication.

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