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Le cadre pnlitique

Dans le document Etudes de droit du travail (Page 112-117)

LES CONVENTIONS COLLECTIVES ET LA PAIX DU TRAVAIL EN SUISSE*

D) Le cadre pnlitique

Les rapports politiques sont tout entiers fondés, en Suisse, sur le respect de la minorité: cultivant le compromis, la majorité partage avec celle-ci, quotidiennement, l'exercice du pouvoir. Pour observer ce phénomène, on peut s'interroger sur le rôle des organisations profession-nelles dans l'élaboration des lois; la composition du gouvernement fédé-ral et des gouvernements cantonaux; enfin, le fonctionnement de la démocratie directe.

a) L'élaboration des lois

Les organisations professionnelles participent étroitement au proces-sus législatif. Depuis les années quarante au moins, elles sont toujours représentées dans les commissions d'experts qui élaborent les avant-projets de lois en matière sociale. Une fois les textes rendus publics, elles sont de nouveau consultées et peuvent formuler des propositions et des objections. Enfin, au parlement siègent les dirigeants patronaux et syndi-caux (actuellement, par exemple, le directeur de l'Union centrale des associations patronales et le président de l'Union syndicale suisse), qui jouent un rôle marquant26.

La participation des syndicats au processus législatif revêt une importance particulière en raison, on le verra, de leur pouvoir de déclen-cher un référendum, c'est-à-dire d'exiger que telle ou telle loi soit soumise au suffrage populaire. La menace de référendum lors de l'élabo-ration d'une norme constitue une puissante incitation au compromis.

26 DELLEY, 1.-0. et MORAND, C.-A., «Rôle et·statut constitutionnel des centrales syndicales en Suisse», in Recueil des travaux suisses prêsenrés au Xe Congrès inter-national de droit comparé, Bâle 1979, p. 175 55.

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b) La composition des organes politiques

Dans les cantons, les parlements sont élus selon le système propor-tionnel. Sur le plan fédéral, il en va de même du Conseil national, qui est la Chambre du peuple.

Les gouvernements cantonaux et fédéral sont élus au scrutin majori-taire (les premiers par le peuple, le second par le parlement). En dépit de ce mode d'élection, il est admis par les milieux politiques que toutes les forces importantes doivent être représentées dans les gouvernements.

C'est ainsi que, bien que minoritaires, des élus socialistes y siègent depuis les années trente sur le plan cantonal. Sur le plan national, de 1943 à 1953, il Y eut un conseiller fédéral socialiste; après une interrup-tion de six ans, depuis 1959 et sans discontinuer, deux conseillers fédé-raux (parmi les sept membres du gouvernement) proviennent de ce parti.

Les portefeuilles détenus par les ministres socialistes ne sont pas des prix de consolation (actuellement, il s'agit des finances et des affaires étran-gères). Cette répartition des sièges est souvent qualifiée de «formule magique».

c) La démocratie directe

Enfin, on ne saurait surestimer le rôle de la démocratie directe. En recueillant 50.000 signatures d'électrices ou d'électeurs, n'importe quel groupement peut obtenir qu'une loi adoptée par le parlement soit soumise au suffrage populaire27. Cette procédure existe aussi sur le plan cantonal.

Il va de soi que le droit de référendum confere aux organisations profes-sionnelles un pouvoir important.

On ne peut pas dire que le référendum soit plus particulièrement l'arme de la gauche ou de la droite. Tout projet qui, trop marqué dans un sens ou dans l'autre, ne réunit pas le consensus des milieux politiques court un risque en cas de scrutin. Deux exemples, l'un ancien, l'autre récent, illustrent ce mécanisme.

A la suite d'une grève générale, en 1918, la durée du travail fut réduite. Quelques années plus tard, les milieux patronaux obtinrent au parlement l'abrogation partielle de cette réduction. En 1924, les syndi-cats, usant du droit de référendum, firent échouer cette tentative. Une telle démonstration de force donna un poids important à la gauche, malgré sa position habituellement minoritaire.

27 Cf l'an. 89 de la constitution fédérale.

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Le droit de référendum est aussi utilisé par les organisations d'employeurs, lorsqu'un texte leur parait trop progressiste. C'est ainsi que, en 1987, fut soumise au référendum une loi fédérale instituant une assurance-maternité financée par des cotisations prélevées sur tous les salaires; hostiles à l'accroissement des charges sociales, les petites et moyennes entreprises s'opposérent à ce texte, que le peuple rejeta28 .

On comprend maintenant le rôle des procédures de consultation dans l'élaboration des lois: en sollicitant dès le début l'avis de toutes les orga-nisations importantes, le gouvernement s'efforce d'obtenir leur assenti-ment pour éviter, dans la mesure du possible, l'écueil d'un référendum.

Parallèlement au droit de référendum existe le droit d'initiative constitutionnelle. En réunissant 100.000 signatures, tout groupement peut demander une modification de la Constitution fédérale, obligeant ainsi le parlement à légiférer sur n'importe quel sujet29 . Cette procédure s'applique aussi dans les cantons.

Durant la crise des années trente, les syndicats déposèrent une initia-tive en vue de contraindre la Confédération à intervenir dans la gestion de l'économie, pour tenter de relever cette dernière. L'initiative échoua en 1935, mais ce fut de peu: le nombre considérable des voix rassemblées par la gauche impressionna fortement les milieux politiques30.

D'autres initiatives la précédèrent ou la suivirent. L'inscription d'un droit au travail dans la Constitution fédérale fut refusée deux fois, en 1894 et en 1946. II en fut de même de la semaine de quarante-quatre heures, en 1958 et de quarante heures en 1976 et en 1988.

Comme on le voit, le plus souvent, les propositions lancées par la gauche échouent. Toutefois, elles restent rarement sans effet. Pour tenir compte des besoins qu'elles expriment (mais aussi pour couper l'herbe sous le pied de leurs partisans), le parlement adopte une loi de compro-mis, répondant aux mêmes préoccupations, mais sans aller aussi loin. Les auteurs de l'initiative, vu le progrès obtenu, la retirent parfois; s'ils la maintiennent, ils s'exposent à un rejet.

Ainsi, en 1979, une initiative fut déposée qui visait à faire passer les vacances annuelles payées de trois à quatre semaines, voire cinq semaines pour les travailleurs âgés de plus de quarante ans. Le parlement

28 A vrai dire, la loi souffrait d'autres défauts aux yeux des électeurs, notamment les mesures envisagées pour contrôler l'explosion du coût des soins médicaux.

'11""-29 Cf I·art. 121 de la constitution fédérale.

30 Cf Unsere Zukunft ... (note 3 supra), p. 92.

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modifia la loi, en fixant un minimum de quatre semaines pour tous les salariés indépendamment de leur âge31 . Les auteurs de l'initiative ne se satisfirent pas de ce texte et maintinrent leur proposition. Ils échouèrent devant le peuple en 1985.

Un autre exemple concerne le droit du licenciement. Les syndicats chrétiens ont lancé en 1981 une initiative tendant à étendre la protection des salariés en la matière, de teHe sorte que la Suisse eût pu ratifier la convention 158 de l'OIT, adoptée en 1982. Tout en proposant le rejet de cette initiative, le parlement a révisé la loi en 1988; il renforça la protec-tion des travailleurs, mais de manière beaucoup plus limitée que ne le souhaitaient les auteurs de l'initiative32 . Ces derniers, satisfaits de ce progrès et peu confiants en leurs chances devant les électeurs, retirèrent en 1988 leur proposition.

Les mécanismes de la démocratie directe exercent une influence non négligeable sur les négociations collectives. Les employeurs préfèrent la réglementation conventionneHe des conditions de travail plutôt que leur inscription dans la loi, dont ils craignent la rigidité; pour éviter des lois trop uniformément contraignantes, ils sont ainsi amenés à faire des concessions: les conventions coHectives, infiniment plus détaillées que la législation, devancent largement cette dernière. Inversement, le patronat peut bloquer des textes qui lui déplaisent, en comptant sur l'attachement d'une grande partie de l'électorat au libéralisme économique.

Si eHe constitue une arme pour les syndicats, l'initiative populaire leur impose des limites. On l'a dit, le peuple est loin de suivre automati-quement leurs propositions. D'ailleurs, vu ce moyen d'action démocra-tique, on concevrait mal que les organisations de travailleurs engagent de vastes conflits sociaux pour obtenir ce que le suffrage populaire, vraisemblablement, ne serait pas prêt à leur accorder.

31 Cf les nouveaux art. 329a 55 du code des obligations, largement précédés par les conventions collectives in FF 1982 II, p. 177 55.

32 Cf les nouveaux art. 334 S5 du code des obligations; in FF 1984 II, p. 574 55.

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III.

CONCLUSION

A) Ambiguïtés d'un anniversaire

A l'occasion de leur cinquantenaire, les conventions de 1937 ont été critiquées33. L'obligation de paix absolue fait l'objet de controverses dans le mouvement syndical. On distingue deux camps. D'un côté, dans la métallurgie et dans l'horlogerie, le syndicat maintient sa politique conventionnelle d'arbitrage et de paix. De l'autre, dans le bâtiment, le textile, la chimie et l'imprimerie, les interrogations sont plus nettes. Il ne s'agit toutefois pas d'une mise en cause profonde: tout en ayant manifesté ses réserves envers l'obligation de paix absolue (et en ayant organisé symboliquement en 1987 un débrayage évidemment contraire à cette dernière), le Syndicat du bois et du bâtiment vient de signer une nouvelle convention nationale inchangée sur ce point.

Ces deux camps correspondent aux deux familles de conventions de paix. Les syndicats qui ont signé un accord instituant l'arbitrage de certains conflits d'intérêts persistent dans leur ligne traditionnelle; ceux qui sont partie à des conventions classiques expriment leur insatisfaction;

ils attaquent les accords de 1937, sans reconnaître publiquement que ces derniers sont plus avancés que leurs propres conventions, s'agissant de l'arbitrage des conflits relatifs à la fixation des salaires. Les circonstances ayant changé depuis 1937, ils ne sont pas en mesure d'obtenir des employeurs l'institution de procédures semblables.

De son côté, le patronat, dans toutes les branches, célèbre les conventions de 1937. Il oublie le plus souvent que, pour le moins, il n'a pas pris l'initiative de ces accords historiques, lesquels comportaient des clauses d'arbitrage fort contraignantes. Il ne se montre guère disposé à souscrire de telles clauses là où elles n'existent pas. Le débrayage de 1987 dans le bâtiment, auquel nous venons de faire allusion, eût certai-nement été évité si, comme dans l'horlogerie ou dans l'industrie des machines, les conflits relatifs à la fixation des salaires pouvaient être

33 Panni les articles ct ouvrages publiés à l'occasion de cet anniversaire, cf outre l'article de DÉCOSTERD (note 13 supra): Paix du travail, concertation, confronta-tion, Lausanne 1987; HUMBEL, K., Treu und Glauben, Zurich 1987; Aroeilsfrieden - ReaUtat eines Mythos, Zurich 1987; «La paix du travail: hier, aujourd'hui, demain», in Revue syndicale suisse, 1987. p. 225 ss. Pour une analyse de J'opinion des salariés envers la paix du travail (sur la base notamment de sondages), cf REY, J.-N., «Les attitudes des travailleurs syndiquês et les relations industrielles), in ROIG. Ch., SCHMIO, H., A YBERK, U., et REY, J.-N., Syndicalisme aufutur, Lausanne 1986, p. 49 ss.

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soumis à un tribunal arbitral. Tout en reprochant au syndicat de mécon-naître l'esprit de la paix du travail, les employeurs de la branche rejettent cependant un tel arbitrage.

Contrairement à l'opinion reçue, la paix sociale n'est donc pas une et indivisible. Elle dépend notamment des textes qui la fondent. On peut penser qu'elle se trouve moins bien enracinée dans les secteurs qui ne prévoient pas un arbitrage étendu.

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