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Chapitre 3 – Représentations et pratiques autour de la procréation : présentation et

II. Offres et recours thérapeutique dans le cadre de la procréation

II.3 Rapport au système de santé « moderne »

Nous avons vu dans la présentation des données que le recours au système de soins officiel était évoqué par les informatrices les plus jeunes, notamment dans le cadre de la grossesse (consultations prénatales) et de l’accouchement. Les relations des acteurs au système de santé officiel se font à travers ces recours, mais aussi à travers les campagnes de préventions et les informations qui sont intériorisées par les acteurs. Ainsi, le recours au système de santé n’est pas exclusif, comme ne l’est pas non plus le recours aux thérapeutes ou aux médicaments traditionnels. Ces différents recours sont, pour les jeunes générations, associés à des périodes différentes (système officiel de santé pendant la grossesse et l’accouchement, système populaire de soin pendant le postpartum). De plus, de nombreuses représentations et pratiques des femmes autour de la grossesse et de l’accouchement reposent à la fois sur les informations émanant du système de santé officiel, et sur celle su système de santé populaire.

N’ayant pas pu, au cours de l’enquête, accéder aux structures du système de santé officiel, je me bornerai ici à évoquer certaines tendances des discours qui dénotent de l’évolution des rapports des acteurs aux systèmes de soins officiels, qui se basent sur des représentations et des pratiques.

À la question de savoir pourquoi les femmes vont à l’hôpital, il semble que dans le cadre de Vientiane, les arguments avancés soient l’accessibilité (avant il n’y avait pas d’hôpitaux,

maintenant il y en a), la gratuité, et surtout, la sécurité. En effet, les discours sur la « sécurité » de l’hôpital reviennent souvent dans les entretiens.

« Pour plus de sécurité pour la mère et l’enfant il vaut mieux aller à l’hôpital. » (Khamta, 21 ans)

« Je pense que c'est plus sûr. Si j'avais accouché à la maison ça aurait été difficile parce qu'il n'y a personne pour m'aider. Si j'accouche à l'hôpital que ce soit difficile ou facile c'est plus sécurisant. » (Vieng, 28 ans)

« Parce que c’est plus sûr et il y a plus de garanties. » (M. Seua, 50) « À l’hôpital c’est mieux pour la sécurité. » (Phone, 28 ans)

« J’ai accouché à l’hôpital pour être en sécurité, parce que je suis volontaire du village et ma maison est près de l’hôpital. Parce qu'on ne sait pas, parfois les enfants peuvent sortir dans des positions difficiles comme par le bras ou la jambe. » (Somphane, 52 ans)

Même si la classe d’âge doit être prise en compte dans ce rapport au système de santé, la plupart des informateurs tiennent ce discours, ou celui qui présente l’hôpital comme une donnée du monde moderne dont il faut profiter. On peut ainsi postuler une réussite relative du projet de santé publique du gouvernement dans le cadre de Vientiane, dans le sens où les femmes ont plus souvent recours au système de soin, mais surtout parce qu’elles semblent avoir intériorisé les slogans des campagnes de prévention et « d’éducation » à la santé, programmes qui prennent part au projet politique du Parti qui se présente comme souverain de ce système de soin. Cependant, deux points méritent d’être questionnés.

Au cours d’un entretien, un homme a mentionné « qu’à l’hôpital le médecin prend les pieds des enfants et nous ne faisons pas comme ça parce que c’est dur pour les enfants » (M.Seua, 50 ans, Hmong). Une femme (Kinsavan, 53 ans) a aussi parlé du manque de propreté des structures de santé au Laos. Ils sont les seuls à exprimer leurs représentations négatives à propos de l’hôpital. En effet, aucun autre informateur n’a eu de discours critique sur le système de soin officiel, l’hôpital, ou le personnel de l’hôpital. Sans sur-interpréter cette observation, il est possible de penser que, comme le discours officiel que j’ai recueilli sur les médecins traditionnels en ville (« il n’y en a pas »), cette absence de représentations critiques témoigne de ce que les acteurs m’ont présenté un discours officiel valorisant le système de soin, à travers les slogans des politiques publiques du Parti. Il est donc possible que ce discours officiel fausse ma perception des pratiques et représentations des acteurs, qui choisissent certainement celles qu’ils mettent en avant en fonction de la situation d’énonciation.

Ensuite, avec l’ouverture du pays aux modèles occidentaux, la démocratisation de l’accès à l’hôpital et l’introduction du système de soin privé, on voit apparaître de nouveaux phénomènes dans le rapport aux soins de la médecine « moderne ». Nous avons vu par exemple que le phénomène de l’avortement n’était pas anodin au Laos et qu’il se faisait principalement dans les structures de santé privées. En parallèle, l’accouchement par césarienne a été évoqué souvent dans les entretiens, que les femmes aient elles-mêmes accouché par césarienne ou qu’elles me parlent de personnes de leur entourage. Plusieurs informatrices m’ont même automatiquement précisé qu’elles avaient accouché par voie naturelle. Le réflexe de le préciser dénote du fait que les accouchements par césarienne soient courants. Ce phénomène est peut être dû à l’augmentation du recours aux structures de santé pour l’accouchement, et à la baisse de la mortalité maternelle en ville. Les femmes qui ont des problèmes au moment de l’accouchement vont plus à l’hôpital et plus de césariennes sont pratiquées. Cela peut aussi être lié à une forme de médicalisation de l’accouchement, où la césarienne permet de prévenir les accouchements difficiles, voire de planifier les accouchements.

« Mes parents auraient préféré que j'accouche ici. Et par voie naturelle aussi. Mais finalement j'ai discuté avec mon mari, et il avait peur. On a décidé de faire une césarienne. /…/ La date prévue de l'accouchement naturel était fixée le 2. Le médecin, quand il m'a vu arriver, a regardé ma mine et m'a dit "oh il faut attendre encore au moins une semaine si vous voulez accoucher naturellement". Et mon mari m'a dit "allez décide toi". Et on a décidé à la dernière minute. » (Kinsavan, 43 ans)

On est loin ici de la procréation considérée comme quelque chose de « normal » et « facile ». De plus, cette informatrice nous permet de réfléchir à un autre phénomène qui est celui du recours aux soins dans le secteur privé et en Thaïlande. En effet, elle est issue d’un milieu aisé et francophone et la plupart des membres de sa famille vivent à l’étranger. La population de l’enquête présente des caractéristiques socio-économiques diverses, mais peu d’informateurs avaient un niveau de vie élevé. Ainsi, elle est la seule à avoir mentionné un recours aux soins en Thaïlande, phénomène très prisé des populations les plus favorisées de Vientiane, ville frontalière avec la Thaïlande. Pour ses trois accouchements, elle a été dans une clinique privée, puis à l’hôpital Sethattirat, et enfin en Thaïlande. En effet, du fait de plusieurs fausses couches et de son âge, sa famille trouvait trop risqué qu’elle accouche au Laos.

« En Thaïlande c'est moins risqué, l'hôpital est très propre. Ici les médecins sont très compétents, mais les lieux ne sont pas très propres par rapport à là-bas. On voit tellement de

Ainsi, le principe de recherche de sécurité associée à l’hôpital public au Laos par les campagnes de prévention gouvernementales se retrouve aussi associé aux hôpitaux de Thaïlande, pour la frange de la population qui peut se le permettre. Si seule Kinsavan évoque son recours aux soins en Thaïlande pour l’accouchement dans les entretiens, c’est un recours dont on m’a beaucoup parlé durant mon séjour au Laos, et qui dénote d’une certaine évolution des représentations et pratiques se traduisant dans les milieux aisés par la recherche de la sécurité hors des limites du pays. D’autres ont travaillé sur la question du recours aux soins transfrontaliers (Bochaton, 2009) qui ne nous intéressent ici qu’en ce qu’ils nous disent sur le rapport au système de santé officiel et à plus large mesure à la biomédecine.

Ainsi, cette évolution du recours au système de soin dans le cadre de la procréation pourrait témoigner du succès relatif des programmes gouvernementaux et internationaux de santé publique qui ont introduit des représentations médicalisées de la procréation qui doit être sécurisée à travers le recours au système de santé public, mais aussi par la recherche de soins jugés plus performants hors de l’État.

En outre, l’évolution du rapport à l’hôpital n’exclut pas, pour les acteurs, les pratiques populaires de gestion de la procréation, qui sont caractérisées par un système de représentations qui emprunte des éléments aux systèmes de soin « traditionnel » et « moderne », et se traduit par des recours multiples en fonctions des stratégies de recherche d’efficacité mises en place par les acteurs selon les étapes de la procréation.