• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 – Représentations et pratiques autour de la procréation : présentation et

I.4 Accouchement

À travers l’enquête, dix femmes ont déclaré avoir accouché au moins une fois dans les services de santé, dont huit ont toujours accouché dans les services de santé. De plus, les trois femmes enceintes de l’enquête ont prévu d’accoucher à l’hôpital. En comptant ces dernières, 10 femmes de ]25 à 45] ans ont ou vont accoucher à l’hôpital, ainsi que 4 femmes de ]45 à 69] ans. Parmi ces dernières, une a accouché de 7 enfants à domicile et du huitième à l’hôpital dans le cadre de complications. Les trois autres étaient fonctionnaires au moment de leurs accouchements.

En tout huit femmes m’ont dit avoir accouché à domicile au moins une fois, et 6 d’entre elles ont toujours accouché à domicile. Elles sont 3 de ]25 à 45] ans et 5 de ]45 à 69]. De toutes les femmes ayant accouché à domicile, la plupart étaient paysannes ou de classes sociales défavorisées. De plus, les mères de cinq des étudiantes de l’enquête ont accouché à domicile, comme la plupart des mères des personnes interrogées.

Ainsi il semble que les critères des femmes ayant accouché à l’hôpital soient l’âge (plus les femmes sont jeunes plus elles accouchent à l’hôpital) et les conditions sociales (les femmes les plus pauvres et les moins éduquées accouchent plus à domicile). Ceci est confirmé par Daviau dans une enquête de 2003 (Daviau, 2003, p. 30).

I.4.1 Accouchement à domicile

Les raisons évoquées pour ne pas accoucher à l’hôpital sont de trois ordres. -L’inaccessibilité de l’hôpital (il n’y en a pas, c’est trop loin).

« Avant l’hôpital était très loin, il n’y avait pas de transport pour aller à l’hôpital. »173 (Ai, homme de 31 ans, à propos de sa mère)

« J’habite à la campagne il n'y avait pas d'hôpital »174 (Dara, 43 ans, province de Xiengkhuang)

-La « timidité » face aux médecins.

« Parce que j'avais envie d'accoucher à la maison. Je ne voulais pas aller à l'hôpital. J'étais timide avec les médecins./.../ Je n'avais pas peur des médecins mais je n'avais pas envie d'aller à l'hôpital. Je suis timide avec les médecins donc j'ai accouché à la maison. »175 (Me Kamphet, 56 ans)

-L’envie d’accoucher à la maison parce que l’accouchement c’est normal.

« Je n'avais pas envie parce que c'est facile d'accoucher et selon mon habitude j'ai toujours accouché à la maison./…/ Comme je n'avais pas de problèmes de santé je pouvais accoucher à la maison. /…/ J'avais mal au ventre et j'ai accouché. C'est facile. C’est mon habitude d’accoucher à la maison alors j’ai décidé d’accoucher à la maison pour tous. Yu di mi heng »176 (Me Chanhsi, 69 ans)

Ensuite, il y a plusieurs cas de figure concernant l’aide à l’accouchement. Trois femmes ont été aidées par des thérapeutes. Phone (28 ans) a été assistée par un médecin de l’hôpital qui s’est déplacé pour l’aider à accoucher, parce qu’elle n’avait pas eu le temps de se rendre à l’hôpital. Dara (43 ans), Wane (53 ans) et Tim (66 ans) ont été assistée par des matrones ou « accoucheuses traditionnelles » moh tam yae177. Enfin, 3 femmes de plus de 50 ans disent

avoir été assistées par leur mari, et une femme hmong de 30 ans a été assistée par son mari et sa mère, et a aussi accouché seule. Nous reviendrons sur une description plus précise des pratiques d’accouchement à domicile dans la suite de ce chapitre.

173 Entretien n°20, 14-03-13, WSM. 174 Entretien n°14, 12-03-13, WSM. 175

Entretien n°5, 06-03-13, chez Me Kamphet.

176 Entretien n°17, 13-03-13, WSM.

177 Ceci est le terme utilisé par l’informatrice. Pottier (2007 : 125

‑131) et Condominas (1962 : 109‑111) utilisent le terme de me tam nhè

I.4.2 Accouchement à l’hôpital

Les hôpitaux les plus fréquemment cités pour l’accouchement sont les hôpitaux centraux Mahosot, Setthatirath et Me le dik. Toutes les femmes ont accouché dans des hôpitaux publics, parfois des hôpitaux de province, mis à part Kinsavan, issue d’un milieu très aisé, qui a accouché dans une clinique privée, à Setthatirat puis en Thaïlande.

Les raisons invoquées pour accoucher à l’hôpital sont le système d’assurance, le fait d’être fonctionnaire et de bénéficier des politiques visant à faire accoucher les femmes à l’hôpital, l’accessibilité et surtout la « sécurité » qui est très souvent évoquée par les informatrices :

« Je pense que c'est plus sûr. Si j'avais accouché à la maison ça aurait été difficile parce qu'il n'y a personne pour m'aider »178 (Vieng, 28 ans)

« Parce que c’est plus sûr et il y a plus de garanties. Si on accouche à la maison comme avant, il y avait des médecins traditionnels. Mais aujourd’hui on a l’hôpital, donc on doit aller à l’hôpital. »179 (Monsieur Seua, fonctionnaire, 50 ans)

« À l’hôpital, parce qu'à la maison c’est trop risqué. »180 (Tamon, 25 ans)

« Pour plus de sécurité pour la mère et l’enfant il vaut mieux aller à l’hôpital. »181 (Khamta, 21 ans)

« À l’hôpital c’est mieux pour la sécurité. » (Phone, 28)

« J’ai accouché à l’hôpital pour être en sécurité, parce que je suis volontaire du village et ma maison est près de l’hôpital. Parce qu'on ne sait pas, parfois les enfants peuvent sortir dans des positions difficiles comme par le bras ou la jambe. »182 (Somphane, 52 ans).

Etc.

Ainsi, ce discours (tenu par des femmes des trois classes d’âges et par un homme) est revenu très souvent dans les entretiens et il faudra l’analyser en ce qu’il se présente sous la forme d’un slogan, probablement issu des campagnes de prévention. On peut se demander si les personnes ont intériorisé ces slogans par adhésion, ou s’ils sont le signe d’un discours « officiel » utilisé face à l’étrangère que j’étais.

178 Entretien n°1, 2802-13, WSM. 179 Entretien n°2, 28-0213, WSM. 180 Entretien n 4, 06-03-13, WSM. 181 Entretien n°6, 07-03-13, WSM.

I.4.3 Complications dans le cadre de l’accouchement

Mortalités maternelle et infantile ont des taux assez élevés dans la population nationale du Laos : le taux de mortalité maternelle est de 470 morts / 100 000 naissances vivantes (2010), et celui de mortalité infantile est de 56,13 ‰ (estimé pour 2013)183.

Dans le cadre de cette étude je n’ai pas suffisamment de données concernant la mortalité maternelle sur lesquelles m’appuyer. Mais selon Lévi, à Vientiane, la mortalité maternelle serait de l’ordre de 183 décès pour 100 000 naissances vivantes, ce qui est bien inférieur à la moyenne nationale, et explique aussi les moindres occurrences de ces questions dans les discours. Ainsi une meilleure accessibilité des services de santé semble jouer sur la mortalité maternelle à Vientiane (dans les villages les plus urbanisés du moins).

Cinq informatrices m’ont fait part de problèmes durant la grossesse ou de la perte de leur enfant. Deux femmes, Kinsavan (43 ans) et Amala (35 ans) ont évoqué des fausses couches (l’une en a fait deux l’autre trois) qui ne semblent pas être reliées à l’accessibilité des structure de santé. Ensuite, trois femmes de plus de 53 ans nous ont parlé des enfants qu’elles avaient perdus.

« Ma femme a été enceinte 8 fois et a accouché 8 fois. Un enfant est mort et il nous reste 7 enfants /…/ seulement 6 jours après sa naissance. »184 (Monsieur Seua, 50 ans)

« J’ai eu 10 enfants. Deux sont morts. Deux garçons./…/ Ils sont morts quand ils étaient petits, à environ 7 ou 8 mois. /…/ Ils sont morts parce qu'avant j’habitais à la campagne. Le deuxième est mort parce qu’il a eu le tétanos dans le cordon parce qu’on l’a coupé avec des ciseaux. Il avait seulement 10 jours. Le premier il avait le paludisme. »185 (Me Tim, 66 ans) « J’ai eu 8 enfants mais il me reste seulement 3 enfants. /…/ ils sont morts parce que nous sommes loin de l’hôpital. Si on est malade dans la nuit, on n’a pas de transport pour aller à l’hôpital. Ils sont morts quand ils avaient 3 ou 4 mois. /…/ Certains enfants sont morts à la maison et d’autres sont morts à l’hôpital parce que leur corps était chaud et je ne savais pas quoi faire. »186 (Wane, 53 ans).

Les principales caractéristiques de ces trois extraits sont qu’ils concernent des femmes de plus de 53 ans, peu éduquées, dans des ménages pauvres ayant un accès à l’hôpital limité. Les trois femmes concernées ont d’ailleurs accouché à domicile. Aucune jeune femme de l’enquête n’a mentionné de mortalité infantile qui, selon l’enquête de Lévi, serait faible à Vientiane (Lévi,

183 https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/la.html 184 Entretien n°2, 28-02-13, WSM.

185 Entretien n°5, 06-03-13, chez Me Kamphet. 186

2009, p. 49). En effet, seules les femmes de plus de 50 ans ont évoqué avoir perdu des enfants.

Ainsi, le contexte de Vientiane est différent de celui du reste du pays, la population y ayant un meilleur accès aux structures de santé, aux campagnes de préventions nationales et aux programmes de développement internationaux.