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Chapitre 3 – Représentations et pratiques autour de la procréation : présentation et

I.5 Postpartum

Le postpartum est une période déterminante dans le cycle de la procréation. Cette étape débute à la fin de l’accouchement et s’étend jusqu’au retour des règles de la mère. Physiologiquement, psychologiquement, socialement et symboliquement c’est une période de fragilité pour la mère et l’enfant, une période transitoire, de réintroduction de la femme dans la société en tant que mère (surtout pour un premier enfant) etc. Ainsi cette période donne généralement lieux à des représentations et pratiques, qu’elles soient d’ordre populaire, religieux, physiologique, issues de la médecine « moderne » ou de la médecine « traditionnelle ».

Dans le cadre de cette présentation des données je me bornerai à pointer les pratiques évoquées pendant les entretiens et évaluer leur suivi par les femmes. Nous reviendrons sur la période du postpartum dans plus loin dans ce chapitre.

Les principales pratiques évoquées par les femmes sont l’enterrement du placenta, et le séjour auprès du feu (le « grillage »).

Quatre personnes ont évoqué l’enterrement du placenta, dont les deux femmes hmong de l’enquête. Cette pratique est présentée comme une « tradition » qu’il faut respecter, et semble liée à la santé de l’enfant.

Voici la description de Me Kamphet et Me Tim:

« Me Kampthet : On prend le placenta, on le mélange avec du sel. Si c'est une fille on enterre le placenta dehors près d'un bananier. On creuse environ un avant-bras. Quand on prend le placenta pour l'enterrer il ne faut pas se retourner parce qu'on a peur que les yeux des enfants ne soient pas en face. Puis on prend une buche pour faire du feu sur l'endroit où on a enterré le placenta pour que le cordon du bébé tombe vite.

Me Tim: C'est la tradition (paphe:ni), il faut l'écouter. On enterre le placenta profond pour que les dents du bébé soient solides et pour qu'elles ne tombent pas facilement.

Me Kamphet: Il faut éviter que les animaux ne mangent le placenta parce qu'on a peur que les enfants soient malades. »187

Le peu d’occurrence de cette pratique par les discours peut s’expliquer par le nombre de femmes ayant accouché à l’hôpital. En effet, le placenta doit être enterré juste après la naissance, ce qui n’est pas possible lorsque la femme accouche à l’hôpital.

La seconde pratique, qui est en fait un ensemble complexe de pratiques et de représentations, est la période de « grillage ». Juste après l’accouchement, la femme s’allonge dans une pièce intermédiaire entre la maison et l’extérieur (souvent la cuisine, à la fois hors la maison et dans la maison chez les lao, j’ai pu observer cette pratique dans une véranda aussi), sur un lit de bambou, sous lequel ou à côté duquel brulent des braises. Cette pratique est appelé yu kam (« être/rester dans le kam »), yu faï (« être, rester au-dessus du feu »), nang

kam188, termes qui sont utilisés comme synonymes par les femmes. Au cours de cette pratique

prennent place un grand nombre d’interdits alimentaires plus ou moins stricts selon les familles, et la femme doit « boire chaud et rester au chaud » (kin hon yu hon), pour retrouver la chaleur perdue pendant l’accouchement (le sang). Les femmes boivent des infusions chaudes, se lavent à l’eau chaude et ne sont pas censées quitter la pièce. La famille s’organise pour prendre en charge les tâches quotidiennes et c’est le moment où l’accouchée est visitée par l’entourage. La sortie de yu kam s’appelle ok kam et se présente sous la forme d’une cérémonie de rappel des âmes de la mère et de l’enfant, menée par un spécialiste traditionnel (moh). Nous réfléchirons plus loin aux implications de cette pratique, ou de cette période. Pour l’instant, il faut souligner que toutes les femmes interrogées ayant eu des enfants ont fait

yu kam, et que les trois femmes enceintes planifient de le faire, ainsi que les sept étudiantes.

Celles qui ont accouché à l’hôpital commencent dès leur retour, les autres dès l’accouchement. Le seul cas où les femmes ne font pas yu kam est l’accouchement par césarienne, car le médecin et l’entourage le leur déconseillent pour la cicatrice. Elles le font alors à « feu doux » ou sous la forme de yu kam yen, c’est-à-dire la même chose (rester coucher, interdit alimentaires, infusions) mais sans le feu. La durée maximale du séjour au feu annoncée par les femmes pour leur premier enfant s’étend de 15 jours à 1 mois. Ensuite, cette

187 Entretien n°5, 06-03-13, chez Me Kamphet. 188

durée diminue au fil des enfants. Les informatrices expliquent qu’il faut réduire la durée du séjour enfant après enfant pour que les cadets respectent les ainés.

Yu kam est aussi une période où les interdits alimentaires sont nombreux. La plupart des

femmes expliquent d’ailleurs que les premiers jours elles ne pouvaient manger que du riz et du sel. Ensuite elles peuvent reprendre une alimentation plus variée mais qui comporte un grand nombre d’interdits visant les aliments kalam (« interdits ») que nous détaillerons ultérieurement. Toutes les femmes ayant fait yu kam (sauf deux) se sont soumises à un régime alimentaire plus ou moins strict. Les deux l’ayant évité (tout en ne mangeant pas certains aliments) sont l’accoucheuse traditionnelle formée à la prévention communautaire de la santé maternelle (Somphane, entretien n°18), qui a été formée à ne pas les respecter, et Kinsavan (entretien n°23), professeur de français à l’université, d’un milieu aisé, francophone et occidentalisé. Si la pratique de yu kam ne semble pas combattue par les médecins « modernes » et les campagnes de prévention, les interdits alimentaires le sont car ils menaceraient la santé de la mère (et de l’enfant par l’allaitement). Ainsi il semble que ces restrictions alimentaires soient de moins en moins strictes et respectées, ce que remarquent les femmes plus âgées.

« Avant tous les Lao devaient éviter les aliments (kalam kong kin) pendant yu kam. Mais maintenant, les gens mangent de tout. Je ne sais pas quels médicaments ils prennent. Parce qu'aujourd'hui c'est moderne189. » (Me Tim, 66 ans)

« Mais maintenant les gens n'évitent pas certains aliments. /…/Et aujourd'hui notre société est déjà développée et les médecins conseillent de tout manger, comme de la viande ou du poulet pour avoir de la force. C'est parce que les vieilles et les vieux ont toujours interdits de manger et les femmes qui faisaient yu kam n'avaient pas assez de force. » (Chone, 36 ans, a respecté très peu d’interdits alimentaires)

Ainsi si yu kam reste très pratiqué, nous verrons que cette pratique évolue avec les interdits alimentaires qui l’entourent.