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Chapitre 3 – Représentations et pratiques autour de la procréation : présentation et

I.2 Avant la grossesse

I.2.4 Fécondité, infertilité

I.2.4.1 Les tendances de la population de l’enquête en terme de fécondité

Nous l’avons vu, les femmes de moins de 26 ans ne désirent pas plus de 3 enfants. Les 19 femmes de l’enquête ayant eu des enfants151 en ont eu 4 en moyenne. Les femmes de ]25 à 45] ans ont eu de 1 à 4 enfants, et en ont eu 2,3 en moyenne. Les femmes de ]45 à 69 ans] ont eu entre 3 et 10 enfants, avec une moyenne de 6,4 enfants.

Dans le cadre de cet échantillon de population, il y a une claire baisse du nombre d’enfants par femme entre ces deux générations, les femmes de ]45 à 69 ans] ayant eu plus d’enfants. Il faut cependant coupler cette donnée avec la baisse du taux de mortalité infantile au Laos, qui

serait passé de 120 ‰ en 1990 à 77,82 en 2009 et 59,46 en 2011152. Ainsi, les femmes de plus de 45 ans ont fait plus d’enfants mais la mortalité infantile était plus importante.

En parallèle, l’âge au premier enfant pour toutes les femmes de l’enquête est de 22,3 ans en moyenne, et se situe entre 16 et 31 ans. Les femmes de ]25 à 45] ans ont eu leur premier enfant entre 16 et 31 ans, à 23,1 ans en moyenne. Les femmes de plus de 45 ans ont eu leur premier enfant entre 18 et 26 ans, à 21 ans en moyenne. Ces données montrent que les femmes de moins de 46 ans ont eu en moyenne le premier enfant plus tard, mais c’est aussi dans cette catégorie qu’on trouve les mères les plus jeunes et les plus âgées.

Ainsi, l’âge au premier enfant aurait tendance à reculer, en même temps que la fécondité. Il faut cependant tenir compte de la taille réduite de notre échantillon de population, de la difficulté de croiser des variables socio-économiques et de provenance géographique avec ces données, et questionner la validité d’un découpage de ces « générations » à 45 ans.

Ces tendances sont-elles spécifiques à Vientiane ? Ou bien sont-elles spécifiques à cet échantillon de population en particulier ?

Pour en juger, nous nous appuierons sur le rapport d’enquête démographique sur la population de Vientiane présenté par Lévi (Lévi, 2009, pp. 30–33). Cette enquête indique en effet une tendance à la baisse de la fécondité, surtout au cours de la dernière année (2008), et pour toutes les classes d’âges. Les indices synthétiques de fécondité calculés à partir de ces taux sont très faibles et révèlent une natalité très limitée en milieu urbain, phénomène qui semble s’accentuer avec le temps. De plus, l’enquête montre que les femmes appartenant aux ménages aisés et très aisés ont plutôt une fécondité moins élevée que celles issues des ménages pauvres ou très pauvres (Lévi, 2009, p. 30). Enfin, l’âge à la première naissance dans cette enquête s’étend de 14 à 39 ans, 56 % des femmes ayant eu leur première naissance entre 20 et 24 ans, et les femmes issues des milieux très aisé et aisé ayant une première naissance plus tardive que les femmes issues des milieux pauvres et très pauvres (Lévi, 2009, p. 33). Ainsi, la population de notre enquête semble être touchée par les mêmes tendances que la population de Vientiane, notamment une baisse de la fécondité et un recul de l’âge au premier enfant entre le femmes de ]45 à 69 ans] et celles de ]25 à 45 ans]. Nous verrons en quoi ce recul peut être questionné d’un point de vue anthropologique.

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I.2.4.2 Informations recueillies sur l’infertilité

Sur les 18 femmes de l’enquête ayant déjà eu des enfants, 6 ont évoqués des difficultés pour tomber enceinte. Cinq d’entre elles ont entre ]25 et 45 ans], et deux ont 53 et 56 ans. Voici quelques exemples de leurs discours.

« Pour moi, ça a été difficile de tomber enceinte. Il a fallu deux ou trois ans pour que je tombe enceinte. J'ai eu deux enfants mais c'est difficile et je n'arrive pas à en avoir d'autres. /…/ C’est parce que je fais des rêves anormaux. »153 (Vieng, 28 ans, 2 enfants)

« C’est la nature. Je n'ai pas pris de médicaments. Je n'avais juste pas d'enfants. Pour le dernier enfant, le cordon mesurait seulement la longueur entre le pouce et l'index. Ce n'était pas comme les deux premiers. Leur cordon était long. »154 (Me Kamphet, 56 ans, 3 enfants) « Je n'ai pas pu avoir d'autres enfants et je ne prends pas la pilule. /…/ c’est difficile d’avoir des enfants. »155 (Amala, 35 ans, 2 enfants, 5 grossesses dont trois s’étant soldées par des fausses couches)

« Et c'était difficile de tomber enceinte. Il m'a fallu environ trois ans pour avoir un enfant. »156 (Khoud, 33 ans, 2 enfants)

« En fait on voulait un troisième depuis longtemps mais ça n'a pas marché. Et je ne sais pas ce qui s'est passé, mais je me suis rendue compte que j'étais enceinte. Je suis allée au Canada, je n'étais pas au courant du tout. Et quand je suis revenue j'étais mal à l'aise et tout. Alors je suis allée voir le médecin et il m'a dit que j'étais enceinte de deux mois. /…/ on pensait que ça n'arriverai plus, que c'était trop tard. Je ne prenais pas la pilule ni rien. »157 (Kinsavan, 43 ans, mère de 3 enfant dont la dernière âgée de 12 jours).

Souvent, il n’y a pas de raisons évoquées, si ce n’est la « nature ». Vieng a mis en cause les « rêves anormaux » qu’elle faisait, qui peuvent être reliés à une manifestation de génies, dont le rêve est une des voies (Pottier, 2007, p. 16). Et Amala dit avoir un problème à l’utérus qu’elle impute à un curetage mal fait.

« Quand j’étais enceinte, j’ai pris un médicament parce que je ne savais pas que j'étais enceinte donc mon enfant est mort dans mon ventre à trois mois. Et les autres sont morts à 6 mois. Et ça m'a causé des problèmes à l'utérus jusqu’à maintenant, parce que peut être les médecins n'ont pas pu tout sortir. »

153 Entretien n°1, 28-02-13, Wat Si Meuang. 154

Entretien n°5, 06-13-13, chez Me Kamphet. Selon elle, le cordon plus court était signe qu’elle ne pourrait plus avoir d'enfants.

155 Entretien n°15, 12-03-13, Wat Si Meuang. 156 Entretien n°22, 15-03-13, Wat Si Meuang.

Elle est d’ailleurs la seule à évoquer un recours à cette situation, qui est de demander de l’aide (ba:) à Me Si Meuang pour avoir un autre enfant. En effet, il semble que de nombreuses femmes aient recours à Me Si Meuang pour avoir un enfant, mais peu de celles que j’ai rencontrées m’en ont parlé. C’est Somphane, accoucheuse traditionnelle et employée au Wat Si Meuang, qui a confirmé voir de nombreuses femmes venir dans ce but :

« La semaine dernière ou le mois dernier, il y a des femmes, mariées depuis environ 4 ou 5 ans mais qui n’ont pas d’enfants, qui sont venues ici pour demander l’aide à Me si Meuang. /…/ Par exemple il y a une thaïlandaise qui est venu ici pour demander de l’aide à Me si Meuang pour avoir des enfants parce qu’elle s’est mariée depuis longtemps mais elle n’a pas d’enfants. Une autre personne, mariée depuis 10 ans mais qui n'a pas d’enfant est venue me voir pour faire le rite d’offrande à Me Si Meuang. /…/ Aujourd’hui par exemple il y a eu trois femmes : une de Ban Dongdok, une de Ban Dongkham, et une de Ban Nasaithong. Elles se sont mariées depuis 5 ou 6 ans mais n'ont pas eu d'enfants. Si elles n'ont pas d'enfants elles ont peur que leur mari les quitte et cherche une autre femme. »158 (Somphane, 52 ans, accoucheuse traditionelle et employé au Wat Si Meuang)

Plusieurs éléments sont présents dans cet extrait. Tout d’abord, Somphane exprime la pression sociale sur les femmes qui n’ont pas d’enfants. Elle confirme aussi que le recours à Me Si Meuang n’est pas anecdotique. Ensuite, dans un autre entretien, Somphane évoquait les raisons possibles de ces difficultés à avoir des enfants :

« Parfois c’est à cause de la femme et parfois c’est l’homme, parfois c’est le sang qui ne va pas ensemble. /…/ Certaines personnes aiment la facilité donc elles demandent de l’aide à Mae si Meuang. On peut changer le sang aussi. Parfois l’homme est stérile donc on n’a pas d’enfant. »159 (Somphane, 52 ans, accoucheuse traditionelle et employé au Wat Si Meuang) « Changer le sang » signifierait ici changer de partenaire, à cause d’une « incompatibilité » des sangs qui ne « vont pas ensemble ». Cette théorie explicative de l’infertilité est évoquée par F. Héritier, qui explique que dans la plupart des sociétés « traditionnelles », l’infertilité des hommes n’est pas reconnue, mais seulement « l’incompatibilité des sangs » (Héritier, 1996, p. 105) : « Il ne s’agit pas véritablement de l’éventualité d’une détermination des responsabilités mais plutôt, /…/ de l’idée que l’échec d’un couple à procréer peut tenir d’une impossible fusion entre leurs sangs, de ce que nous appellerions une "incompatibilité" des sangs. » Selon Héritier cette conception se retrouve par exemple chez les Samo, et permet le seul cadre de séparation légitime d’un couple.

158 Entretien n°18, 13-03-13, Wat Si Meuang. 159

Les autres « solutions » à l’infertilité évoquées au cours de l’enquête sont des remèdes « traditionnels » dont nous ont parlé les vendeurs du marché Hmong dans lesquels nous avons fait une enquête exploratoire. Nous demandions à chaque vendeur quels médicaments pour les femmes il avait dans son étal. Trois étals sur les cinq que nous avons visités proposaient des médicaments « pour avoir des enfants ». Nous avons déterminé deux types de médicaments, se préparant en infusion/soupe et à prendre à des moments différents. L’offre de ce type de médicaments témoigne de la demande qui en est faite. On peut se demander si les prix, élevés pour des médicaments traditionnels (de 100 000 à 250 000 Kips, donc de 10 à 25 euros), sont signes du crédit qui leur est accordé, en terme de d’efficacité symbolique ou d’importance symbolique, puisque comme les vendeurs l’ont souligné ils permettent de « créer des enfants », ou bien s’ils s’appuient sur les stratégies de recours des parents désireux d’avoir des enfants. Pour terminer, je soulignerai que personne ne nous a parlé de recours à la médecine « occidentale » dans le cadre des difficultés à avoir des enfants.