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Établissement des faits stylisés pour l’Espagne

Section 2. L’ère franquiste (1939-1975)

3.1. Ouverture de l’économie nationale et intégration européenne

3.2.1. Rappels historiques : les innovations techniques majeures et l’émergence du modèle

Premièrement, à partir de la fin des années 1950, se diffuse la technique de l’« enarenado » (littéralement « ensablé »), technique de préparation des sols qui vise à construire un sol arable grâce à la superposition de plusieurs couches (30-50 cm de terre, 10-20 cm de fumier et de terreau, et 5-10 cm de sable). La technique visant à recouvrir le sol de sable, pourtant utilisée depuis le XIXe siècle par certains agriculteurs de communes proches (telle celle de La Rábita située plus à l’Ouest), était inconnue de l’INC-IRYDA (Rivera Ménendez, 2000). L’institut ne la redécouvre qu’en 1956 (suite à l’observation fortuite d’une anomalie) et la diffuse à partir de 1957. Il finance une expérience sur 20 hectares qui révèle que cette technique permet de résoudre en partie le problème de la salinité de l’eau, mais aussi de saturer l’air en humidité au niveau du sol, de réchauffer le sol et d’augmenter le développement radiculaire et, partant, d’augmenter les rendements123.

Deuxièmement, les premières serres plastique font leur apparition en 1963, année où est installée une serre test de 500 m2 au niveau de la parcelle 24 du secteur I du Campo de Dalías (Rivera Ménendez, 2000)124. Le tableau ci-dessous montre les résultats en termes de rendements constatés des cultures sous serre par rapport à l’air libre. Ils sont environ deux fois supérieurs pour la tomate (+ 213 %), près de quatre fois supérieurs pour le concombre (+ 384 %) et près de cinq fois supérieurs pour le poivron (+ 466 %).

Tableau 20 : Rendements comparés de la première serre (1963)

Rendement (kg/100 m2)

Aire libre Sous serre

Différentiel de rendement (en %)

Tomate 167,8 358,22 213

Poivron 16,7 77,8 466

Concombre 94,4 362,5 384

Source : Rivera Ménendez (2000 : 154).

Rapidement, les serres vont se généraliser au niveau de la zone du Campo de Dalías, aujourd’hui considérée comme la plus grande concentration de serres au monde. Pour l’ensemble de la province, les superficies sous serre représentent en 2007 une superficie totale de 25 983 hectares, dont plus de 18 300 hectares rien que pour le Campo de Dalías (en prenant en compte les 940 hectares situés sur la commune d’Adra) et environ 4 000 hectares pour le Campo de Níjar, beaucoup moins concentré

123 Sur ce point, précisons que certains des étangs littoraux situés sur le Campo de Dalías, telle la Balsa del Sapo

à la Las Norias, sont le fruit de l’excavation de sable et des sédiments pour la préparation des terrains agricoles. Compte tenu de la proximité de la mer et de l’arrêt de nombreux pompages dans l’aquifère supérieur en raison de la dégradation de la qualité de l’eau, ces carrières se sont remplies d’eau saumâtre. Certaines d’entre elles servent aujourd’hui de décharge à ciel ouvert.

(Sanjuan Estrada, 2007) (Cf. Tableau 21 et annexe 15 pour le détail). L’importance des cultures sous serre est d’autant plus flagrante lorsque les superficies concernées sont rapportées au total des superficies irriguées. Au niveau de la province, en 2002, la part des superficies sous serre représente 36,2 % de la superficie irriguée totale tandis qu’au niveau de l’Andalousie, elle n’est que de 3,7 % (Consejería de agricultura y pesca, 2002).

Tableau 21 : Évolution de la superficie des exploitations sous serre de la province d’Almeria (en ha)

Année Superficie Année Superficie

1963 0,05 1994 18 261 1971 1 114 1995 18 969 1976 3 440 2000 24 764 1980 7 150 2003 26 958 1981 8 250 2007 25 983 1985 10 905

Source : élaboration propre d’après La Voz de Almeria (2000 : 52), [série 1963-1981] et Sanjuan Estrada

(2007 : 15) [série 1985-2007].

Les deux principaux types de serres sont le « parral » (pergola) — dit type « Almeria » — et le « multi-tunnel ». Le premier est d’une conception plus rudimentaire : des armatures, initialement en bois puis en métal, forment une structure simple au toit plat. Leur taille moyenne est généralement d’un demi-hectare environ. L’autre grand type de structure, plus élaboré, est composé d’une succession de demi-cylindres. Grâce aux volumes offerts par la taille des serres, ainsi que grâce à leur forme qui permet une meilleure exploitation de l’ensoleillement, les rendements sont supérieurs par rapport au premier type. Cependant, le coût des infrastructures et de l’installation est beaucoup plus important et ces serres se révèlent moins bien adaptées aux conditions climatiques locales : leur grand volume offre une trop grande prise aux vents qui soufflent souvent violemment dans la région. C’est pourquoi, le type « parral » est aujourd’hui encore largement prédominant dans le Campo de Dalías. Même si elles restent relativement simples, ces structures ont acquis un plus haut niveau de technicité depuis leur apparition (armatures en métal, possibilité de disposer d’ouvertures afin de ventiler les serres, exposition des serres, etc.), tout comme les matériaux plastique utilisés.

D’une manière extrêmement simplifiée, l’usage de serres est motivé par deux objectifs que recoupe une même volonté : s’émanciper des contraintes naturelles afin de maîtriser la production. D’une part, les serres permettent de protéger la culture des intempéries (vent, pluie) et, d’autre part, elles facilitent la maîtrise des paramètres essentiels à la production agricole en créant un microclimat. La serre maximise les radiations solaires125, régule les variations nocturnes (inversion de température), réduit l’évapotranspiration en limitant les courants d’air et permet de contrôler l’apport d’eau.

125 Durant la période estivale, afin de ne pas soumettre les cultures à des températures trop élevées, les serres

Troisièmement, la micro-irrigation (ou goutte à goutte) s’impose rapidement et remplace l’irrigation gravitaire (à la raie ou par inondation), ancien mode d’irrigation qui prédomine jusqu’en 1976 (Losada et López-Gálvez, 1997 ; Ferraro García, 2000 ; entretiens). L’eau est apportée au pied de la plante à l’aide d’un tuyau parsemé de goutteurs (petits orifices) disposés à une distance constante. La micro-irrigation doit être associée à un système de mise en pression de l’eau. Cette pression peut être obtenue grâce à la gravité, comme le font aujourd’hui encore les agriculteurs de la Communauté d’irrigants du río Adra (810 hectares) ou par un système de pompes, tel que c’est le cas de la plupart des agriculteurs actuels dont ceux des communautés d’irrigants regroupées au sein de la Communauté des usagers de l’aquifère de la Sierra de Gádor [Comunidad de usuarios del acuífero de la Sierra de Gádor] (communauté de second rang qui représente près de 10 000 hectares au total). Dans les deux cas, la micro-irrigation implique de transformer les infrastructures d’approvisionnement et de remplacer les anciens canaux d’irrigation (séguias) au profit de conduites fermées. Cependant, la seconde technique de mise en pression se généralise car elle permet de contrôler la pression avec une plus grande précision. La constance du débit dans le temps et au sein même de la serre est une des données fondamentales de la maîtrise de la production sur laquelle les agriculteurs rencontrés ont insisté. Notons enfin que la majorité des agriculteurs dispose d’installations quasi-similaires : les goutteurs sont disposés tous les 50 cm le long de lignes qui dépassent rarement les 20 mètres et sont généralement conçus pour recevoir une pression constante d’un bar afin de délivrer un débit constant de 3 litres/heure126.

Dès les années 1990, la « fertigation » (association de fertilisants à l’eau d’irrigation) assistée par ordinateur commence à gagner les exploitations, pour être aujourd’hui la norme. L’ordinateur (qui peut être programmé à l’avance) pilote l’ouverture d’électrovalves (petits injecteurs) chargées de prélever des nutriments chimiques dans des cuves afin de les associer à l’eau d’irrigation127. Même si la culture hors-sol est minoritaire dans la province d’Almeria, le sol est néanmoins à concevoir comme un substrat plus ou moins neutre auquel il est indispensable d’apporter tous les nutriments nécessaires à la croissance des plantes. Depuis peu, dans certaines exploitations, la fertigation automatisée est couplée à des tensiomètres ou des sondes capacitives implantées dans le sol afin d’augmenter l’automatisation de l’irrigation.

Les monographies de la zone du Campo de Dalías prennent souvent comme point de départ ces trois évolutions techniques qui permettent d’appréhender le fonctionnement de l’agriculture locale, mais

126 À titre de comparaison, les fermes de la société française Maraissa implantées dans la région d’Agadir

disposent de goutteurs à quatre sorties calibrées chacune à 1,5 l/h, soit 6 l/h par goutteur, lesquels sont disposés tous les 40 cm.

127 Généralement, une petite dépendance est accolée à la parcelle. Elle regroupe l’ordinateur, le système

d’électrovalves et les cuves qui contiennent chacune un ou plusieurs éléments chimiques. Les principaux éléments chimiques sont : l’azote, le phosphore et le potassium ainsi que l’acide nitrique (contrôle du pH et neutralisation du calcium), le sulfate d’ammonium, le nitrate de calcium, auxquels on ajoute parfois du sulfate de zinc, du sulfate de cuivre, du sulfate de manganèse, de l’urée, etc.

aussi son évolution. Comme le souligne le président de la plus grande communauté d’irrigants d’Adra, il faut concevoir ces trois innovations comme liées mais pas dépendantes :

« en réalité elles sont devenues associées parce que la modernisation l’a favorisé ! Il existe encore des exploitations qui fonctionnent sans serre ou sans goutte à goutte. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, la plus grande partie c’est plastique, culture intensive et irrigation localisée »128.

Conjuguées, ces évolutions techniques ont permis d’augmenter les rendements et la rentabilité des exploitations et de l’agriculture locale. Dans le contexte actuel de forte concurrence nationale et étrangère, ces indicateurs sont sous tension.