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Établissement des faits stylisés pour l’Espagne

4.2.1.1. Émergence de la planification hydrologique

D’un point de vue législatif, la loi sur l’eau du 2 août 1985 remplace la précédente loi sur l’eau datant de 1879. Elle marque un profond changement d’orientation dans la manière de réguler les usages de l’eau en Espagne. L’article 13 pose trois principes fondamentaux (traduction de Barraqué, 1995 : 92) :

1. Unité de gestion, traitement intégral, économie de l’eau, déconcentration, décentralisation, coordination, efficacité et participation des usagers.

2. Respect de l’unité du bassin hydrographique, des systèmes hydrauliques et du cycle hydrologique.

3. Compatibilité de la gestion publique de l’eau avec l’aménagement territorial, la conservation et la protection de l’environnement et la reconstitution de la nature.

147 Divers entretiens réalisés avec des agriculteurs et le Président de la communauté d’irrigants du río de Adra

les 25 et 27/06/2008.

Afin de respecter ces règles, elle met en place le principe de planification hydrologique. Dorénavant, toutes les décisions concernant la mobilisation des eaux (souterraines et superficielles) doivent être soumises à la planification. Celle-ci relève de multiples aspects, tels l’estimation des volumes actuels et futurs liés aux usages, la répartition sectorielle, la définition de critères quant à la qualité et la quantité optimale pour chaque usage, la programmation des ouvrages hydrauliques et la surveillance des milieux. La loi sur l’eau considère que :

« la planification hydrologique aura pour objectifs généraux d’atteindre la satisfaction optimale des demandes en eau, d’équilibrer et d’harmoniser le développement régional et sectoriel, en améliorant sa qualité, en économisant son emploi et en rationnalisant ses usages en harmonie avec l’environnement et les autres ressources naturelles » (art. 38.1)149.

Cette planification se réalise au travers de Plans hydrologiques de bassin et d’un Plan hydrologique national (PHN). Rédigés par les organismes de bassin créés par la loi, les Plans de bassin visent à recenser les besoins en consommation finale et les ressources primaires ; à établir les balances actuelles et futures ; à définir les conditions de transformation des usages, notamment agricoles, afin d’améliorer l’adéquation entre les ressources primaires et les terrains disponibles ; à définir des objectifs de qualité par type de ressource primaire, etc. (art. 40). Le PHN a pour objectif principal de coordonner les différents plans de bassin. En particulier, il vise à offrir des alternatives aux solutions localement identifiées ; à prévoir et à planifier les conditions des transferts interbassins (art. 43.1) ainsi que les ouvrages hydrauliques d’intérêt général et qui affectent plus d’une Communauté autonome (art. 44). Élaboré au niveau national (Ministère des travaux publics puis Ministère de l’environnement), il est approuvé par loi. Son approbation implique l’adaptation des Plans de bassin à ses prévisions (art. 43.3).

D’un point de vue chronologique, l’avant projet de PHN voit le jour en 1993. Il traduit la volonté de moderniser les usages et de restructurer le territoire hydrographique espagnol en connectant les différents bassins au travers de nombreux transferts. Il vise à répondre au problème qualifié de déséquilibre hydrologique entre une « Espagne sèche » et une « Espagne humide » (grâce au transfert de l’Èbre en particulier) et prévoit la construction de plus de deux cents barrages.

Suite à la victoire aux élections générales du Parti populaire (parti conservateur) en 1996150, la procédure de planification change avec la réforme de la loi sur l’eau en 1999 (B.O.E., n° 298, du 14/12/1999) et la proposition d’un nouveau plan en 2001. Cette orientation est soutenue par le

Livre blanc de l’eau en Espagne [Libro blanco del agua en España] (MMA, 1998), et le Plan

149 Art. 38.1 : [« La planificación hidrológica tendrá por objetivos generales conseguir la mejor satisfacción

de las demandas de agua y equilibrar y armonizar el desarrollo regional y sectorial, incrementando su calidad, economizando su empleo y racionalizando sus usos en armonía con el medio ambiente y los demás recursos naturales. »]

150 La référence aux élections n’est pas fortuite. Les changements de gouvernement constituent la

justification la plus couramment avancée pour expliquer les modifications de la politique de l’eau (comme celle de 2005 qui substitue le dessalement au transfert).

national d’irrigation [Plan nacional de regadíos] (MAPA, 2002). En 2005, suite au changement de gouvernement, un nouveau PHN est rédigé. Au niveau des bassins, les Plans hydrologiques de bassin sont approuvés par le décret royal 1664/1998 du 24 juillet 1998 (B.O.E. n° 191 du 11/08/1998).

La réforme de la loi sur l’eau de 1999 s’appuie sur l’expérience de la sécheresse historique de 1991 à 1995 face à laquelle le modèle d’offre s’est avéré inadapté. Elle porte sur quatre points principaux (Giansante et al., 2000 : 237) :

la « flexibilisation des rigidités » de l’ancien régime de concessions par l’introduction de mécanismes de marché ;

de nouveaux mécanismes de financement et l’introduction des capitaux privés pour la réalisation des ouvrages hydrauliques. Des sociétés mixtes, dites compagnies d’État, aux capitaux essentiellement privés, sont créées pour réaliser les travaux hydrauliques et assurer la gestion du cycle hydrologique. Cette orientation se traduit par une plus grande participation des compagnies dans les conseils d’administration des organismes de bassin ;

l’introduction d’incitations dans le système tarifaire de l’eau d’irrigation grâce, notamment, aux compteurs volumétriques pour appréhender la consommation d’eau ;

l’augmentation de la responsabilité des usagers pour la gestion des ressources primaires et pour l’ajustement entre l’eau produite et les usages.

Sur le premier point, deux mécanismes sont prévus : la création de « marchés » de droits d’usage de l’eau transférables d’un titulaire à un autre (sous certaines conditions) et les « centres d’échange de droits d’usage de l’eau » (ou « banques d’eau ») en cas de sécheresse, fondés sur le modèle des banques de l’eau mises en place en Californie en 1991 (Giansante et al., 2000 : 239). En Andalousie, les articles 46 et 47 de la Loi 9/2010 [Ley 9/2010, de 30 de julio, de Aguas para

Andalucía] (B.O.J.A., n°155, du 09/08/2010) prévoient respectivement la création de Banques

publiques d’eau permettant d’acquérir des droits d’eau et la possibilité d’échanger des droits d’eau privatifs [Contratos de cesión de derechos al uso privativo de las aguas]151.

En septembre 2000, le Ministère de l’environnement remet une version préliminaire d’un nouveau PHN au Conseil national de l’eau [Consejo nacional del agua]. Le Plan a été ensuite validé et remis au Parlement en février 2001 pour débat et approbation. Approuvé en avril, il a été soumis au débat au Sénat et les conclusions ont été publiées au Journal officiel en juillet 2001 (B.O.E., n° 161, du 06/07/2001) (Cf. annexe 19).

151 Pour une présentation du fonctionnement et des limites des marchés de l’eau à Tenerife grâce à une

Tout comme l’avant projet de PHN de 1993, l’objectif principal du nouveau PHN de 2001 repose sur la justification du transfert de l’Èbre. Cette orientation est soutenue dans son ensemble par le

Livre blanc de l’eau en Espagne (MMA, 1998). Ce document, qui a initialement pour but

d’engager un débat social autour de la gestion de l’eau en Espagne, se présente tout d’abord comme une base de données sur les ressources et les usages ainsi que sur les techniques disponibles. En reconnaissant l’existence d’un « déficit structurel », il débouche sur la proposition de « possibles transferts » d’eau, dont celui de l’Èbre, dans le cadre du futur PHN.

Le Plan national d’irrigation publié en 2002 (MAPA, 2002) a principalement pour objectif de

planifier l’extension des superficies irriguées, les économies d’eau potentielles et les types de spéculation à irriguer. Il prévoit une augmentation de la superficie irriguée totale de 242 791 hectares, superficie sans commune mesure avec le total des superficies prévues par les différents Plans hydrologiques de bassin qui s’élève à 1 172 285 hectares (Gil Olcina, 2001). Enfin, après le changement de gouvernement suite aux élections générales de 2004, le PHN est modifié en 2005 (B.O.E., n° 149, du 23/06/2005) : le dessalement d’eau de mer est substitué au transfert (Cf.infra). Plus récemment, le décret royal 907/2007 (B.O.E., n° 162, du 07/07/2007) renforce le processus de planification hydrologique et insiste sur la notion de débit écologique que chaque Plan hydrologique de bassin doit évaluer et faire respecter afin d’améliorer la qualité des masses d’eau. Ainsi, l’article 17.2 précise que : « les débits écologiques ou demandes environnementales ne prendront pas le caractère d’usage, mais devront être considérés comme une restriction qui

s’impose de manière générale aux systèmes d’exploitation »152.