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Établissement des faits stylisés pour l’Espagne

Section 2. L’ère franquiste (1939-1975)

3.1. Ouverture de l’économie nationale et intégration européenne

3.2.2. Progrès techniques, rendements et rentabilité des exploitations

Ces trois améliorations techniques majeures — elles-mêmes associées à d’autres améliorations telles que la sélection des semences, le perfectionnement des connaissances agronomiques des agriculteurs, l’amélioration des matériaux ou encore, plus récemment, la diminution de l’usage de phytosanitaires remplacés en partie par des insectes auxiliaires (lutte intégrée), etc. — ont permis d’élever considérablement le niveau des rendements agricoles : pour la tomate, ceux-ci sont passés d’environ 30 tonnes par hectare en 1965 à près de 88 tonnes par hectare en 1999, soit une multiplication par près de trois (Cf. Figure 14). La Figure 16 montre l’évolution des rendements agricoles et étaye l’idée que leur compréhension est indissociable des améliorations techniques. Ces améliorations ont permis d’atteindre une productivité physique exceptionnelle, au point que l’agriculture de la région est aujourd’hui considérée comme l’agriculture la plus rentable d’Espagne voire d’Europe malgré l’augmentation des coûts de production.

Cependant, la profitabilité en termes de revenus par volume produit s’oriente à la baisse pour deux raisons. D’une part, les prix tendent à baisser et les revenus des agriculteurs par quantité produite tendent à diminuer. Cette tendance est en grande partie liée au contexte de concurrence accrue entre producteurs nationaux et étrangers (Maroc, Égypte, Israël, etc.) et de monopolisation de la rente par les intermédiaires, en particulier par les grands distributeurs (Fundación Cajamar, 2009). D’autre part, les charges d’exploitation augmentent. L’évolution du cours des matières premières impacte négativement le prix des intrants à la production, dont une grande partie est liée à l’industrie pétrolière : plastique des serres, phytosanitaires, chauffage des serres pour certains, etc. Néanmoins, la structure des coûts par poste apparaît relativement stable sur les dix dernières années (les coûts courants représentent environ 75 % et les coûts d’amortissement environ 25 % des coûts totaux) et la main d’œuvre reste le poste le plus important, représentant entre 35 et 40 % des coûts d’exploitation totaux (Cf. annexe

14)129. Notons que l’eau ne représente qu’une part marginale des coûts d’exploitation : entre 2,3 % et 2,5 % des coûts totaux130. Ce coût de l’eau comprend, d’une part, les dépenses liées au coût de l’énergie pour la prélever et au coût du service d’approvisionnement et d’entretien/renouvellement des réseaux assuré par les communautés d’irrigants. D’autre part, il comprend les dépenses liées à l’achat des nouvelles ressources produites (eau du transfert Negratín-Almanzora, eau dessalée, eau recyclée, etc.). Enfin, précisons que l’investissement initial pour une serre prête à produire (structure, plastique, préparation d’un terrain, bassin de régulation, dépendance, système d’irrigation) varie entre 110 000 et 150 000 €/ha131. Ainsi, les coûts d’exploitation moyens d’une serre type ont augmenté, passant de 48 414 €/hectare en 2000-2001 à 54 784 €/hectare en 2005-2006 et à 55 417 €/hectare en 2009-2010. En parallèle, le chiffre d’affaires annuel moyen d’une exploitation type n’a augmenté que de 71 250 €/hectare à 75 525 €/hectare entre la campagne 2000-2001 et celle de 2005-2006, ce qui a induit une baisse des bénéfices annuels moyens de 22 836 €/hectare à 20 741 €/hectare sur cette même période, soit une baisse de 9,2 % (données de la Fundación Cajamar). Ainsi, depuis 1975, la rente agricole se maintient : après une phase de croissance à partir des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000, celle-ci tend à diminuer depuis deux ans. Ce maintien de la rentabilité (malgré la baisse des dernières années) est liée à l’augmentation des rendements (Cf. Figure 15).

129 La rentabilité est accrue par une maîtrise des coûts, notamment ceux liés à la main d’œuvre agricole, au point

que l’agriculture d’Almeria est fréquemment dénoncée pour son recours massif aux travailleurs immigrés non déclarés en provenance principalement d’Afrique du Nord et, depuis peu, d’Europe de l’Est. Cette donnée fait partie intégrante du modèle productif local et a donné lieu à des évènements tragiques (dont les affrontements — souvent qualifiés de racistes — à El Ejido en février 2000). Une série de reportages réalisés par des journalistes étrangers dénonce fréquemment les conditions de travail des ouvriers agricoles, tel celui diffusé par la Télévision

Suisse Romande (TSR) en février 2004 puis relayé par divers quotidiens nationaux suisses (Le Matin, Éclairage)

fustigeant les « conditions d’esclavage », ou encore celui diffusé par la TSR le mardi 15 avril 2008, soit peu de temps avant notre séjour de juin 2008 et qui a accru la méfiance à notre égard de la part des agriculteurs. Intitulé « Poivrons : des pesticides et des esclaves dans votre assiette », celui-ci ajoutait à la question des conditions de travail, la qualité des légumes (polémique autour des résidus de pesticides). Plus récemment, c’est au tour du

journal anglais The Guardian de diffuser sur son site depuis le 7/02/2011 une vidéo intitulée « Salad Slaves:

Who Really Provides our Vegetables » (<www.guardian.co.uk> [*]). Pour se défendre, les porte-paroles des agriculteurs d’Almeria et les journaux locaux dénoncent une campagne de calomnie orchestrée par les

journalistes étrangers pour servir les intérêts des producteurs français et néerlandais (voir par exemple l’Anuario

de la agricultura almeriense2004 : 104). Quoiqu’il en soit, le sujet a été difficile à aborder lors de l’enquête et nous n’avons pu rencontrer qu’un seul travailleur illégal ayant accepté de nous parler. Ce dernier a plus que corroboré les éléments dénoncés par les journalistes et niés par les agriculteurs. Pour aller plus loin, voir par exemple Delgado Cabeza et Aragón Mejías (2006) ; Roux (2006), ainsi que le reportage de Rhalib Jawad « El Ejido, la loi du profit » paru en 2007.

130 En réponse à la question relative à la part de l’eau dans les coûts d’exploitations, le président d’une

communauté d’irrigants d’El Ejido a rétorqué : « Si je te le dis, cela va te paraître ridicule » (entretien réalisé le

26/06/2008). Les relevés de comptes d’exploitation d’une exploitation de 14 543 hectares située sur les hauteurs d’Almeria (Cuatro Vegas) révèlent qu’entre 1999 et 2007 l’eau a représenté en moyenne 2,53 % des coûts totaux, ce qui corrobore la moyenne provinciale (entretien réalisé le 03/07/2008 à Almeria).

Figure 14 : Évolution des rendements physiques moyens pour trois cultures (T/ha)

Figure 15 : Évolution des rendements, de la profitabilité de la production et de la rentabilité des serres de la province d’Almeria (1975-2007)

Notes : la baisse des rendements après 1999 est

principalement liée à deux virus : celui véhiculé par la mouche blanche (TYLCV) affectant les tomates et celui dit des « veines jaunes » (CVYV) affectant

les cucurbitacées (pour le détail, Cf. annexe 12).

Source : élaboration propre d’après La Voz de

Almeria (2000 : 54).

Note : (i) Indice 1975=100. Les unités sont

données à titre indicatif. (ii) Selon les estimations de COEXPHAL, entre 2000-2001 et 2005-2006, les

bénéfices auraient baissés de 30 142 €/hectare à

24 319 €/hectare, soit une baisse de 19,3 %

(entretien réalisé le 07/07/2008 à Almeria).

Sources : élaboration propre d’après La Voz de

Almería (2000 : 27) et Fundación Cajamar,

Informes y monografías (2001-2002-2009-2010).

Figure 16 : Évolution des rendements agricoles moyens à Almeria et des progrès technologiques (T/ha)

25 30 35 40 45 50 55 60 1975197619771978197919801981198219831984198519861987198819891990199119921993199419951996199719981999 Semences hybrides

Goutte à goutte Plastique thermique

Goutteurs intégrés Amélioration de la structure des serres

Insectes pollinisateurs

Tomate longue vie Serres à structure

préfabriquée Automatisation

de l'irrigation

Note : Rendements moyens de la zone (cultures non précisées).

Source : élaboration propre d’après données de La Voz de Almería (2000 : 27) et Instituto de estudios Cajamar

(2004 : 22). 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 1965 1970 1975 1978 1981 1984 1987 1990 1993 1996 199 8 1999 Tomate Poivron Concombre

0 50 100 150 200 250 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 Rendement (T/ha) Profitabilité (€/kg) Rentabilité (€/ha)

3.3. Le secteur agricole intensif à Almeria : principales tendances