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Établissement des faits stylisés pour l’Espagne

1.3.2. Un nouveau découpage territorial

1.3.2.1. Antécédents : les divisions hydrologiques de 1865

L’ordre royal du 29 juillet 1865 prévoyant la création de dix divisions hydrologiques (divisiones

hidrológicas) débute de la manière suivante :

« (…) souhaitant donner une nouvelle impulsion vigoureuse aux études hydrologiques du territoire de la Péninsule, qui participent largement au développement de l’agriculture et de l’industrie, il a été utile d’énoncer (…) les dispositions suivantes : 1. ont été créées 10 divisions hydrologiques nommément de Santander, d’Orense, de Valladolid, de Tolède, de Ciudad-Real, de Cordoue, de Séville, de Malaga, de Valence et de Saragosse » (Gaceta de Madrid, n° 211, du 30/07/1865).80

Outre la dénomination des divisions, qui correspond à la capitale de la province la plus proche, la carte suivante liste les principales différences qui existent entre les divisions hydrologiques de 1865 et les dix Districts hydrographiques actuels (ligne continue 1) : la division du bassin du nord (Miño-Cantabrico) qui correspond à un découpage hydrographique et celle du bassin du Guadalquivir, artificielle, entre Séville et Cordoue (ligne pointillée 2). À l’inverse, les bassins de Catalogne et de l’Èbre sont compris au sein de la division hydrologique de Saragosse (ligne pointillée 3) et ceux du Segura et du Júcar au sein de la division hydrologique de Valence (ligne pointillée 4). Ainsi, hormis l’extrême est de la division de Malaga, toute la façade méditerranéenne est répartie en deux divisions. De plus, précisons que les Iles Canaries sont en dehors du découpage et que les Iles Baléares sont assignées à la division de Valence. Cano García (1992) rappelle qu’une

79 [Art. 190 : « En años de escasez no podrán tomar agua los nuevos concesionarios mientras no estén

cubiertas todas las necesidades de los usuarios antiguos. »]

80 [« (…) deseando dar nuevo y vigoroso impulso a los estudios hidrológicos del territorio de Península, que

tanto han de constituir al fomento de la agricultura y demás industrias, se ha servido dictar (…) las disposiciones siguientes: 1. Se crean 10 divisiones hidrológicas denominadas de Santander, Orense, Valladolid, Toledo, Ciudad-Real, Córdoba, Sevilla, Málaga, Valencia y Zaragoza. »]

des raisons essentielles de la création de ces divisions hydrologiques est la volonté de disposer d’études hydrologiques afin de mieux exploiter les ressources. Cette volonté est une des principales revendications des auteurs régénérationnistes.

Néanmoins, faute de financement, les divisions hydrologiques sont supprimées en 1870. Cinq nouvelles unités territoriales naissent en 1876 afin de poursuivre les études hydrologiques. Ces unités sont celles du Duero (avec pour capital Valladolid), du Tage (avec pour capitale non plus Tolède mais Madrid), du Guadiana (avec pour capital Ciudad Real), du Guadalquivir (qui correspond aux trois divisions de 1865 de Cordoue, Malaga et Séville, avec pour capitale Cordoue) et celle de Saragosse. En 1881, sont créées celles de Turia (ancienne division hydrologique de Valence) et de Lugo (ancienne division d’Orense). De plus, la division hydrologique de Santander est rattachée à celle de Saragosse (Cf. Carte 9).

Carte 8 : Les divisions hydrologiques de 1865 et les différences avec le découpage actuel

Source : Cano García (1992 : 310).

Carte 9 : Les divisions hydrologiques de 1881

Source : Cano García (1992 : 314).

Elles-mêmes supprimées en 1899, elles sont rétablies en 1900 et prennent le nom de « divisions de travaux hydrauliques » [Divisiones de trabajos hidráulicos] (décret royal du 11/05/1900, Gaceta de

Madrid, n° 132, 12/05/1900). À part pour les Pyrénées orientales, leur appellation respective

correspond aux grands fleuves qui les traversent (Duero, Tage, Guadiana, Guadalquivir, Júcar et Segura, Èbre). Précisons que l’exposé des motifs du décret a été rédigé par Rafael Gasset.

1.3.2.2. Les Confédérations syndicales hydrographiques (1926)

L’exposé des motifs du décret royal du 5 mars 1926 (Gaceta de Madrid, n° 65, du 6/03/1926) exprime clairement la volonté de décentraliser la politique de l’eau en créant un nouvel acteur capable de relayer l’impulsion étatique tout en fédérant les dynamiques locales et ce, dès la première phrase. Citons deux longs passages de l’exposé des motifs du même décret qui justifie de manière précise la création des Confédérations syndicales hydrographiques :

« ne doivent pas être des fonctions exclusives de l’État la mise en œuvre et le développement des travaux affectant l’économie nationale. Il est nécessaire que son travail soit accompagné d’une coopération citoyenne, en partenariat avec les organismes, les entités et les individus concernés, afin de pouvoir atteindre un rendement convenable et d’obtenir un niveau d’efficacité nécessaire » (Gaceta de

Madrid, n° 65, du 6/03/1926 : 1248).

« Sur des bases parfaitement légales peut s’établir une norme qui représente un réel progrès, un changement profondément accélérateur dans l’avancement des infrastructures et des systèmes d’approvisionnement en eau. Cette norme est nécessaire pour organiser avec un sens de la réalité et de l’efficacité, sincère et exclusivement économique, la coopération des irrigants et des divers usagers, en les faisant intervenir pour la gestion et pour les bénéfices, tout en imposant l’ordre (…), ce qui crée un élément de verrouillage et d’harmonie, et définit automatiquement une opportunité dans l’ordonnancement et supprime automatiquement les initiatives, projets et systèmes qui ne fournissent pas les avantages recherchés. Selon ce critère, nous proposons la formation de Confédérations syndicales qui, sous la tutelle et avec l’aide de l’État, mais dotées d’une personnalité juridique suffisante, doivent agir comme des moteurs de l’énergie latente ou consommée de manière stérile, et qui correspondent à une réalité géographique ; à un besoin substantielle de long terme, la meilleure utilisation des eaux ; à une finalité immédiate, un meilleur rendement des infrastructures actuellement exploitées ou en construction ; et, finalement, à un autre moyen pour la création de richesse dans toute la mesure permise par le volume des ressources hydrauliques disponibles et par la potentialité économique du pays »

(Gaceta de Madrid, n° 65, du 6/03/1926 : 1249)81.

Les fonctions de ce nouvel acteur sont listées dans l’article 7 du décret royal et se déclinent en cinq points :

rédiger un plan d’usage et d’approvisionnement général de toutes les eaux superficielles de la Confédération ;

veiller à la réalisation des ouvrages selon un ordre de priorité défini ;

réguler l’exploitation des ouvrages hydrauliques ;

81 [« No deben ser funciones exclusivas del Estado la ejecución y desarrollo de las obras que afectan a la economía nacional. Es preciso que su labor vaya acompañada de una cooperación ciudadana, en combinación con los organismos, entidades e individuos interesados, para que pueda dar el rendimiento debido y alcanzar el grado de eficacia necesario »] ; [« Sobre bases perfectamente legales puede establecerse una norma que representa un verdadero avance, un cambio profundamente acelerador en la marcha de las obras y sistemas de aprovechamiento hidráulicos. Bastara para ello organizar debidamente con un sentido de realidad y eficacia, sincero y exclusivamente económico, la cooperación de regantes y usuarios diversos, dándoles intervención en la administración y en los beneficios, aunque imponiendo el orden (…), con lo cual se crea un elemento de trabazón y armonía, se define automáticamente una conveniencia en el ordenamiento y se eliminan, automáticamente también, aquellas iniciativas, proyectos y sistemas que no ofrezcan ese perseguido de beneficio. Con arreglo a este criterio, proponemos la formación de Confederaciones sindicales que bajo la tutela y con la ayuda del Estado, pero con personalidad jurídica suficiente, han de actuar como motoras de energías latentes o estérilmente consumidas, respondiendo a una realidad geográfica; a una necesidad sustancial largo tiempo sentido, al mejor aprovechamiento de las aguas; a una finalidad inmediata, el mayor rendimiento de las obras que en la actualidad se explotan o construyan; y a otra mediata y definitiva, la creación de riqueza en toda la medida que consientan la cuantía de los recursos hidráulicos disponibles y la potencialidad económica del país. »]

prêter main forte au Ministère de l’équipement pour tous types de services liés aux ouvrages publics agricoles, forestiers, ou de tout autre type selon les besoins du Ministère ;

louer les infrastructures réalisées avec des fonds publics et, exceptionnellement, les exploiter directement.

D’une manière plus précise, les articles 8 à 13 énoncent les compétences dont disposent les Confédérations. Pour résumer, celles-ci doivent : regrouper les informations relatives aux concessions d’eaux publiques mais aussi délivrer les autorisations et les permis pour dériver des cours d’eau, et pour l’ouverture de puits et de galeries drainantes sur les terrains publics (ce qui représente une avancée majeure par rapport à la loi sur l’eau de 1879) ; superviser la police des eaux superficielles ; prélever une redevance pour l’utilisation des infrastructures et rédiger les règlements [reglamentos y ordenanzas] relatifs à l’irrigation à destination des communautés d’irrigants qui le souhaitent. Les Confédérations dépendent de la Direction générale des ouvrages publics [Dirección general de obras publicas] pour l’approbation des plans et pour la réalisation des infrastructures, ainsi que du Ministère de l’équipement [Ministerio de fomento] pour l’approbation des emprunts (art. 11 et art. 12).

La composition (très élaborée) des Confédérations est arrêtée par les articles allant de 14 à 25. Les organes principaux sont :

une assemblée composée de représentants de l’État, dont un délégué royal qui endosse la fonction de Président ; un délégué du Ministère des finances [Ministerio de hacienda] et un ingénieur nommé par le Ministère de l’équipement ; de représentants des usagers suivant leur importance en termes de volumes prélevés ou de terres à irriguer ; ainsi que de représentants des chambres de commerce, d’agriculture et d’industrie, des banquiers et des représentants du Comité central de la colonisation [Junta central de colonización]. Par exemple, celle de l’Èbre comprenait 121 membres ;

un comité directeur [junta de gobierno] ;

deux comités exécutifs, un supervisant la construction des infrastructures et un autre supervisant leur exploitation, les deux portant à la fois sur les usages agricoles et industriels (Cf. l’organigramme de la Confédération syndicale de l’Èbre reporté en annexe 7).

Ainsi, durant la dictature de Primo de Rivera, à la fin du règne d’Alphonse XIII, cinq Confédérations syndicales hydrographiques naissent : celles de l’Èbre82, du Segura83, du Duero84, du Guadalquivir85 et des Pyrénées orientales86 (Clarimont, 2009 ; Vera Aparici, 2009).

Les Confédérations syndicales hydrographiques ont pour objectif d’harmoniser le système de relations entre les usagers dans un but d’efficacité technique et économique. Organismes dotés d’une personnalité juridique propre dont le périmètre d’action est défini en termes géographiques (et non pas administratifs), ils sont placés sous la tutelle de l’État et visent à satisfaire un objectif majeur : une utilisation plus efficiente (et plus intense) de l’eau et des infrastructures afin d’optimiser le potentiel de création de richesses du pays dans son ensemble. C’est pourquoi, la création des Confédérations syndicales hydrographiques représente l’œuvre la plus emblématique de la politique hydraulique de la première partie du XXe siècle et la mise en œuvre concrète du mode de pensée régénérationniste (Cano García, 1992 ; Frutos Mejías,1995 ; Swyngedouw, 2007). Pour Frutos Mejías (1995 : 181) : « c’est aussi la première manifestation d’une conception

intégrale de l’espace et, (…) la première tentative de planification régionale d’aménagement du

territoire »87.

Malgré la durée de vie limitée des Confédérations syndicales hydrographiques (1926-1931) qui rend difficile l’évaluation précise de leur bilan, Frutos Mejías (1995) considère de manière très positive leurs retombées : elles ont impulsé l’économie régionale des bassins — souvent de manière inégale — et elles ont créé : « une conscience collective de la valeur et de l’importance de

l’eau pour le développement »88.

En reconnaissant la possibilité de s’approprier privativement des eaux et en améliorant la gestion collective de l’eau d’irrigation, la loi sur l’eau de 1866-1879 est souvent considérée comme une mesure libérale. Néanmoins, derrière l’apparente décentralisation, voire le manque d’engagement de l’État dans la gestion de l’eau, il apparaît au contraire que ce dernier a renforcé sa mainmise sur la politique de l’eau. D’une part, le domaine privé ne concerne que les ressources souterraines et quelques ressources superficielles dont l’usage est soumis à autorisation et, d’autre part, la réorganisation du système de gestion de l’eau agricole — auparavant caractérisé par une multitude d’organismes — en imposant une forme unique d’organisation de Droit public, permet plus facilement de subordonner les différents acteurs à l’autorité des autorités politiques provinciales (Pérez Picazo, 2001a ; 2001b).

82 Décret royal du 05/03/1926 (Gaceta de Madrid, n° 65, du 06/03/1926).

83 Décret royal-loi du 23/08/1926 (Gaceta de Madrid, n° 236 du 24/08/1926).

84 Décret royal-loi du 22/06/1927 (Gaceta de Madrid, n° 174, du 23/06/1927).

85 Décret royal-loi du 22/09/1927 (Gaceta de Madrid, n° 268, du 25/09/1927).

86 Décret royal-loi du 15/03/1929 (Gaceta, de Madrid, n° 80, du 21/03/1929).

87 [« Es también la primera manifestación de un concepto integral del espacio y, (…) el primer intento de planificación regional u ordenación del territorio. »]