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Établissement des faits stylisés pour l’Espagne

4.3.1. L’option des transferts : une tradition ancrée historiquement

4.3.1.2. Les Plans hydrologiques nationaux et le projet de transfert de l’Èbre

Les transferts sont nombreux en Espagne. Aux deux transferts présentés précédemment, nous pouvons ajouter le transfert réversible qui relie l’Èbre à Besaya (District hydrographique de Cantabrie), celui qui relie l’Èbre à Bilbao, celui qui relie le Guadiana au Guadalquivir approuvé en 2008, celui qui permettra de transférer jusqu’à 84 Mm3/an du Tage vers le Guadiana, etc.

Figure 23 : Principaux transferts interbassins hydrographiques recensés par le Livre blanc sur l’eau

Source : MMA (1998 : 248).

Néanmoins, le projet le plus emblématique de la tradition hydraulique espagnole reste le projet de transfert de l’Èbre qui justifia la rédaction de deux Plans hydrologiques et qui, même après son abandon, est encore à l’ordre du jour et partage les Espagnols. Initialement prévu par l’avant projet de PHN de 1993, ce transfert est l’objet du PHN de 2001 et est soutenu par le Livre blanc sur

l’eau169. Néanmoins, il diffère des orientations précédentes présentées par le plan de 1993 sur

plusieurs aspects. Tout d’abord, les volumes envisagés pour les transferts sont considérablement moins élevés avec 1 050 Mm3/an contre 3 768 Mm3/an prévus en 1933 (dont 1 855 Mm3/an uniquement à partir de l’Èbre). De plus, le bassin de l’Èbre devient le seul bassin source de transferts. Ensuite, les tarifs de l’eau transférée sont revus à la hausse par rapport à ceux en vigueur pour les transferts existants et aux prévisions initiales. Enfin, il introduit des considérations environnementales et sociales (MMA, 2000a). Initialement, il était prévu de transférer 1 050 Mm3 et d’approvisionner Barcelone, le bassin du Júcar, le bassin du Segura et Almeria à hauteur, respectivement, de 190 Mm3/an, 315 Mm3/an, 450 Mm3/an et 95 Mm3/an (Cf. Figure 24).

169 Rappelons que l’idée de transférer l’eau de l’Èbre date du plan rédigé par Félix de los Ríos en 1937 (Cf.

Figure 24 : Volumes et distances des principaux transferts de l’Èbre prévus par le PHN de 2001

Source : Catalán (2001) d’après MMA (2000a : 387).

Ce plan a suscité une contestation forte de la part du gouvernement autonome aragonais dirigé par une coalition PSOE (parti socialiste) — PAR (Parti aragonais, régionaliste et conservateur), soutenu sur ce point par une grande partie de la population aragonaise. Cette contestation a en outre été médiatisée par une presse régionale unanime sur le sujet (Clarimont, 2005 ; 2006). De plus, de nombreux usagers de l’eau à travers le pays, des mouvements écologistes, ou encore la communauté scientifique, se sont associés à cette contestation. Enfin, le PHN de 2001 a été vivement débattu et critiqué par la Commission européenne, censée apporter son aide financière, en raison de doutes sur le respect de la législation européenne en matière d’évaluation environnementale et de récupération des coûts170.

Notons que le débat autour du transfert de l’Èbre s’est soldé par l’émergence d’une fondation, « La Fondation nouvelle culture de l’eau » [« Fundación Nueva cultura del agua »], animée par des universitaires de divers horizons. Celle-ci a posé les jalons d’une nouvelle approche de la gestion de l’eau, en totale opposition avec la logique traditionnelle, fondée sur la gestion de la demande, une conception intégrée de la gestion de l’eau indissociable de la gestion du territoire où l’eau n’est plus un besoin mais un « actif ecosocial » (patrimoine), qui implique une participation citoyenne active (Aguilera Klink, 2008 : 51). Cette conception de la gestion de l’eau souscrit aux recommandations européennes de recouvrement des coûts et à la nécessité de considérer la demande environnementale comme imprescriptible (Lopez-Gunn, 2009). Cette fondation a été un des moteurs de la contestation avec la publication d’articles scientifiques et de vulgarisation et l’organisation de congrès depuis 1999 avec, par exemple, les « Congrès ibériques sur la gestion et la planification des eaux », dont le premier date de 1999 [« El agua a debate desde la Universidad: hacia una nueva cultura del agua. I Congreso Ibérico sobre Gestión y Planificación de Aguas »] et dont le septième a eu lieu du 16 au 19 février 2011.

170 Au regard, par exemple, des directives suivantes : 79/409/CEE relative à la conservation des oiseaux

sylvestres ; 92/43/CEE relative à la conservation des habitats naturels et de la faune et flore sylvestres ; 85/337/EEC relative à l’évaluation des répercussions de projets publics et privés sur le milieu ambiant ; et en raison du principe de « non détérioration » stipulé dans la DCE 2000/60/CE.

190 Mm3 95 Mm3 450 Mm3 315 Mm3 Èbre Barcelone (179 km)

Après la victoire du parti socialiste le 14 mars 2004, le PHN est modifié et le projet de transfert suspendu. Pour Clarimont ( 2005) :

« le séisme politique du 14 mars 2004 ne s’est pas seulement soldé par un changement de majorité gouvernementale et un retour aux affaires du PSOE (cantonné au rôle de partie d’opposition depuis 1996) mais aussi par une réorientation de la politique hydraulique nationale ».

Cette modification représentait une des promesses électorales majeures, comme en témoigne la déclaration de José Luis Zapatero (PSOE) lors de son discours d’investiture :

« (…) je souhaite annoncer l’avènement d’une nouvelle politique de l’eau, une politique qui prendra en considération tant la valeur économique que la valeur sociale et la valeur environnementale de l’eau, avec pour objectif de garantir sa disponibilité et sa qualité, en optimisant son usage et en restaurant les écosystèmes associés »171.

4.3.2. Le changement de Plan hydrologique : le programme AGUA

La loi 11/2005 de modification du PHN (B.O.E., n° 149, du 23/06/2005) présente trois critiques liminaires adressées au précédent Plan pour justifier sa modification, dont la principale manifestation relève du fait que le dessalement de l’eau de mer a été substitué au transfert. Elles concernent :

sa dimension économique : il surestimerait les bénéfices du projet tout en sous-estimant les coûts, et manquerait de précision quant au recouvrement des coûts envisagé et pour la composition des tarifs. Repris par de nombreux auteurs, cet argument vise à contrecarrer l’idée que l’eau dessalée serait plus chère que l’eau transférée, surtout si la qualité de l’eau est prise en compte (Cf. Tableau 26) ;

sa dimension environnementale : il ne bénéficierait pas d’une expertise ni d’une évaluation prospective des impacts environnementaux du prélèvement jugées suffisantes ;

sa dimension technique : il ne serait pas appuyé par une expertise scientifique et technique suffisante pour justifier un tel programme.

Sans entrer dans les détails de la controverse, la modification de la loi affiche la volonté du gouvernement de s’inscrire dans le cadre de la DCE, notamment en ce qui concerne la dimension environnementale du projet afin de pouvoir, entre autres, bénéficier des fonds d’aides européens (FEADER par exemple) (Cf. exposé des motifs de la loi). Ainsi, la solution du dessalement et du

171 [« (...) quiero anunciar una nueva política del agua, una política que tomará en consideración tanto el

valor económico como el valor social y el valor ambiental del agua, con el objetivo de garantizar su disponibilidad y su calidad, optimizando su uso y restaurando los ecosistemas asociados. »]

recyclage portée par le Programme AGUA (Actions pour la gestion et l’usage de l’eau) piloté par la société publique Acuamed172 (anciennement Acusur) est préférée au transfert.

Tableau 26 : Indicateurs comparés du transfert de l’Èbre et du dessalement Transfert de l’Èbre Indicateur Selon le PHN (sept. 2000) Projet rédigé (mai 2003) Dessalement

Investissement (€/m3 de capacité annuelle) 4,2 4,2 1,8

Moyenne 401 758 /

Hauteur manométrique

(pompée-turbinée) (m) Marginale à Almeria 499 826 /

Moyenne 1,9 3,7

Consommation

énergétique (kWh/m3) Marginale à Almeria 2,8 5,4 3,5-4

Moyenne 0,31 0,31

Coût de l’eau (€/m3)

Marginale à Almeria 0,49 ? (*) 0,39-0,54

Qualité de l’eau : résidus secs (ppm) 700 700 <200

Critères qualitatifs

Horizon de mise en service Moyen-long Moyen-long Court

Rapport entre la capacité d’approvisionnement et

l’horizon temporel Très bas Très bas Haut

Niveau de sécurité d’approvisionnement Moyen Moyen Haut

Note : (*) Les coûts marginaux à Almeria ne sont pas précisés, mais ils seront logiquement supérieurs au

minimum qui est de 0,49€/m3 comme prévu par le PHN-2000.

Source : Moral Ituarte (entretien réalisé le 21/04/2009 à Séville).

Ce programme concerne initialement 103 projets répartis en trois ensembles : premièrement, vingt-neuf projets visant à accroître l’offre d’eau (dont seize nouvelles usines de dessalement et l’agrandissement de la capacité de cinq usines déjà existantes) ; deuxièmement, cinquante-deux projets visant à améliorer la gestion des ressources (construction et amélioration de réseaux, implantation et agrandissement de stations d’épuration et de recyclage de l’eau, etc.) ; troisièmement, vingt-deux projets visant à améliorer la qualité de l’eau, à prévenir des inondations et à restaurer le milieu (loi 11/2005, annexe IV). Au total, le Plan vise à fournir un volume supplémentaire de 1 063 Mm3 pour un coût total estimé initialement à environ 3 798 millions d’euros (contre plus de 4 200 millions d’euros pour l’ancien Plan) (MMAMRM, 2005). Précisons que la liste des infrastructures connexes au transfert de l’Èbre prévues par le précédent Plan (loi 10/2001, annexe II) n’est pas remise en cause (102 nouveaux barrages, surélévation de dix barrages, etc.) (loi 11/2005, article unique, 19.2 et 20).

Pour le seul District hydrographique méditerranéen, sept usines de dessalement173 et sept projets complémentaires de réutilisation des eaux résiduelles sont envisagés. À terme, le programme vise la fourniture de 364,5 Mm3/an (pouvant aller jusqu’à 374,5 Mm3/an), dont 109,5 Mm3/an (jusqu’à

172 [Actuaciones para la gestión y utilización del agua] ; [Aguas de las cuencas mediterráneas]

173 Usines de Balerma (30 à 40 Mm3/an), de la Balsa del Sapo (2 Mm3/an), du Bajo Almanzora (20 Mm3/an),

d’Adra (2,5 Mm3/an), de Fuengirola/Mijas (20 Mm3/an), de Marbella (20 Mm3/an) et l’usine de Carboneras.

Cette dernière est la plus grande usine de dessalement d’Europe et a été construite avant le programme

119,5 Mm3/an) rien que pour la province d’Almeria. Au niveau du District, le coût du projet est évalué à 1 435,7 millions d’€ (Cf. Tableau 27).

Tableau 27 : Coûts et volumes estimés du programme AGUA pour le District hydrographique méditerranéen (situation au 02/03/2009)

Montant de l’investissement (M€)

Ressources mobilisées

(Mm3/an) Convention de gestion directe Investissement actualisé

Total province d’Almeria 109,5 (119,5) 285 726,2

Total DHM (hors Almeria) 255 350 709,5 Total attribué (M€)

Total DHM 364,5 (374,5) 635 1 435,7 392,1

Total bassin Segura 9 (13) 8 35,8 27,8

Total DHM et bassin du Segura 373,5 (387,5) 643 1 471,5 419,9

Source : élaboration propre d’après Acuamed (2009).

Notes : (i) DHM pour District hydrographique méditerranéen ; (ii) les chiffres entre parenthèses donnent une valeur maximale possible quant au volume total mobilisable après réalisation de l’ouvrage ; (iii) pour le

détail du projet, Cf. annexes 20 et 21.

Aujourd’hui, seule l’usine de dessalement de Carboneras est en mesure d’approvisionner les contractants en eau dessalée. À ce titre, les agriculteurs de la zone du Campo de Níjar ont constitué en 1999 une Communauté d’usagers de second rang [Comunidad de usuarios del Campo de Níjar] regroupant 1 830 membres et qui dispose d’un droit d’eau pour l’usage agricole de 27 Mm3/an avec fourniture par réseau sous pression à la demande, selon les besoins de chaque agriculteur. La convention signée le 17 février 2000 encadrant la transaction entre l’usine de dessalement et les agriculteurs du Campo de Níjar prévoit un tarif négocié d’environ 0,46 €/m3 à la parcelle (contre 0,22 à 0,24€ pour l’eau souterraine actuellement). Afin d’approvisionner en eau la zone, deux tronçons de conduites sont construites : la première impulsion reliant l’usine de Carboneras à Venta del Pobre sur une distance de 18,6 km représente un investissement total de 55,5 millions d’€ ; la seconde, reliant Venta del Pobre au Campo de Níjar sur une distance de 25 km, représente un investissement total de 52,69 millions d’€. Ensuite, huit retenues de régulation sont en construction pour une capacité de stockage totale de 1 Mm3. Enfin, un nouveau réseau secondaire et tertiaire et un ensemble de petits bassins de régulation au niveau des parcelles sont construits. Chaque agriculteur est censé satisfaire la moitié de ses besoins totaux avec de l’eau dessalée, qu’il mélangera dans les petits bassins de régulation avec de l’eau souterraine à la qualité médiocre, voire mauvaise (l’eau souterraine de la zone a une salinité comprise entre 3 et 10 g/l de sels à une profondeur d’environ 150 m), afin d’obtenir une eau à la teneur en sel adéquate. L’investissement total lié au réseau secondaire et aux grandes retenues a représenté environ 60 millions d’€, dont 18 millions d’€ (30 % de l’investissement total) sont à payer par la communauté d’usagers sur vingt-cinq ans, ce qui représente environ 100 €/ha/an174. Précisons que 24,5 % de l’investissement total sont financés par des fonds de l’Union européenne, 11 % sont subventionnés par la Junta de

Andalucia et 34,5 % sont prêtés sans intérêts par le gouvernement central et sont à rembourser à partir de la vingt-sixième année d’exploitation. La première phase d’exploitation des infrastructures a été inaugurée le 4 mai 2009 (entretien avec le Président de la communauté le 14/04/2009).

Plus récemment, les agriculteurs de Las Cuatro Vegas de Almeria ont eux aussi signé une convention175 le 30 janvier 2008 avec l’usine de Carboneras afin de pouvoir disposer à terme d’un volume annuel pouvant atteindre 10 Mm3/an pour un tarif négocié à 0,38 €/m3 à la sortie de l’usine. Ce projet nécessite, entre autres, la construction d’une conduite de 26 km et l’investissement total s’élève à plus de 90 millions d’€. Enfin, sur le Campo de Dalías, la Junta central de usuarios del Poniente almeriense (communauté d’usagers de second rang) projette de recourir à l’eau de l’usine du Campo de Dalías actuellement en construction.

4.3.3. Les résultats d’une analyse de texte par la méthode Alceste : un « discours