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Chapitre 4 – La gestion des dilemmes norme/usage

B. La présentation des emplois caractérisés par un dilemme norme/usage

3. Raisons reliées à la pratique de la profession

Outre les arguments invoqués par les réviseurs dont il a été question jusqu’à présent, nous avons noté dans les justifications des participants des raisons qui se rapportent directement à la pratique de la profession. Le relevé de ces raisons est intéressant, car il fournit des indices sur la gestion des dilemmes norme/usage.

La plupart des réviseurs (16 sur 20) ont fourni au moins une raison qui se rapporte à la pratique de la profession (voir le tableau 35), et trois réviseurs l’ont fait de façon plus importante.

Tableau 35 – Nombre de raisons reliées à la pratique de la profession avancées par les réviseurs participants

Nombre de raisons avancées Nombre de réviseurs

Aucune 4 Une 6 Deux 4 Trois 3 Quatre 0 Cinq ou plus 3 Total 20

Comme le montre le tableau 36, plus d’une quarantaine de raisons se rapportant à la pratique de la profession ont été relevées; elles ont été réparties en cinq catégories.

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Tableau 36 – Raisons reliées à la pratique de la profession

Raison Nombre de

réviseurs

Nombre de fois Écart non perçu

Lors de sa relecture du texte, le réviseur n’a pas perçu l’emploi comme un écart.

8 12

Écart remplacé par habitude

Lors de sa relecture du texte, le réviseur a perçu l’écart et a appliqué automatiquement une solution.

7 13

Écart connu mais non relevé

Le réviseur connaît cet écart, mais ne l’a pas relevé au cours de sa relecture du texte, par inattention.

6 9

Dilemme résolu avec hésitation

Face à un dilemme, le réviseur a hésité entre maintenir l’emploi ou le remplacer.

4 4

Écart maintenu avec regret

Le réviseur regrette d’avoir maintenu l’emploi dans le texte après avoir découvert qu’il fait l’objet de critiques dans certains ouvrages de référence.

2 6

Total 20 44

Tout d’abord, on remarque que deux réviseurs sur cinq (8 sur 20) n’ont pas perçu comme un écart un des 12 emplois à l’étude – rappelons que ces emplois sont tous marqués comme des écarts dans au moins deux des principaux ouvrages de référence utilisés par les réviseurs. Deux participants n’ont pas perçu comme des écarts deux des emplois à l’étude, et un autre, trois des emplois à l’étude. Plus précisément, six emplois n’ont pas été perçus comme des écarts par certains participants : tourbe (4 réviseurs), finaliser (2 réviseurs), invasion de

domicile (2 réviseurs), représentant des ventes (2 réviseurs), salle à dîner (1 réviseur) et compte de taxes (1 réviseur). Voici quelques exemples de la façon dont des participants l’ont

signalé dans le questionnaire :

(118) J’ai trouvé bizarre de mettre de la tourbe sur un toit, mais je n’ai pas eu le temps de chercher le type d’aménagement que cela pouvait être. Je n’ai pas pensé que c’était incorrect en soi […]. (Réviseur 8)

(119) Il ne m’est pas venu à l’idée de vérifier ce mot [tourbe]. (Réviseur 11) (120) Ce terme [invasion de domicile] ne m’a même pas accroché tellement j’étais convaincue de sa légitimité... (Réviseur 13)

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De plus, environ le tiers des réviseurs (6 sur 20) a mentionné ne pas avoir relevé un écart, ou deux pour certains, par inattention :

(121) Non, mais j’aurais dû! C’est un oubli. J’avais déjà vu cette notion auparavant, mais je l’avais oubliée! Le GDT recommande ensemble résidentiel. (Réviseur 12)

(122) Non. Pourtant je le savais. J’ai été très distraite par l’adjectif fenêtrée qui me semble inapproprié. (Réviseur 17)

En d’autres mots, lors de la relecture du texte, ces réviseurs n’ont pas détecté certains écarts qu’ils relèvent normalement. C’est en justifiant leurs choix dans le questionnaire qu’ils s’en sont aperçus. Les six réviseurs en question ont tous plus de dix ans d’expérience. Comme l’a souligné Bisaillon (2007b), avec l’expérience, un réviseur passe le plus souvent directement de la détection d’un problème à sa résolution sans recourir à une stratégie de résolution de problème (réflexion, recherche immédiate, relecture, etc.). S’ils avaient consulté leurs ouvrages de référence, ces réviseurs auraient vu que ces emplois font l’objet de critiques. Cela dit, il ne faut pas conclure qu’ils auraient remplacé ces emplois pour autant.

D’ailleurs, environ le tiers des réviseurs (7 sur 20) a affirmé avoir remplacé un emploi par habitude ou par automatisme, c’est-à-dire sans recourir à une stratégie de résolution de problème. Ils sont passés directement du problème à la solution :

(123) Je remplace le terme [finaliser] chaque fois que je le vois. (Réviseur 3)

(124) Je le [prioriser] corrige systématiquement étant donné que son emploi est critiqué. Je le considère encore comme un anglicisme, mais je me rends compte que le GDT l’accepte. Aucun ouvrage consulté. (Réviseur 5)

(125) J’ai modifié ce verbe [finaliser] parce que je sais, par habitude, qu’il n’est habituellement pas utilisé d’une manière correcte. (Réviseur 19)

L’exemple 124 illustre bien l’importance pour le réviseur de s’adapter aux changements linguistiques, entre autres choses. Le réviseur affirme avoir automatiquement remplacé le verbe prioriser lors de la révision, mais il avoue s’être rendu compte, au moment de justifier son choix dans le questionnaire, que ledit emploi est désormais accepté, du moins par une autorité linguistique. Il est vrai que plus la banque de problèmes-solutions du réviseur est grande, plus il travaille rapidement et efficacement (Bisaillon, 2007b), mais il ne doit pas oublier que la langue évolue. C’est donc dire qu’il doit tout de même consulter ses ouvrages

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de temps à autre pour les problèmes qu’il résout généralement à partir de ses connaissances seulement.

Les exemples présentés jusqu’ici (exemples 118 à 125) suggèrent que ce ne sont pas tous les emplois à l’étude qui ont posé un dilemme aux participants, soit parce qu’ils n’ont pas perçu tous les emplois comme des écarts, soit parce qu’ils n’ont pas relevé tous les emplois à l’étude ou encore parce qu’ils ont corrigé automatiquement certains de ces emplois. Dans les trois cas, il ne peut y avoir de dilemme.

À l’inverse, certains réviseurs ont explicitement affirmé avoir de la difficulté à trancher, comme l’illustre l’exemple suivant :

(126) Le choix n’est pas évident ici. Les sources consultées disent toutes que ce terme [gazebo] est impropre. Après beaucoup d’hésitation, je l’ai laissé en tenant compte des destinataires (grand public), du type de texte (article de revue) et de l’usage. (Réviseur 19)

Un réviseur sur cinq (4 sur 20) a indiqué avoir hésité devant un emploi à l’étude, ce qui laisse penser que les participants ont bel et bien fait face à des dilemmes norme/usage au cours de leur révision. Nous verrons plus loin dans quelle mesure.

Enfin, il convient aussi de souligner que deux réviseurs ont manifesté des regrets dans leurs justifications :

(127) Je ne l’ai pas modifié, mais je me rends compte que j’aurais dû le remplacer par gazon en plaques. Le grand dictionnaire terminologique

http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26505338. (Réviseur 4)

(128) Non, mais j’aurais dû! C’est un oubli. J’avais déjà vu cette notion auparavant, mais je l’avais oubliée! Le GDT recommande ensemble résidentiel. (Réviseur 12)

Dans les deux cas, le réviseur regrette d’avoir maintenu l’emploi dans le texte après s’être rendu compte que son utilisation est déconseillée dans un ouvrage de référence. Ce comportement laisse suggérer que ces réviseurs ont une approche plutôt normative de la révision. Il en sera question dans la partie C.

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