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Chapitre 4 – La gestion des dilemmes norme/usage

C. Observations sur la gestion des dilemmes norme/usage par les réviseurs

4. La situation de communication (communicationnel)

Comme il en a été question dans le premier chapitre, le réviseur est appelé à s’assurer que le texte est bien adapté à la situation de communication, notamment aux destinataires du texte. Dans le modèle de l’IL, ces considérations relèvent des normes communicationnelles qui, rappelons-le, consistent à privilégier un emploi plutôt qu’un autre pour se faire mieux comprendre, et ce, même s’il s’écarte des normes prescriptives.

Environ le tiers des réviseurs (8 sur 20) ont usé d’arguments d’ordre communicationnel : trois réviseurs ont utilisé ce type d’argument une fois, deux réviseurs l’ont fait deux fois, et trois réviseurs, trois, quatre et cinq fois respectivement. Ainsi, nous avons relevé 19 arguments de ce type dans l’ensemble des justifications des réviseurs participants. De façon plus précise, les réviseurs mettent de l’avant des caractéristiques du texte (11 fois sur 19), la compréhension du texte par les destinataires (6 fois sur 19) ou le souci de rendre le texte plus agréable à lire (2 fois sur 19).

À quelques reprises (3 fois sur 19), l’argument d’ordre communicationnel est utilisé seul. Dans l’exemple suivant, le réviseur a maintenu un emploi à l’étude afin d’assurer la compréhension du texte par les destinataires :

(191) Je m’adresse à un public québécois. Gazon aurait tout aussi bien fait l’affaire, mais le lecteur voit tourbe plus naturellement. (Réviseur 1)

Dans les deux autres cas, le remplacement du verbe finaliser repose sur le souci du réviseur de rendre le texte plus agréable à lire pour les destinataires :

(192) Oui, afin d’éviter la répétition de finalisé et fin et pour enrayer la forme passive, remplacer par se terminera. (Réviseur 4)

(193) J’ai suggéré une autre tournure de phrase pour éviter la redondance avec fin de l’été. (Réviseur 11)

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De façon générale, l’argument d’ordre communicationnel n’est pas seul : il est combiné à un (11 fois sur 19), à deux (4 fois sur 19) ou à trois autres arguments (1 fois sur 19). Soulignons qu’à cinq reprises, les réviseurs mettent de l’avant deux aspects de la situation de communication. Pour un réviseur, par exemple, ce n’est pas seulement la prise en compte des destinataires du texte qui l’amène à maintenir un emploi dans le texte, mais aussi le genre textuel, entre autres choses :

(194) Le choix n’est pas évident ici. Les sources consultées disent toutes que ce terme est impropre. Après beaucoup d’hésitation, je l’ai laissé en tenant compte des destinataires (grand public), du type de texte (article de revue) et de l’usage. C’est le terme le plus répandu [compte de taxes]. (Réviseur 18)

Autrement, les combinaisons sont variées. Dans les deux exemples ci-dessous, les réviseurs estiment que l’emploi est un usage établi et qu’il convient tout à fait au genre textuel :

(195) Le terme [condominium] est largement employé au Québec et le texte porte précisément sur ce sujet. Dans un texte plus général, j’aurais peut-être changé le mot. (Réviseur 6)

(196) Non. Le terme anglais [cocooning] est encore prévalent dans le vocabulaire quotidien. Dans un document de marketing de ce type, je veux parler au lecteur, le séduire en un instant, appuyer sur le bon bouton, pas l’éduquer et enrichir son vocabulaire. (Réviseur 1)

Pour un autre réviseur, c’est l’argument de la redondance lexicale qui accompagne celui du genre textuel :

(197) Le mot [cocooning] n’a pas vraiment d’équivalent en français et il est largement employé dans ce type de textes. Par contre, je l’ai mis en italiques. (Réviseur 6)

Par ailleurs, à cinq reprises, les arguments d’ordre communicationnel entrent en opposition avec des arguments d’ordre prescriptif. Pour condominium, par exemple, deux réviseurs ont décidé de maintenir l’emploi dans le texte même s’il est dit critiqué ou non recommandé par certains ouvrages. Selon le premier, l’emploi convient tout à fait dans un texte qui vise à promouvoir un projet immobilier : il souligne deux caractéristiques du texte, soit le but et le sujet. Selon le second, il vaut mieux maintenir l’emploi dans le texte parce qu’il est destiné à une revue pour le grand public. Il fait lui aussi référence à deux caractéristiques du texte, soit le média et les destinataires.

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(198) Je ne l’ai pas modifié dans la première occurrence (j’ai fait un commentaire pour le client et pour vous, pour signaler le problème) mais je l’ai modifié dans le texte pour certains synonymes dans la mesure du possible. J’ai travaillé pour une revue dans le domaine et il me semble que vu le contexte (publicitaire pour un projet immobilier) le client voudrait conserver le mot. J’ai consulté le Franqus pour voir le degré d’acceptation

préconisé. (Réviseur 8)

(199) Bien que ce soit un mot anglais, il est passé dans l’usage. C’est de loin le mot le plus utilisé au Québec pour désigner les appartements d’un immeuble en copropriété. Sans compter que de plus en plus de références l’acceptent. Comme il s’agit d’un texte destiné à une revue, donc au public en général, j’ai laissé ce mot. Je l’aurais toutefois changé pour copropriété si ça avait été un texte de nature juridique ou administrative. Références consultées : Antidote, GDT, Termium, Usito. (Réviseur 18)

Il est étonnant que les réviseurs participants n’aient pas fait davantage appel à tout ce qui touche à la situation de communication pour justifier leurs choix, puisqu’ils ont affirmé à l’unanimité avoir une conception communicationnelle de la révision. Il semble donc y avoir un fossé entre la théorie et la pratique. Ils ont tendance à accorder plus de poids aux arguments d’ordre prescriptif qu’aux arguments d’ordre communicationnel, ce qui nous amène à conclure qu’ils font davantage confiance aux indications normatives des autorités en matière de langue qu’à leur propre jugement professionnel.