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Chapitre 4 – La gestion des dilemmes norme/usage

C. Observations sur la gestion des dilemmes norme/usage par les réviseurs

6. Les jugements de valeur (émotionnel)

Divers jugements de valeur ont été relevés dans les justifications des réviseurs. Dans le modèle de l’IL, ils relèvent des normes fictives, qui sont les plus subjectives – désignées sous l’étiquette arguments d’ordre émotionnel dans le cadre de cette étude.

En théorie, aucune justification d’un réviseur ne devrait comporter de jugements de valeur. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, les praticiens et les chercheurs s’entendent sur le fait que les jugements de valeur ne constituent pas un critère de révision. Même si certains aspects sont moins mesurables que d’autres, le réviseur doit pouvoir les justifier à partir de critères valables. Bien qu’on n’ait pas encore clairement définis ces critères, on peut affirmer qu’ils doivent toucher à l’une ou l’autre des deux grandes dimensions de la révision professionnelle, soit la qualité de la langue et l’efficacité de la communication.

En pratique, toutefois, il en est autrement. Près des trois quarts des réviseurs participants (14 sur 20) ont invoqué des arguments d’ordre émotionnel. De surcroît, il s’agit du deuxième type d’argument en importance, et ce, autant en nombre de réviseurs qu’en nombre de fois. Ils représentent près d’un argument sur cinq (43 sur 238). Il faut toutefois souligner qu’ils sont trois fois moins fréquents que les arguments d’ordre prescriptif, mais deux fois plus fréquents que les arguments d’ordre systémique, constatif et communicationnel.

Dans les justifications des réviseurs, nous avons observé cinq cas de figure, dont trois où les deux arguments s’opposant à l’autre sur une même dimension ont été relevés : l’origine anglaise, le caractère redondant, le caractère correct/incorrect, le caractère esthétique/non esthétique ainsi que le caractère clair ou expressif/imprécis ou ambigu.

Environ le tiers des réviseurs (7 sur 20) ont avancé l’origine anglaise de l’emploi comme argument d’ordre émotionnel : quatre réviseurs l’ont fait une fois, un réviseur deux fois, et deux réviseurs trois fois, pour un total de douze cas. Ici, les réviseurs n’avancent aucune preuve à l’appui (ex. : indication ou étymologie tirée d’un ouvrage de référence), comme le démontrent les deux exemples suivants :

(207) Anglicisme [invasion de domicile]. (Réviseur 10) (208) C’est un anglicisme [condominium]. (Réviseur 16)

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Toutefois, il est important de rappeler que les réviseurs développent des automatismes au fil du temps, enrichissant leur bagage de connaissances. Dans le cas des emprunts à l’anglais qui sont critiqués, on sait que les réviseurs en connaissent un certain nombre et n’ont donc pas toujours besoin de consulter leurs ouvrages de référence pour vérifier s’ils font l’objet de critiques ou non. Il est donc possible qu’il ne s’agisse pas de jugements de valeur à proprement parler, mais de connaissances certaines du réviseur basées sur des indications normatives d’ouvrages de référence.

Dans la plupart des cas (8 sur 12), l’origine anglaise d’un emploi semble être un argument fort, car il suffit à lui seul à justifier le remplacement d’un emploi dans le texte. Dans les autres cas, il est combiné à un autre argument d’ordre émotionnel (2 fois sur 12) ou alors à un argument d’ordre systémique (1 fois sur 12) ou d’ordre prescriptif (1 fois sur 12). Dans l’exemple 209, le réviseur se base principalement sur l’argument de l’origine anglaise pour expliquer son choix, mais il l’appuie sur l’usage plus fréquent de l’équivalent proposé dans les ouvrages et sur la redondance lexicale. Dans l’exemple 210, l’argument de l’origine anglaise est placé sur le même pied que celui d’une autorité inconnue contre.

(209) Salle à dîner est un anglicisme qu’on n’a pas de raison d’employer puisque le terme encore plus courant salle à manger existe. Références consultées : Antidote, GDT, Usito. (Réviseur 18)

(210) Je le corrige systématiquement étant donné que son emploi est critiqué. Je le considère encore comme un anglicisme, mais je me rends compte que le GDT l’accepte. Aucun ouvrage consulté. (Réviseur 5)

Dans tous les cas relevés, l’argument de l’origine anglaise mène à un remplacement de l’emploi dans le texte. Il est intéressant de souligner toutefois que, pour un réviseur, la ressemblance d’un emploi français avec un emploi anglais est jugée insuffisante pour justifier son remplacement dans le texte :

(211) Dit bien ce qu’il veut dire [invasion de domicile]. S’écrit bien en français. Ne sens pas l’anglais. J’évite de me battre avec une expression parfaitement acceptable en français juste parce ce qu’elle est trop symétrique de l’anglais. (Réviseur 1)

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Un cinquième des réviseurs (4 sur 20) s’est appuyé sur l’argument du caractère redondant (5 fois sur 43) pour justifier le remplacement d’un emploi dans le texte. Comme le montre l’exemple ci-dessous, cet argument est basé sur un jugement purement subjectif :

(212) Le terme représentant est largement suffisant. (Réviseur 3)

Deux réviseurs ont même supprimé un emploi du texte en invoquant cet argument :

(213) En fait, je l’ai supprimé [développement résidentiel], car je considère qu’il était redondant avec le terme condominium. Mais je remarque maintenant qu’il y a une nuance d’aires partagées dont je n’avais pas tenu compte. (Réviseur 11)

(214) J’ai enlevé le mot compte qui ne me semblait pas utile. De plus, le Grand dictionnaire [terminologique] déconseille l’utilisation du terme compte de taxes. (Réviseur 16)

Dans le premier exemple ci-dessus, le réviseur a considéré que développement résidentiel était superflu dans la phrase en raison de la présence de condominium, du moins au premier abord. Toutefois, au moment de remplir le questionnaire, il s’est aperçu qu’il n’avait pas suffisamment analysé l’utilisation de l’emploi dans le texte sur le plan du sens. Dans le second exemple, on constate que l’argument de l’autorité contre vient justifier l’argument du caractère redondant, lui donnant ainsi plus de valeur.

Parfois, les réviseurs ont maintenu ou remplacé un emploi dans le texte parce qu’ils le jugent « correct » ou « incorrect » (8 fois sur 43). Comme on peut le voir dans les deux exemples ci-dessous, il s’agit clairement d’une perception subjective et personnelle :

(215) Parfaitement acceptable en français à mes yeux [intercom]. Abréviation de système d’intercommunication. Descriptif. (Réviseur 1)

(216) L’expression finaliser le projet est incorrecte dans ce contexte. Reformulé en La construction sera terminée. Ouvrages : aucun. (Réviseur 9)

Les réviseurs ne précisent jamais par rapport à quoi l’emploi est « correct » ou « incorrect », mais on comprend qu’ils font référence au concept de « bon usage ». Cet argument est donc probablement lié à la non-conformité de l’emploi avec ce que l’on trouve dans les ouvrages de référence, mais nous ne sommes pas en mesure de le déterminer avec certitude.

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Le quart des réviseurs (5 sur 20) ont remplacé un emploi dans le texte pour des raisons esthétiques (7 fois sur 43), dévoilant des jugements subjectifs qu’ils portent sur certains emplois, comme c’est le cas dans l’exemple suivant :

(217) J’ai consulté Antidote, qui considère que le terme [prioriser] est acceptable, mais dans ce contexte, où on cherche à séduire des acheteurs potentiels, je trouvais qu’il était plus élégant d’utiliser un équivalent. (Réviseur 6)

Même si l’utilisation du verbe est légitimée dans un ouvrage de référence, le réviseur le remplace par un autre emploi pour faire plus beau : ici, donc, c’est l’argument d’ordre émotionnel qui l’emporte sur l’argument d’ordre prescriptif.

À l’inverse, un réviseur a laissé cocooning dans le texte notamment parce qu’il considère que l’équivalent français est moins esthétique :

(218) J’ai seulement mis le mot en italique. Cela ne fait pas si longtemps que les Français ont adopté le mot. Il était hors de question que j’utilise coconnage qui sonne de manière affreuse en comparaison du terme anglais. (Réviseur 3)

Bien que ce réviseur ne mentionne pas explicitement d’ouvrage de référence, on perçoit une tension entre des arguments d’ordre émotionnel et prescriptif. De plus, on comprend que le fait que cocooning soit utilisé en France pèse dans le choix du réviseur de maintenir l’emploi dans le texte.

Plusieurs réviseurs (6 sur 20) ont décidé de maintenir un emploi sous prétexte qu’il serait clair ou expressif (2 sur 43) ou, à l’inverse, de le remplacer parce qu’il serait imprécis ou ambigu (6 sur 43). En voici deux exemples :

(219) Le mot latin [condominium] est entré dans le vocabulaire et décrit clairement sa réalité. (Réviseur 1)

(220) Je l’ai [invasion de domicile] remplacé par intrusion, qui me semble plus juste. (Réviseur 15)

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Comme le montrent les deux exemples ci-dessous, il arrive que le caractère clair ou expressif d’un emploi s’oppose à une autorité contre ou que le caractère imprécis ou ambigu s’oppose à une autorité pour :

(221) Les taxes foncières et les taxes scolaires existent bel et bien et je reçois un compte qui les détaille. Je ne vois pas pourquoi le Multi et le GDT s’entêtent à vouloir nous faire appeler ça autrement. (Réviseur 17)

(222) J’ai modifié ce verbe parce que je sais, par habitude, qu’il n’est habituellement pas utilisé d’une manière correcte. Le plus souvent, il s’agit d’un anglicisme. Je sais que la Banque de dépannage considère qu’il est maintenant implanté dans l’usage, mais je trouve que souvent, les termes plus précis en français conviennent mieux. Source : Robert. (Réviseur 18)

Enfin, soulignons qu’un réviseur a invoqué le caractère « québécois » comme argument pour justifier le remplacement de salle à dîner dans le texte :

(223) Un peu trop québécois à mon goût. Mon travers de « français d’France ». (Réviseur 1)

Dans le cas présent, ce réviseur révèle son origine géographique et manifeste clairement sa préférence pour l’usage du français qui a cours en France, alors qu’il travaille en contexte québécois. Ce qui est d’autant plus étonnant chez ce réviseur, c’est que pour d’autres emplois à l’étude, il prend en considération dans ses choix le fait que le texte s’adresse à un public québécois. C’est donc dire que pour salle à dîner, il adopte une prise de position très subjective.

7. Bilan

L’analyse des justifications des réviseurs dans le questionnaire à partir du modèle de l’IL confirme l’importance accordée par les participants aux avis, aux recommandations ou aux réserves que les ouvrages de référence émettent sur des emplois. Pour ces professionnels, ces ouvrages représentent d’importantes autorités en matière de langue, surtout le GDT.

Même si les réviseurs professionnels consultent généralement une pluralité d’ouvrages de référence, on constate que, dans le cadre de cette étude, ils n’en ont consulté souvent qu’un ou deux. Par conséquent, ils n’ont pas toujours constaté les différences de traitement qu’on peut observer dans les ouvrages quant à un emploi. C’est ce qui expliquerait que les réviseurs participants aient plus ou moins vécu de dilemmes norme/usage au cours de la révision du

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texte. Lorsque les réviseurs ont fait face à une absence de consensus sur un emploi dans les ouvrages, ils ont résolu le dilemme en s’appuyant sur une autorité plutôt qu’une autre ou en considérant un autre facteur dans leur décision. Lorsque les réviseurs ont remarqué une différence entre ce qui est prescrit (« norme ») et ce qui est utilisé par les locuteurs (« usage »), c’est la fréquence d’usage de l’emploi qui l’a emporté le plus souvent.

Quant à l’analyse de la position des réviseurs par rapport aux indications normatives des ouvrages de référence qu’ils consultent, elle a démontré qu’ils sont généralement conformistes. Si la plupart ont suivi telle quelle l’indication normative sans chercher plus loin, certains ont pris le temps d’évaluer l’indication et de la mettre en contexte.

Par ailleurs, puisque les réviseurs ont tendance à se fier grandement aux ouvrages de référence, ils ne prennent pas toujours en considération d’autres facteurs importants dans l’évaluation d’un emploi dans le texte, comme la situation de communication ou la fréquence d’usage. Certains ont toutefois adapté la solution au contexte. La plupart des réviseurs participants ont fait appel à d’autres types d’arguments (statistique, systémique, communicationnel, constatif et émotionnel), certes, mais de façon beaucoup moins importante que les arguments d’ordre prescriptif.

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Conclusion

Cette étude sur la pratique de la RPUF au Québec a cherché à mettre en lumière ce qui amène des réviseurs à accepter ou à refuser des emplois qui peuvent les placer en situation de dilemme norme/usage. C’est inévitable puisque, dans les principaux ouvrages de référence que les réviseurs utilisent, on observe une absence de consensus sur certains emplois ou une différence entre ce qui est prescrit (« norme ») et ce qui est utilisé par les locuteurs de la langue (« usage »). À un moment ou à un autre, donc, le réviseur se voit obligé de trancher, car il est non seulement l’une des dernières personnes à évaluer la qualité d’un texte avant sa publication, mais aussi un professionnel de la langue qui jouit d’une autorité en la matière auprès des personnes qui le mandatent.

Vingt réviseurs professionnels pratiquant la révision unilingue française au Québec ont participé à notre étude. Ils ont révisé un texte comportant 12 emplois caractérisés par un dilemme norme/usage, puis ils ont eu à justifier leurs interventions dans le texte quant à ces emplois dans un questionnaire électronique.

Dans quelle mesure les réviseurs participants maintiennent ou remplacent dans un texte des emplois qui les placent en situation de dilemme norme/usage

Le texte à réviser comportait 12 emplois caractérisés par un dilemme norme/usage : six pour lesquels on observe une différence de traitement dans les principaux ouvrages de référence utilisés par les réviseurs, c’est-à-dire le Multi, le PR, le GDT, la BDL et Antidote (dilemmes sélectionnés selon le critère 1); six autres qui sont d’usage courant, mais accompagnés d’une indication normative dans ces ouvrages (dilemmes sélectionnés selon le critère 2).

L’analyse des interventions des réviseurs participants dans le texte a donné des résultats semblables pour les deux types de dilemmes. Aucun emploi n’a été remplacé ou maintenu dans le texte par tous les réviseurs. Cinq emplois ont été remplacés par environ les trois quarts des participants, soit gazebo, invasion de domicile, compte de taxes, finaliser et salle à dîner. Pour les emplois condominium et cocooning, les avis sont très partagés entre les réviseurs : il y a eu presque autant de maintiens que de remplacements, ou vice-versa. Dans les autres cas, les emplois ont été maintenus ou remplacés dans des mesures semblables. Il s’agit de

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Ces résultats nous confirment que les emplois à l’étude sont bel et bien des écarts de vocabulaire discutables. Cela dit, ils n’ont pas tous donné du fil à retordre aux participants.

Analyse des justifications des réviseurs à partir du modèle de l’Imaginaire linguistique d’Houdebine

Une grande partie de cette étude a été consacrée à l’analyse des justifications des réviseurs qui, rappelons-le, ont été recueillies à l’aide du questionnaire électronique. Cette analyse s’appuie sur le modèle de l’Imaginaire linguistique d’Houdebine (voir la section B.3 du chapitre 3). Ainsi, pour chacun des emplois à l’étude, les justifications ont été classées par type d’argument de la grille d’analyse : statistique, systémique, communicationnel, constatif, prescriptif et émotionnel. De façon globale, les réviseurs ont principalement fait appel à trois types d’arguments pour justifier le maintien d’un emploi dans le texte : prescriptif, constatif et communicationnel. Alors que, dans le cas d’un remplacement, ils ont surtout invoqué des arguments d’ordre prescriptif, et à l’occasion, des arguments d’ordre émotionnel et systémique.

Toutes interventions confondues (maintiens et remplacements), les réviseurs ont grandement fait appel à des arguments d’ordre prescriptif : ceux-ci représentent 54 % de tous les arguments relevés dans le questionnaire. Presque tous les réviseurs ont utilisé ce type d’argument (19 sur 20), dont deux de façon exclusive. Une analyse plus approfondie de ces arguments a fait ressortir cinq constats :

§ Dans la majorité des cas (79 %), les réviseurs s’appuient sur une autorité linguistique pour justifier le remplacement d’un emploi à l’étude dans le texte. C’est donc dire que l’indication normative d’un ouvrage de référence sur un emploi est un facteur important dans le choix de remplacer ou non un emploi dans le texte.

§ Dans la majorité des cas (77 %), les réviseurs avancent uniquement un argument d’ordre prescriptif pour justifier leur choix, que ce soit un remplacement ou un maintien. L’indication normative d’un ouvrage de référence est donc considérée comme un argument fort et décisif chez les participants.

§ En moyenne, les participants ont consulté un ouvrage de référence par emploi à l’étude. Plus précisément, environ le tiers a consulté un seul ouvrage de référence pour les 12 emplois à l’étude. Un certain nombre de participants ne semble donc pas avoir vécu de dilemme au cours de la révision du texte, puisqu’on peut difficilement constater une différence de traitement sur un emploi en consultant un seul ouvrage.

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§ Le GDT est l’ouvrage de référence privilégié par les réviseurs participants sur le plan normatif. Il est non seulement l’ouvrage le plus souvent consulté (45 %) parmi la dizaine répertoriée, mais aussi celui auquel on accorde le plus de poids en la matière. § Le recours aux guillemets ou à l’italique comme procédé de mise à distance permettrait à un réviseur de maintenir dans un texte un emploi caractérisé par un dilemme norme/usage.

Bien qu’ils n’aient pas le même poids que les indications des ouvrages de référence (54 %), d’autres facteurs ont aussi guidé les réviseurs dans leurs prises de décision quant aux 12 emplois à l’étude. En ordre d’importance, il s’agit des jugements de valeur (18 %), de l’observation des usages (9 %), du système de la langue (8 %), de la situation de communication (8 %) et de la fréquence d’usage (3 %).

Il est préoccupant de constater que les réviseurs ont émis autant de jugements de valeur dans leurs justifications, puisque, à titre de professionnels, ils doivent baser leurs interventions sur des arguments valables. Cela dit, l’analyse des arguments d’ordre émotionnel a fait ressortir un aspect important de la pratique de la profession : les automatismes. Si l’argument du caractère esthétique ou non esthétique d’un emploi est purement subjectif, ce n’est pas toujours le cas des arguments concernant l’origine anglaise ou le caractère correct ou incorrect d’un emploi. Il est possible qu’il ne s’agisse que de connaissances acquises du réviseur basées sur des indications d’ouvrages de référence.

Pour maintenir un emploi dans le texte, plus de la moitié des réviseurs ont eu recours à l’argument de l’usage établi. Bien que cet argument ne soit pas appuyé par une analyse scientifique, il est considéré comme valable par certains participants pour accepter un emploi qui fait l’objet de critiques et donc pour trancher un dilemme norme/usage.

En ce qui a trait au système de la langue, les réviseurs participants ont relevé l’écart sémantique, la redondance lexicale ou le vide lexical et le respect des règles morpholexicales. Généralement, ces types d’arguments servent à justifier des remplacements mais, à deux reprises, ils ont amené le réviseur à trancher un dilemme norme/usage.

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Pour ce qui est de la situation de communication, les réviseurs ont surtout invoqué des caractéristiques du texte et la compréhension du texte par les destinataires. De façon générale, ces arguments sont utilisés pour justifier le maintien d’un emploi dans le texte et, à l’occasion, pour trancher un dilemme norme/usage. Étonnamment, moins de la moitié des participants ont fait appel à tout ce qui concerne la situation de communication même s’ils ont tous indiqué avoir une conception communicationnelle de la révision. Il y a tout lieu de croire que ce type d’argument n’a pas le même poids que les indications des ouvrages de référence. Pourtant, il nous semble tout à fait valable pour justifier le choix d’un emploi critiqué ou condamné pour des questions de compréhension.

Bien que la fréquence d’usage soit parmi les arguments les plus objectifs dans le modèle de l’IL, elle a été peu invoquée par les participants. Toutefois, cet argument a systématiquement été utilisé pour trancher un dilemme norme/usage : quatre fois sur six, c’est l’argument de l’usage fréquent qui l’emporte sur l’argument de l’autorité contre.

À côté des arguments invoqués par les réviseurs, nous avons relevé des raisons qui se rapportent directement à la pratique de la profession. Certains réviseurs ont indiqué avoir remplacé quelques emplois par habitude, et d’autres en avoir laissé par inattention ou tout simplement parce qu’ils ne les ont pas perçus comme des écarts de vocabulaire. C’est donc