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B. La pratique de la révision professionnelle unilingue française au Québec

3. Le bagage du réviseur professionnel

Au cours d’une étude de cas réalisée auprès de six réviseurs professionnels, Laflamme (2009) a dégagé différentes caractéristiques du réviseur qui sont susceptibles de l’influencer dans son travail. Les connaissances, la formation, l’expérience et la conception de la révision se rapportent à sa profession; la motivation, le sentiment de la langue, les préférences personnelles et l’ouverture d’esprit se rapportent à sa personnalité. Nous les présentons brièvement ici.

3.1. Les connaissances

Qui dit langagier, dit connaissances linguistiques. Il est évident que le réviseur doit maîtriser la langue française jusque dans ses moindres détails. Il doit aussi posséder des connaissances « qui se rapportent à [...] l’organisation et [à] l’exécution du travail, [au] contenu d’une publication », ainsi qu’à « la mise en pages et [à] la typographie » (Réviseurs Canada, 2015 : 9). Enfin, il doit avoir une excellente culture générale, car les textes qu’il est appelé à réviser

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peuvent porter sur n’importe quel sujet15. Le bagage de connaissances du réviseur peut avoir une influence sur sa démarche de révision. Comme l’explique Laflamme, « c’est l’état des connaissances du réviseur [...] qui fait qu’il a plus ou moins de difficulté à comprendre un texte et à juger de la justesse de certains faits décrits, et qui l’amène à détecter des problèmes qu’un autre réviseur ne voit pas » (Laflamme, 2007 : 40). C’est ce qui expliquerait pourquoi un réviseur qui connaît bien le sujet du texte serait amené à suggérer des ajouts ou des précisions d’information, par exemple.

3.2. La formation

Au Québec, il n’existe actuellement aucun programme d’études qui mène directement à l’exercice de la profession. Néanmoins, quelques programmes destinés à former des rédacteurs intègrent des cours de révision16. Ainsi, la majorité des professionnels possèdent une formation en lettres : rédaction, linguistique, littérature ou traduction. Certains possèdent aussi une formation dans un autre domaine qui n’est pas du tout lié aux lettres, ce qui leur permet de réviser des textes plus techniques. Selon Laflamme, « la spécificité de leur champ d’études a un impact sur leur façon de réviser : elle peut les amener, malgré eux, à mettre l’accent sur certains aspects » (Laflamme, 2007 : 41). Par exemple, selon Laflamme, un réviseur ayant une formation en traduction accorderait une attention particulière aux anglicismes, alors qu’un réviseur ayant une formation en littérature pourrait avoir tendance à s’attarder davantage au style.

3.3. L’expérience

Comme dans toute profession, l’expérience joue un rôle important dans la pratique de la révision : « [e]lle permet aux réviseurs de développer des automatismes et ainsi d’être plus rapides et efficaces » (Laflamme, 2007 : 41). Au cours d’une recherche, Bisaillon (2008) a remarqué que les réviseurs ayant peu d’expérience (4 ans ou moins) accordent plus d’importance au respect des règles que les réviseurs ayant beaucoup d’expérience (12 ans ou plus).

15. C’est d’autant plus vrai pour le travailleur autonome, car sa clientèle peut être très diversifiée.

16. Le Portail linguistique du Canada fournit la liste des programmes en rédaction et en révision offerts en français au Canada (Spiridon, 2011).

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3.4. La conception de la révision

Selon Bisaillon, il y aurait deux conceptions de la révision chez les réviseurs : une à visée normative et une à visée communicationnelle (Bisaillon, 2007b et 2008). Dans le cas de la première, le réviseur accorderait plus d’importance au respect des règles qu’à l’adéquation du texte avec la situation de communication. Dans le cas de la seconde, le réviseur porterait une attention particulière à cette dernière dimension sans toutefois négliger le respect des règles. Il importe d’apporter une nuance à cette dichotomie. La frontière entre les deux conceptions n’est pas hermétique : selon la situation, le mandat, le temps disponible et la qualité initiale du texte à réviser, le réviseur doit faire des choix qui peuvent l’amener à prioriser certains aspects du texte au détriment d’autres, indépendamment de sa propre conception de la révision. D’ailleurs, Bisaillon croit que « peu importe le milieu, l’expérience, le mandant et le type de texte, le réviseur fait toujours des modifications pour respecter les règles (1), faciliter la lecture ou la rendre plus agréable (2), rendre la formulation plus adéquate, plus claire et plus économique linguistiquement (3) et rendre le texte plus compréhensible (4) » (Bisaillon 2008 : 218).

Autant chez les réviseurs que chez les mandants, donc, deux conceptions de la révision coexistent. Il est important de rappeler que, dans l’une comme dans l’autre, toutefois, la conformité à la norme linguistique est particulièrement importante, car, comme le souligne Bisaillon (2008 : 205), « les modifications visant le respect des normes sont des modifications obligées ». Si l’application de certaines règles est un jeu d’enfant pour les réviseurs parce qu’elles sont clairement définies dans des ouvrages et indiscutables, la conformité à la norme linguistique demande parfois plus de recherche et de réflexion en raison du fait qu’elle peut donner lieu à des interprétations différentes selon le point de vue sous lequel elle est envisagée. C’est d’autant plus vrai dans le cas des écarts liés au vocabulaire. Il en sera question plus loin, dans la section 5.

3.5. La motivation

La motivation peut être définie comme « un processus qui active, oriente, dynamise et maintient le comportement des individus vers la réalisation d’objectifs attendus » (Roussel, 2000 : 5). Laflamme (2007) a remarqué que la motivation peut avoir une incidence sur la démarche de révision des réviseurs. Par exemple, un réviseur non intéressé par le sujet du

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texte peut prendre plus de temps que d’habitude pour faire son travail, « ne pas détecter des problèmes qu’il relève normalement ou encore chercher plus longtemps une façon de résoudre un problème » (Laflamme, 2007 : 42).

3.6. Le sentiment de la langue

Le sentiment de la langue correspond à la relation subjective que le réviseur éprouve par rapport à la langue (Siouffi, 2007 : 266); cette notion fait non seulement référence à la « représentation de la langue », mais aussi à la « capacité à la sentir, c’est-à-dire [...] à la deviner et à la ressentir » (Steuckardt, 2012 : 82). Il peut arriver que le réviseur apporte des modifications dans le texte sur la base de son sentiment de la langue, sans qu’il puisse appuyer cette modification à partir d’une règle écrite dans un ouvrage. Il a toutefois le sentiment que sa proposition améliore le texte.

3.7. Les préférences personnelles

Même si le réviseur apporte généralement les modifications directement dans le texte sans avoir à les justifier, il doit être capable de le faire en s’appuyant entre autres sur des sources fiables (dictionnaires, grammaires, etc.) ou sur des critères reconnus (clarté, cohérence, etc.). S’il est plutôt simple de justifier les modifications qui touchent au code linguistique, ce n’est pas nécessairement le cas pour le style, le ton, la structure, etc., car ce sont des aspects plus difficiles à mesurer. Quoi qu’il en soit, le réviseur ne devrait apporter aucune modification fondée sur une préférence personnelle. En pratique, toutefois, il peut à l’occasion « préférer [ses] propositions même si les tournures modifiées n’étaient pas fautives » (Laflamme, 2007 : 43).

3.8. L’ouverture d’esprit et autres qualités

À ces caractéristiques personnelles s’ajoutent « l’ouverture d’esprit au regard des changements technologiques et linguistiques, [...] la mémoire des détails, la patience » et « le sens de l’organisation » (Laflamme, 2007 : 43-44). Pour bien réviser, il faut aussi savoir bien s’adapter, d’où l’importance d’avoir des outils les plus à jour possible. Par exemple, un réviseur ne peut considérer comme fautif un emploi qui est désormais légitimé dans les principaux ouvrages de référence ou alors le remplacer par habitude parce qu’il était autrefois critiqué.

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