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Nous aimerions clore ce travail de recherche en répondant à la question suivante : quelles leçons peut-on tirer de la controverse entre Luhmann et Habermas ? La maestria théorique de Luhmann et de Habermas nous permet de mieux comprendre le monde contemporain. À y regarder de près, les paradigmes systémique et communicationnel se recoupent, au moins, sur trois problématiques majeures, à savoir : sur la prétention d‟être des théories sociales post-ontologiques ; sur la pertinence de la notion de média dans le cadre d‟une théorie générale de la société ; et sur l‟utilisation d‟une perspective évolutive afin d‟expliquer la formation de structures sociales Ŕ et, tout particulièrement, l‟éclosion d‟un principe de rationalité discursive ancré dans l‟expérience antéprédicative du monde. Néanmoins, ce débat témoigne tout de même de quelques points de divergence qu‟il faut préalablement mettre en lumière afin d‟en dresser un bilan final. Nous ferons état de ces divergences en trois étapes. Premièrement, il s‟agira de préciser la manière dont chacun de nos auteurs comprend le concept de rationalité (I). Deuxièmement, on relèvera la pertinence d‟une fondation normative des normes légales au sein de la théorie sociale, telle que développée par Habermas dans Droit et Démocratie (II). Enfin, on discutera de la possibilité d‟adopter une position prescriptive à l‟égard de l‟évolution de la société (III).

I

Comme on l‟a vu, Luhmann examine le concept de rationalité par le biais de la différence structure sociale/sémantique. En tant que sémantique, la rationalité se révèle être un dispositif d‟observation issu de la Vieille-Europe qui opère à l‟aide des différences. Ainsi, le concept de raison épistémique fut déterminé par la distinction entre l‟être et la pensée, tandis que celui de raison pratique, par la distinction entre l‟agir et la nature. Luhmann emploie ces distinctions pour dévoiler les rapports qui s‟établissent entre la structure et les descriptions déployées par l‟autopoïèse communicationnelle de la société. La contribution décisive de Luhmann à notre compréhension de la rationalité réside dans le caractère à la fois autoréférentiel et paradoxal qui appartient aux sémantiques. De ce fait, tant la rationalité épistémique que la rationalité pratique se caractériseraient par le fait de déboucher sur des paradoxes : d‟une part, la pensée doit elle-même exister pour penser adéquatement l’être ; d‟autre part, l’homme rationnel doit agir en conformité à des fins naturelles. Luhmann insiste sur les stratégies catégorielles développées par les traditions de la métaphysique ontologique et le droit naturel pour échapper aux conséquences paradoxales qui découlent de l‟utilisation de ces sémantiques : soit postuler un sujet à structure transcendantale, soit postuler un ensemble de normes données immédiatement et en conformité à la nature. L‟évolution sémantique

qu‟a connue la culture européenne met en évidence que le concept de raison a été utilisé pour créer des asymétries significatives permettant d‟orienter l‟utilisation d‟opérations référentielles.157

À l‟heure actuelle, le concept de rationalité ne parvient plus à occulter cette structure autoréférentielle. La notion de rationalité communicationnelle fournit ici un cas de figure illustratif. Comme on l‟a vu, par une coopération interdisciplinaire de philosophie et sociologie, Habermas cherche à reconstruire génétiquement trois processus d‟apprentissage décisifs au sein des sociétés modernes. Nous y avons fait référence sous la dénomination de complexes de rationalité.158 Ceux-ci constituent l‟évidence sociologique qui permet à Habermas de considérer les discours épistémique, moral et esthétique comme des vecteurs de rationalité communicationnelle, car ils témoigneraient en effet d‟une condition foncièrement moderne, soit le devoir de trouver par soi-même ses propres certitudes. La théorie de l‟agir communicationnel permettrait ainsi de qualifier la rationalité du discours en observant un ensemble de conditions performatives. Un acteur rationnel doit dès lors i) tâcher de s’entendre avec ses interlocuteurs sur ce qui advient dans le monde ; ii) s‟adresser à un public élargi des personnes qui pourraient se sentir concernées par son propos ; iii) omettre toute sorte de perlocution ; et iv) défendre la validité des assertions en s‟appuyant sur la coercition faible qui émane du meilleur argument. En ce sens, on peut parler d‟une communication réflexive, dans la mesure où elle établit des règles encadrant les prestations argumentatives et veillant par là même à la rationalité des échanges. Habermas appelle situation idéale de parole à l‟ensemble de ces conditions.

Ainsi, le discours rationnel se distingue-t-il en même temps du discours stratégique et de l‟argumentation fallacieuse. Toutefois, on pourrait poser avec Luhmann cette question : sur quel type d‟évidence repose une rationalité fondée sur la situation idéale de parole ? Habermas emploie a contrario deux figures classiques de la pensée idéaliste pour repérer le caractère qui correspond en propre à la situation idéale de parole : elle n‟est ni une idée régulatrice (Kant), ni un concept historiquement existant, au sens hégélien du terme. En effet, les exigences performatives sont censées concourir aux processus d‟entente sous la forme d‟une anticipation de sens qui est en même temps une précondition constitutive du discours rationnel. Pour cette raison, la situation idéale de parole n‟est point une réalité qui aille au-delà de l‟expérience, telle une entité transcendante ; elle revêt plutôt la forme d‟une hypothèse pratique sur laquelle tout acteur rationnel doit s‟appuyer pour participer à une communication épurée d‟orientations stratégiques et manipulatrices. D‟autre part, la

157 Luhmann, N., Observaciones de la modernidad [édition espagnole de Beobachtungen der Moderne], pp. 40 sq, Paidós Studio, Barcelona, 1997.

notion hégélienne de concept se révèle inadéquate pour expliciter la signification que Habermas accord à son concept de situation idéale de parole. Habermas ne vise par là aucune forme communautaire de vie en particulier, « car aucune société historique ne coïncide avec la forme de vie dont nous pouvons donner une caractérisation fondamentale en nous référant à la situation idéale de parole ».159 Bien au contraire, la situation idéale de parole constitue une ressource procédurale permettant de surmonter les menaces que représente une communication systématiquement déformée. Dans son texte Wahrheitstheorien de 1972, Habermas présente l‟intuition névralgique de sa théorie à l‟aide d‟une formulation certes paradoxale :

« Le meilleur terme de comparaison de la situation idéale de parole serait une illusion transcendantale, sauf que cette illusion […] est en même temps une condition constitutive du discours rationnel. Pour toute communication possible, l‟anticipation de la situation idéale de parole a la signification d‟une illusion constitutive qui est en même temps le pré-apparaître (Vorschein) d‟une forme de vie. Certes, nous ne pouvons savoir a priori si ce pré-apparaître n‟est qu‟une illusion (une subreption), bien qu‟elle repose sur des suppositions incontournables, ou s‟il est possible de réaliser en pratique les conditions empiriques d‟une réalisation, même approximative, de la forme de vie supposée. Les normes fondamentales du discours rationnel, constitutives de la pragmatique universelle, sont de ce point de vue porteuses d‟une hypothèse pratique. »160

Eva Knodt apporte des commentaires très instructifs à ce sujet. Elle relève le rôle stratégique que joue la contradiction performative chez Habermas. Pour ce faire, la commentatrice reconstruit la théorie de l‟agir communicationnel en faisant appel aux distinctions proposées par Luhmann. Elle fait ainsi un constat lourd de conséquences : la théorie habermasienne possède une structure autoréférentielle qui l‟immunise contre toute possibilité de réfutation. Pourvu que l‟argumentation constitue le média véhiculant les réfutations, les contradicteurs de Habermas doivent forcément se soumettre aux conditions performatives prescrites par une théorie de l‟activité communicationnelle. En d‟autres termes, l‟exercice même de la réfutation réaffirmerait, selon Knodt, la structure réflexive qui appartient au discours rationnel. Ce dernier témoigne de la préséance d‟un sujet pratique capable de se plier aux exigences déontologiques qui découlent d‟une notion de rationalité conçue en termes procéduraux. Par conséquent, l‟acteur allant à l‟encontre des présupposés pragmatiques explicités par la situation idéale de parole est suspect d‟avoir commis une contradiction performative. À en croire Knodt, une disposition stratégique se manifesterait là où Habermas croit voir une structure normative inhérente au langage : Habermas obligerait ses opposants à adopter les prémisses de sa théorie et parviendrait, de ce fait, à neutraliser tout flanc perméable à la critique. Cette opération théorique est à la base de ce que nous avons appelé plus haut hiérarchie modale. La distinction système/monde vécu permet à Habermas de créer une

159 Habermas, J., « Théories relatives à la vérité » dans Logique de sciences sociales et autres essais, pp. 326-7. 160 Ibid., p. 327.

asymétrie qui justifierait la place éminente que détient le discours rationnel Ŕ et donc par le monde vécu Ŕ vis-à-vis du cycle communicationnel déployé par les mécanismes systémiques.161 Ainsi Habermas peut-il soutenir que seul le discours rationnel jouirait de la capacité à qualifier ses propres conditions de possibilité. Or, au point de vue d‟une observation de second ordre (telle qu‟entendue par Luhmann), on constate que, de par sa structure autoréférentielle, cette figure de pensée-là engendre un paradoxe. En effet, comment Habermas pourrait-il attester de la rationalité de l‟activité communicationnelle sans prôner à la fois qu‟il est rationnel d’accepter les conditions performatives (pré-discursives ?) de la situation idéale de parole ? L‟introduction d‟une hiérarchie modale des types communicationnels semble un moyen propice pour satisfaire cette exigence : quiconque n‟accepte pas les présupposés de la situation idéale de parole témoigne d‟une disposition soit stratégique, soit contradictoire. À la lumière des éléments d‟analyse apportés par Luhmann, conclut Knodt, la contradiction performative apparaît comme étant une ressource sémantique camouflant la structure paradoxale qui appartient au concept de rationalité communicationnelle. La dichotomie agir communicationnel/agir stratégique peut être réintroduite dans le premier membre de cette distinction par le moyen d‟une observation de second ordre. À la suite de Spencer Brown, Luhmann nomme re-entry la duplication d‟un schématisme binaire dans l‟un de ses deux termes (ou valeurs). De ce fait, la théorie des systèmes peut repérer une disposition stratégique dans le discours rationnel, tel que conçu par Habermas. Luhmann se ménage par là une voie permettant de qualifier autrement le statut de la rationalité. Il en infléchit la signification en ayant recours à un procédé observationnel qui ne cherche plus à se dérober aux implications paradoxales découlant de l‟utilisation des opérations référentielles. Autrement dit, une théorie plausible de la société contemporaine doit admettre que de nombreux paradoxes résultent du régime d‟activité systémique. Ces paradoxes ne sont évidemment pas sans poser problème. Or, il faut bien comprendre que l‟activité des systèmes de la société aboutit à des paradoxes par suite de l‟utilisation des codes.

Ainsi, le système économique duplique la distinction rentable/non rentable dans la valeur positive du code (rentable). L‟utilisation récursive du code économique permet de décrire, à titre d‟illustration, la dynamique financière qui a déclenché la crise des subprimes aux États-Unis. À l‟aide de cet exemple, on peut mieux saisir la façon dont Luhmann comprend le concept de rationalité : que l‟on puisse qualifier d‟irrationnel l‟octroi des crédits au sein du système financier américain tient au déploiement d‟un particulier type de paradoxe, à savoir une génération du profit par une augmentation intenable de la dette des ménages. En effet, le système financier américain a

161 Knodt, E., « Toward a Non-Foundationalist Epistemology : The Habermas/Luhmann Controversy Revisited », pp. 77-100, German New Critique, Issue 61, Winter 1994.

cherché à rentabiliser les crédits octroyés à des débiteurs qui n‟avaient guère les moyens de rembourser leurs emprunts. Le concept de re-entry éclaire la signification de cette paradoxe : les stratégies de rentabilité ont elles-mêmes porté préjudice à la valeur des actifs. En termes plus abstraits, Luhmann examine la rationalité comme un moment de l‟autoréférence déployée dans un système. On dira donc qu‟un système opère rationnellement quand il parvient à piloter ses opérations par le biais d‟un re-entry. Pour ce faire, le système doit atteindre un niveau de réflexivité tel qu‟il lui soit possible de réaliser des observations de second ordre.162

Le concept de rationalité utilisé par la théorie des systèmes intègre les implications paradoxales de l‟autoréférence. Aussi permet-il de mieux expliquer ce en quoi consiste une réalité décentrée. Le concept de différenciation fonctionnelle exige d‟abandonner la prémisse de la vieille pensée européenne selon laquelle le repérage d‟une différence nécessite, en dernière analyse, une unité. En revanche, Luhmann appréhende l‟identité du social par le biais d‟une observation à structure binaire, en l‟occurrence la différence système/environnement. De ce fait, on peut constater le caractère paradoxal qui correspond au concept de différenciation dès qu‟on comprend le type d‟opération théorique dont il s‟agit : Luhmann tâche de distinguer une multiplicité en ayant recours à une unité différenciée. Tel est le trait distinctif d‟une société qui ne parvient plus à se représenter dans un concept unitaire, mais en faisant appel à une diversité de références systémiques qui se révèlent incommensurables les unes par rapports aux autres. Comme on l‟a vu, aucune transposition de sens n‟est possible dans un monde polycontextural où les codes établissent une relation orthogonale : toute médiation doit être réalisée en conformité au modèle de la fermeture opérationnelle. Ces implications touchent également le statut de la vérité : la rationalité scientifique ne peut se vérifier qu‟à l‟intérieur de la communauté de chercheurs, car elle est déterminée par les conditions opérationnelles sous lesquels s‟effectue l‟autopoïèse du système scientifique. C‟est par le code vrai/faux que la science fixe les critères d‟acceptation et de refus des offres communicationnelles dans un système qui assure son unité par le moyen d‟un média distinct, soit la vérité scientifique.

À la lumière des distinctions apportées par Luhmann, le concept de rationalité communicationnelle s‟avère une notion monolithique : Habermas voudrait ramener la pluralité des

162 Il est à noter que les systèmes ne résolvent pas nécessairement les problèmes que créent les paradoxes. L‟évolution socioculturelle de la société mondiale témoigne cependant d‟une stratégie de gestion des paradoxes que Luhmann appelle formules de contingence. Les formules de contingence Ŕ tels les besoins dans le système économie, la justice dans le système légal, la légitimité dans le système politique, le prestige dans le système scientifique, entre autres Ŕ usent de l‟alter-référence pour créer une asymétrie permettant de neutraliser les paradoxes. Par ailleurs, les systèmes qui n‟ont pas la capacité d‟effectuer des observations de second ordre Ŕ les interactions, par exemple Ŕ font preuve d‟une faible capacité à surmonter les blocages communicationnels produits par les paradoxes.

jeux de langages qui caractérise une société moderne à une unité fondamentale, en l‟occurrence la rationalité communicationnelle. Certains commentateurs de Luhmann ont vu là une position défensive, pour ainsi dire, à l‟endroit de la complexité. W. Rasch163 et E. Knodt relèvent, chacun à sa manière, l‟invraisemblance de subsumer l‟activité des systèmes sociaux sous une catégorie unique de rationalité. Il faut préciser ici qu‟il ne s‟agit pas d‟un constat d‟échec déplorant la force consensuelle de la communication langagière. Ces auteurs insistent plutôt sur le fait qu‟il est possible de réfuter la stratégie méthodologique adoptée par Habermas, puisqu‟elle fait appel à deux conceptions mutuellement exclusives : soit on considère les sociétés modernes sous la perspective de la rationalisation (donc, sous la perspective interne des acteurs), soit on les considère sous la perspective d‟une différenciation fonctionnelle. Habermas prétendrait qu‟il est possible de marier ces deux orientations théoriques par l‟entremise d‟un concept procédural de raison, qui est censé opérer tant dans la pratique communicationnelle vécue au quotidien que dans les systèmes d‟action finalisée issus de l‟évolution socioculturelle. Néanmoins, la distinction système/monde vécu atteste de l‟impossibilité de dresser un portrait unitaire des sociétés complexes. Cette impossibilité représenterait la faillite du programme habermasien, car une théorie sociale à deux niveaux ne suffirait pas à expliquer ladite distinction en ayant recours à une unité fondamentale. Bien au contraire, Habermas ne parviendrait pas à harmoniser deux conceptions de la modernité qui s‟avèrent somme toute antinomiques. Ainsi, la rationalisation et la différenciation fonctionnelle formeraient une alternative.164

II

Peut-être cette difficulté nous permet-elle de comprendre le tournant juridique qu‟a connu la philosophie habermasienne depuis Droit et démocratie (DD). Œuvre complexe à n‟en pas douter, Habermas tente d‟y défendre la thèse suivante : l’État de droit et la démocratie seraient des réalités co-originaires. En effet, il n‟est pas possible de comprendre l‟un sans se référer à l‟autre, puisqu‟ils constitueraient l‟aboutissement des processus de modernisation. Fidèle au propos tenu dans sa TAC,

163 Rasch, W., Niklas Luhmann’s Modernity. The Paradoxes of Differentiation, pp. 39-45, Stanford University Press, California, 2000.

164 « […] the different conceptual strategies associated with lifeworld and system, to the extent that they represent strictly complementary methodological perspectives, are in fact theoretically incompatible in their conclusions, and that therefore the project of reconciling the normative with the cognitive dimension of discourse in a comprehensive theory of modernity must be considered a failure. […] The rationalization thesis thus insists on precisely what the principle of functional differentiation denies, namely, the possibility that the implicit normative background of society can, and in fact does, become explicit as a whole in the reflexive medium of a discursively constituted intersubjectivity. […] the unity of theory and practice is ripped apart in the very attempt to reconcile the conflicting demands of reason and the understanding in the idea of a reason that is supposedly not just an idea in the Kantian sense but also an empirical condition of everyday speech. The desire for unity produces difference, and a theory fuelled by such a desire becomes utopian in the literal sense of the word ». Knodt, E., op. cit., pp. 97-100.

Habermas fait encore appel à une collaboration interdisciplinaire pour enrichir sa conception des sociétés modernes. La théorie sociale vient donc en aide à une théorie philosophique du droit. Il s‟agit moins d‟une division du travail théorique que d‟une coopération intellectuelle tout à fait indispensable au projet que Habermas tâche d‟accomplir. Dans DD, il décide de conserver en même temps la thèse d‟une rationalisation communicationnelle et le diagnostic d‟une colonisation du monde vécu. Néanmoins, une théorie de la démocratie délibérative vient compléter le portrait de la modernité dressé dans TAC. C‟est la raison pour laquelle il faut tenir compte de la conception habermasienne du droit. On voit là une tentative d‟intégrer deux diagnostics apparemment contradictoires de la modernité socioculturelle en ayant recours à la fonction médiatrice du droit au sein des sociétés complexes. En effet, le droit s‟y trouve être une catégorie sociale qui exprime à la fois la facticité de la vie sociale et les exigences de validité qui s‟imposent à la coordination de l‟agir.

Habermas maintient une méthodologie bipartite qui réunit deux dispositions observationnelles : la perspective interne des acteurs et la perspective objectivante d‟une tierce personne. Par ce biais, la théorie sociale doit rendre compte des conditions de coordination de plus en plus exigeantes que pose une société à structure différenciée. Ainsi, Habermas tente de mieux saisir les manifestations paradoxales de la rationalisation. Celles-ci se manifestent, comme on l‟a vu, dans le développement de deux processus centripètes : d‟une part, la rationalisation octroie un degré de liberté plus important aux sujets prenant part à la communication ; d‟autre part, elle élève les exigences d‟acceptabilité du discours par suite de l‟effondrement des images métaphysico-religieuses du monde. Habermas fait état d‟une modernité socioculturelle qui révèle un caractère post- conventionnel, puisque la tradition a épuisé les ressources sémantiques au moyen desquelles elle assurait jadis l‟intégration sociale.

Dans DD, Habermas garde une certaine réserve à l‟égard de la capacité du monde vécu à remplir