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Mais le rôle et les retombées propres aux pays qui hébergent ces pavillons sont rarement identifiés

Chapitre III – IDENTIFICATION ECONOMIQUE DU PROBLEME

II. Mais le rôle et les retombées propres aux pays qui hébergent ces pavillons sont rarement identifiés

A. Les effets de la libre immatriculation sont identifiés pour les pays industrialisés.

1. Les effets négatifs.

La crainte de la libre immatriculation s’inscrit dans un cadre plus général qui depuis les années 1980 fait craindre aux pays industrialisés la menace des nouveaux pays industrialisés 288 et crainte continue à mobiliser contre elle.

Pour les mêmes raisons économiques – et d’autres, non directement économiques : fierté nationale, défense, sécurité de certains approvisionnements, protection de l’environnement, etc. – le recours aux pavillons de libre immatriculation est combattu par certains.

Dans les pays maritimes traditionnels, l’opposition des syndicats de travailleurs s’est fondée à partir de la fin des années 1940 sur la contestation des « pavillons bon marché ». Le secteur patronal de la marine marchande a quant à lui longtemps exigé la protection de l’Etat 289, et le recours à la libre immatriculation n’a sopuvent été qu’un second best en cas d’absence de soutien étatique. Dans ce dernier cas, le patronat a alors généralement manifesté son souhait d’une libéralisation prenant des aspects très divers : libéralisation du droit social applicable aux gens de mer, allègement des charges fiscales, assouplissement des règles de nationalité des propriétaires de navires, assouplissement des règles de nationalité des équipages, possibilité d’éclatement de la fonction armatoriale entre différentes sociétés, suppression des trafics réservés, etc. L’étape ultime de cette libéralisation étant le flagging out, le changement de pavillon.

On a vu dans la Première Partie que les pays en développement et en leur temps les pays socialistes avaient également combattu les pavillons de libre immatriculation.

288 Voir par exemple P.Krugman, 1999.

289Sur la durée de cette longue période, Berneron-Couvenhes, cite un ouvrage publié en 1902 : « L’histoire de notre

marine marchande se résume en une doléance perpétuelle des armateurs pour les aides, des inscrits [c’est-à-dire des marins de la marine marchande] pour une amélioration de leur sort, et il semble que l’état de crise ait fini par devenir sa condition normale ». Elle poursuit : « Bien qu’écrit à la fin du XIXe siècle, cet épilogue convient parfaitement au

Les années 1990 sont marquées par la quasi-disparition du « Deuxième monde » constitué par les économies socialistes d’Europe de l’Est, et par l’accession de certains pays du Tiers-monde au statut des nouveaux pays industrialisés notamment avec leur adhésion à l’Organisation Mondiale du Commerce. Dans ce contexte, la contestation de la libre immatriculation s’est recentrée sur la contestation de la mondialisation et est presque devenue un débat interne à l’OMC, notamment lorsqu’en 2003, dans le cadre du Cycle de négociations commerciales dit « de Doha », l’Union européenne (à 15) et 37 autres pays incluant le Japon, mais aussi Panama et Chypre, se sont prononcés pour une libéralisation encore plus avancée des services de transport maritimes – comprenant le transport lui-même, la manutention et les services portuaires.

Il convient de rappeler sommairement la liste des griefs exposés par les pays maritimes traditionnels à l’encontre de la libre immatriculation. Ces griefs ont été à l’origine de l’essentiel des politiques publiques de soutien à la flotte de commerce. En brisant le lien national entre la propriété du navire, la nationalité de l’équipage et le pavillon, la libre immatriculation provoque directement ou indirectement des effets négatifs sur : le nombre de navires immatriculés dans les pays maritimes traditionnels, l’emploi maritime et les emplois induits (services sédentaires, chantiers de construction, réparation navale, emplois administratifs liés au contrôle de l’Etat du pavillon) ; le « vivier » de spécialistes maritimes pouvant alimenter d’autres métiers (banques, assurances, finance, etc.) ; les recettes fiscales liées à l’activité maritime résidente et aux revenus distribués (capital et salaires) ; la balance des paiements par l’importation et l’exportation de biens sous pavillon étranger. Comme pour la mondialisation en général, les préoccupations des pays industrialisés sont essentiellement centrée sur leurs pertes réelles ou potentielles d’emploi 290.

A ces effets économiques, s’ajoutent d’autres effets négatifs à caractère plus stratégique : perte de puissance maritime, affaiblissement des moyens auxiliaires en cas de conflit, diminution de la sécurité de certains approvisionnements (énergie, produits agricoles, etc.), perte de représentativité dans certaines instances internationales.

Enfin, au-delà de ces effets économiques et stratégiques, d’autres effets négatifs plus généraux et sociétaux sont documentés depuis une vingtaine d’années :

- effets sur l’environnement : en laissant diminuer leurs flottes, les pays maritimes traditionnels ont laissé se développer des flottes de moindre qualité qui portent atteinte à l’environnement (sécurité, accidents maritimes, pollution marine, pollution atmosphérique, etc.)

- effets « sociétaux » : outre la diminution du volume d’emplois, la diminution des flottes immatriculées dans les pays maritimes traditionnels ne contribue plus au maintien ou à l’élévation des standards sociaux dans la marine marchande mondiale (rémunérations, temps de travail, congés, protection sociale, retraite, droits syndicats, etc.). En effet, les équipages recrutés en dehors des normes imposées par les pays maritimes traditionnels sont moins bien gratifiés, générant un système mondial à deux vitesses de rémunération et de droits sociaux.

2. Les effets positifs.

Ils sont illustrés par la réalité des comportements des pays maritimes traditionnels. Schématiquement la plupart de ces pays ont abandonné l’essentiel de la « production » nationale de services maritimes – c’est-à-dire la gestion des navires selon des règles nationales. L’activité s’est maintenue, mais selon des principes de « fabrication » à des coûts moindres. Autrement dit, les pays maritimes traditionnels ont simplement appliqué à leurs flottes les principes appliqués à d’autres industries (textile, sidérurgie, métallurgie, etc.) et d’autres produits 291.

La libre immatriculation permet aux pays maritimes traditionnels d’une part de se libérer des contraintes des règles nationales pour mieux répondre à la mondialisation, et d’autre part de se concentrer sur la combinaison des facteurs de production et le shipping management. Ces pays sous-traitent une partie de l’activité, mais gardent la propriété effective des flottes 292, et conservent aussi la maîtrise de leurs technologies qui ne sont pas réellement disséminées 293.

Par ailleurs, les effets de la baisse constante des coûts de transport, qui a dans un premier temps nui aux pays industrialisés en termes d’emplois, etc., peuvent aussi bien se retourner en amont (coûts des produits importés) et en aval (capacité d’exportation) au profit de ces pays (P. Krugman, 1998, pp.14-15). A ce titre, le développement urbain des ports – et les effets associés en termes de production et d’emplois – est un indicateur.

On retrouve ici les principes ricardiens (Ricardo, 1817, pp.133-134) : en substance, un pays a intérêt à importer d’un pays étranger des biens (et services) s’ils sont moins chers que ceux qu’il produit lui-même ; il dégage ainsi du pouvoir d’achat pour acquérir d’autres biens et services,

291 Sletmo, 1989.

292 Voir le Tableau intitulé : « La véritable nationalité des 10 premiers pavillons de libre immatriculation selon la

Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) ».

mais peut aussi mobiliser les capacités de production libérées et les réorienter vers la production plus efficace d’autres biens et services avec lesquels il achètera les biens et services importés.

B. Les effets de la libre immatriculation sur les pays d’accueil.

Les effets de la libre immatriculation sur les pays d’accueil sont moins bien identifiés. L’effet négatif sur les pays d’accueil est quelquefois évoqué, mais rarement l’effet positif.

1. Rappel de théories générales.

La réflexion marxiste, déjà évoquée pour la mondialisation en tant que cas particulier de la tendance capitaliste à paupériser la classe salariée (Marx, 1867, op.cit., p.284)294, est intéressante pour la libre immatriculation. Toutefois, son apport semble faible pour les petites économies insulaires, sauf à leur transposer des principes généraux de développement d’économie classique, fondés sur l’appui à l’agriculture ou l’industrie (de Miras, 1997, op.cit., p.85, Note 3).

a) La problématique particulière des petits territoires.

En parallèle à l’émergence du traitement économique du pavillon maritime évoqué dans la Première Partie, un autre mouvement, plus ample, est à signaler à partir des années 1980 : il concerne la prise en compte par la science économique des particularités des petits territoires, spécialement des territoires insulaires, et la réflexion sur leurs stratégies de développement.

De nombreux petits territoires hébergent des pavillons de libre immatriculation. C’est d’ailleurs cette conjonction qui a amèné à s’interroger dans ce travail sur l’éventualité d’un lien entre le pavillon maritime et le développement économique.

Kuznets (Kuznets, 1951) sur la croissance et Srinivasan (T. N. Srinivasan, 1986) se sont interrogés au sujet de l’impact de la taille (territoire et population) sur la dimension des marchés et les économies d’échelle qui peuvent en résulter, également sur l’éloignement et le surcoût des transports, sur la vulnérabilité aux catastrophes naturelles ou aux chocs économiques externes,

294 « La réserve industrielle est d’autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l’étendue et

l’énergie de son accumulation, partant aussi le nombre absolu de la classe ouvrière et la puissance productive de son travail, sont plus considérables. Les mêmes causes qui développent la force expansive du capital amenant la mise en disponibilité de la force ouvrière, la réserve industrielle doit augmenter avec les ressorts de la richesse. Mais plus la réserve grossit comparativement à l’armée active du travail, plus grossit aussi la surpopulation consolidée dont la misère est en raison directe du labeur imposé. Plus s’accroît enfin cette couche des Lazare de la classe salariée, plus s’accroît aussi le paupérisme officiel. Voilà la loi générale, absolue de l’accumulation capitaliste. » (Marx, K., 1867, op.cit., p.284).

etc. Après de longues interrogations sur les contours et les caractéristiques des « petits territoires » (Crowards, 2002) et le renouveau de la réflexion sur la façon de mesurer la « petitesse » territoriale (Downes, 1988) et les stratégies propres à développer les petites économies insulaires (J. Crusol, Hein, & Vellas, 1988), le problème de définition de l’objet d’étude demeure 295 tandis queplusieurs économistes enrichissent la réflexion dans les années 1990.

Dans un cadre monographique particulier 296, de Miras (de Miras, 1988) pose ainsi le problème de l’existence d’un modèle de développement micro-insulaire qui ne serait pas fondé sur l’agriculture et l’industrie – dont les agrégats ont évolué à l’opposé du PIB départemental – mais sur les transferts publics progressivement mis en œuvre à dater de la départementalisation de 1946 et illustrant selon lui un « développement sans croissance » (de Miras, 1988, op.cit., p.371).

Face aux difficultés d’application aux petites économies insulaires des principes de développement fondés sur les secteurs primaire (agriculture, pêche, exploitation des ressources naturelles minières) ou secondaire (industrie), Connell (Connell, 1991) rappelle quant à lui l’importance du secteur tertiaire et tout particulièrement du tourisme 297, mais également la nécessité de rapatrier sur les micro-territoires, entrés de facto dans l’ère post-industrielle, des revenus provenant de l’extérieur et/ou monnayant une rente (émigration ; aide internationale ou gouvernementale ; philatélie ; droit de vote dans les instances internationales ; base militaire, etc.).

Dans ce prolongement, Baldacchino (Baldacchino, 1993) constate que les pronostics défavorables qui avaient pu être formulés dans les années 1960 quant aux possibilités de développement des petits territoires ont été déjoués en termes de croissance, de taux de scolarisation ou de mortalité, (Baldacchino, 1993, op.cit., p.30). Il y voit l’indication de possibles stratégies de développement fondées sur la mise en valeur des handicaps liés à la petite taille, l’insularité et l’éloignement 298.

295 Voir par exemple Herland, 2007, pp.243-245.

296 Celui de la Martinique, territoire insulaire de la Caraïbe, dépendant d’un Etat métropolitain et caractérisé, entre

autres aspects, « par l’absence des contraintes macro-économiques classiques : pas de réserves de change à protéger, pas de parité monétaire propre à défendre, pas de financement du développement à partir des résultats d’exportation » (de Miras, 1988, p.379).

297 « Tourism constitutes perhaps the only economic sector where there are genuine comparative advantages for island microstates: clean beaches, unpolluted waters, warm weather, and at least the vestiges of distinctive cultures, though sometimes these turn out to be illusory. Competition between countries is considerable, tourism is unusually subject to the whims of fashion, and wages are often low. Structurally it is in some respects analogous to industrial export processing zones, though its concessional status is less evident; it is vulnerable to economic uncertainty (domestic and international), local and regional political instability, and to ecological changes that often result from tourism itself. » (Connell, 1991, op.cit., p.265).

298 « For many microstates, smallness – and the characteristics of insularity and remoteness which usually accompany it – need not represent a trinity of despair but rather an opportunity. Insularity has automatic defensive and locational advantages which a number of small states have utilized to develop as centres at which ‘merchandise’ can be stored and/or trans-shipped. (…). Remoteness carries the possibilities of military and strategic uses as well as the advantages of crop gene pool isolation (…) ; perceptions of strategic location and global insecurity frequently result in the installation of military or telecommunications bases. These advantages in themselves starkly highlight the problems of microstate powerlessness which these small states may well prefer to exploit rather than avoid. » (Baldacchino,