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La « préhistoire » et la naissance de la libre immatriculation des navires

A. La « préhistoire » de la libre immatriculation des navires

Il est communément admis que l’essor des flottes de libre immatriculation a commencé immédiatement après la Première Guerre Mondiale (Pinto, 1960; Schulte, 1962). Les pavillons de libre immatriculation existaient néanmoins avant20. Toh et Susilowidjojo (Toh & Susilowidjojo, 1987) rappellent que :

« The practice of registering ships in another country can be traced back to the sixteenth century, when English merchants used it to circumvent the Spanish monopoly on trade with the West Indies. Americans first used the system during the War of 1812, when some Massachusetts fleets sailed under the Portuguese flag as protection against British capture. From tbe 1830s through the 1850s, American slave traders employed a variety of flags to avoid slave suppression treaties. The FOC system was not institutionalized, however, until 1919, when Panama opened up her registry to foreign ships. » (pp.34-35)

L’aspect « préhistorique » repose donc sur un double anachronisme le terme et le contenu de la libre immatriculation.

On peut soutenir que trois aspects de la libre immatriculation des navires sont déjà préfigurés avant la Première Guerre Mondiale.

Dès le XIXème siècle en effet, le pavillon d’un navire fixe la nationalité des navires et les règles internes auxquelles ils doivent se soumettre, et fixe également les conditions d’emploi des équipages, les premières règles de sécurité et les règles de fiscalité. Ensuite, le pavillon maritime apparaît comme une prérogative exclusive des Etats indépendants et souverains. Enfin, les grandes nations maritimes 21 – mais également coloniales – vont créer le droit fondamental en matière de pavillon. Des pays comme la France et surtout la Grande-Bretagne vont ainsi adopter des législations maritimes présentant, du fait de l’importance de leurs empires respectifs ou de leur zone d’influence, une grande extension géographique. Ces mêmes pays vont également admettre des particularités géographiques ou fonctionnelles à l’intérieur de leur pavillon. Cette reconnaissance préfigure la possibilité de création de plusieurs « registres » d’immatriculation sous un même pavillon 22.

Comparée à la période contemporaine, la « préhistoire » de la libre immatriculation est caractérisée (1) par la faiblesse du lien entre l’économie et le choix du pavillon, et (2) par l’absence de correspondance entre la création d’Etats nouveaux – en particulier des Etats issus de la première vague de décolonisation pendant la cinquantaine d’années à cheval sur les XVIIIème et XIXème siècles – et la création de pavillons de libre immatriculation.

1. Faiblesse du lien entre économie et choix du pavillon.

L’aspect économique au sens large – qui fonde l’universalité contemporaine de la libre immatriculation – est peu présent avant la Première Guerre Mondiale.

a) La faiblesse de la « demande de pavillon ».

En effet, au plan global, le commerce maritime mondial, quoiqu’en forte croissante moyenne (4,2% par an) de 1840 à 1887 (année des premiers transports maritimes de pétrole brut), et passant de 20 millions de tonnes transportées à un peu moins de 140 millions entre ces deux années, est relativement restreint en volume (Stopford, 2009, Table 1.2 Merchandise carried by sea,

annual totals 1840 to 2005, pp.23 & 24). La révolution industrielle a renforcé la division du travail,

mais celle-ci n’atteint pas encore, à l’aide des transports, un degré permettant de mettre à profit tous les avantages comparatifs relatifs mis en exergue par Ricardo.

21 Sur la base de la Conférence de Berlin de 1885 : Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Empire

ottoman, Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Russie, Suède.

22 Ainsi, la France adoptera à la fin du XIXème des règles particulières pour ses « mers lointaines » ; de même, la

Grande-Bretagne prendra des « Actes de navigation », dont les principes s’étendront jusqu’à nos jours nonobstant les indépendances.

Au plan microéconomique, les armateurs n’expriment pas d’exigences en termes de limitation des coûts liés aux pavillons (fiscalité, coûts de personnels). Leur attention est plutôt mobilisée par les changements technologiques concernant les modes de propulsion (passage du charbon au fuel et passage de la roue à aubes à l’hélice) ou de construction des coques (passage du bois au fer puis à l’acier, et passage du rivetage à la soudure, autorisant l’augmentation des tailles de navires) (Stopford, op.cit., pp.23-46).

La « demande de pavillon »23 émanant des compagnies maritimes n’existe donc quasiment pas, hormis le cas particulier de la piraterie. Ce qui signifie que les entreprises n’ont pas le choix de l’encadrement technique (règles de construction et de sécurité), fiscal (régime d’imposition directe – sur les revenus des navires ou des marins – ou indirecte – régime fiscal des marchandises transportées, « avitaillement », etc.), économique (subventions, obligations de desserte, etc.) et social (droit du travail – conditions d’embauche et de licenciement, salaires, temps de travail, congés –, droit de la sécurité sociale et des pensions des travailleurs embarqués à bord) de leurs navires. Ces questions sont directement réglées par les Etats par différents canaux qui ne s’excluent pas l’un l’autre : normes imposées (« Actes de navigation » 24), compagnies nationales, entreprises verticalement intégrées. Les rapports entre l’administration et les armateurs, « captifs » des Etats où ils résident ou de ceux où travaillent leurs navires, sont essentiellement des rapports d’autorité.

b) Le cas de la France.

Pour ce qui concerne par exemple la France et les relations interocéaniques, on peut rappeler la situation de la Compagnie Générale Transatlantique qui s’inscrit dans le prolongement du Pacte colonial, qui, bien qu’officiellement aboli sous l’Empire libéral (1861), a néanmoins perduré à travers des restrictions de concurrence comme le monopole de pavillon ou le trafic maritime administré (Angelelli & Saint-Cyr, 2008, pp.37-40).

Le monopole de pavillon, avatar de l’exclusif colonial, est resté longtemps 25 la formule de

protectionnisme maritime la plus générale en France. Par ailleurs, les entreprises « concessionnaires » (d’un service public) ou subventionnées dans « les colonies et pays de

23 Que l’on pourrait définir comme la « demande de service d’immatriculation », permettant à chaque entreprise de

choisir librement pour ses navires le statut national, mais également technique, fiscal, économique et social de ses navires.

24 Loi ou Règlement définissant le statut – c’est-à-dire les droits et obligations – des navires et des personnels à bord

en fonction de différentes situations (localisation géographique, éloignement en mer, type d’activité pratiquée (transport de marchandises ou de passager, pêche, etc.)

protectorat relevant du ministère des colonies » avaient l’obligation de réserver à des navires français les transports de cargaison qui leur étaient destinées.

Le trafic maritime administré a, quant à lui, perduré sous deux formes au moins : les compagnies concessionnaires ou subventionnées et la (forte) participation de l’Etat à la gestion des compagnies (capitaux, garanties d’emprunts, personnels, réglementations « sur mesure », etc.). Ainsi, la tendance libérale affichée par Napoléon III ne l’empêcha pas, en même temps qu’il abolissait le pacte colonial, d’organiser la Compagnie Générale Transatlantique (la « Transat »

créée en 1861) autour de lignes régulières « concédées » par l’Etat (en particulier Le Havre-New-York et Saint-Nazaire-Colón) pour l’exécution de certains services publics plus au moins étendus (vers les Amériques : courrier ; vers l’Afrique, l’Extrême-Orient et l’Océanie : courrier, transports de fonctionnaires ou de troupes). Parallèlement, les compagnies nationales bénéficient alors de subventions puisqu’elles assurent une certaine continuité territoriale avant la lettre ou, pour reprendre une terminologie actuelle, des obligations de service public (Berneron-Couvenhes, 2007). Enfin, l’imbrication des compagnies maritimes et de l’Etat a duré bien au-delà de l’épisode de la première nationalisation de la flotte marchande (Première Guerre mondiale)26.

c) Le cas d’autres grandes nations maritimes.

La situation faite aux compagnies nationales était identique ou proche pour les autres pays européens 27: les compagnies maritimes étaient pour partie l’instrument des politiques coloniales des Etats (Hobson, 1902, Part.I, Chap.IV, §12) et les navires et leurs équipages étaient sous statut quasi-militaire (affectation collective de défense, avancement, uniformes, assimilation de grades, régime disciplinaire, etc.). Il est à noter que cela prolongeait le régime des compagnies à charte perfectionné par les Pays-Bas dans les Indes orientales puis occidentales 28.

Cette liaison ancienne entre la marine marchande et l’Etat dans les pays maritimes traditionnels explique également la rémanence de la notion de puissance maritime qui, encore aujourd’hui, apparaît pour certains liée à l’importance de la flotte de commerce sous pavillon national 29.

26 Pour illustrer cette imbrication, il est ainsi à noter que certaines politiques de prestige étaient conduites par les

compagnies pour le compte (et avec un financement) de l’Etat : on se souvient des paquebots Normandie (1935) ou France (1960), pour lesquels la Compagnie Générale Transatlantique avait bénéficié d’un financement spécial de l’Etat (subvention et garantie d’emprunt). Par ailleurs, l’Etat pouvait participer au capital des armements de façon significative et nommer, à ce titre, tout ou partie des membres des conseils d’administration, ou offrir des « pantoufles » à certains fonctionnaires appartenant à de grands corps ou grands corps techniques de l’Etat.

27 Sur la desserte de la Côte-Est des Etats-Unis : Cunard, Royal Mail Steam Packet, Liverpool, Brazil & River Plate Steam

Navigation Company en Grande-Bretagne, Netherlands-American Steam Navigation Company aux Pays-Bas, Navigazione Generale Italiana en Italie, par exemple.

28 Voir notamment, Morineau, 1994

29 En France, voir par exemple le rapport du Sénateur H. de Richemont en 2003 qui a abouti à la création du registre

Cette liaison explique probablement aussi le caractère affectif qui s’attache souvent au pavillon maritime, soit de façon méliorative lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts nationaux, soit au contraire de façon péjorative, lorsque l’opinion publique est confrontée aux pavillons de libre immatriculation, reflet d’un capitalisme apatride et rapidement qualifiés de « pavillons de complaisance ».

2. Absence de correspondance entre la création d’Etats nouveaux et la création de pavillons de libre immatriculation.

a) La faible nombre d’Etats souverains.

La faiblesse de l’ « offre » de pavillon émanant des Etats est la seconde raison qui explique l’absence d’essor de la libre immatriculation avant la Première Guerre Mondiale. Autrement dit, après avoir été relativement important le nombre des Etats indépendants et souverains a chuté au XIXème siècle 30. D’une part, la première vague de décolonisation du dernier tiers du XVIIIème siècle et du premier tiers du XIXème siècle n’a créé qu’un nombre limité d’Etats. D’autre part, le renouveau de l’essor colonial européen à la fin du XIXème siècle 31 et les mouvements d’unification nationale en Allemagne et en Italie ont conduit à une diminution du nombre d’Etats ou entités assimilables à des Etats.

30 A titre d’illustration, avant 1914 on dénombre 150 Etats ayant conclu des accords avec la France (selon la Base de

données « Choiseul » du ministère français des Affaires étrangères <

http://www.doc.diplomatie.gouv.fr/BASIS/choiseul/desktop/choiseul/sf > [consulté en Janvier 2011], dont de nombreux Etats d’Allemagne ou d’Italie, ou encore d’Afrique ou d’Asie (Alger, Tripoli de Barbarie (actuelle Lybie), Mascate (actuel Sultanat d’Oman), etc.)

31 Voir en Annexes, l’Encadré n°2 et l’Encadré n°3. Pour le seul essor colonial britannique, Hobson donne d’après le

Colonial Office une liste impressionnante de 37 Etats et territoires passés sous le contôle de la Grande-Bretagne entre

1870 et 1900 et sans compter les pays passés sous le contrôle du British Indian Government (Hobson, 1902, Partie I, The

Economics of Imperialism, Chap.1). Par ailleurs et globalement, en 1900 les 13 premiers Etats coloniaux contrôlent 136

colonies et 521 millions d’habitants : Hobson poursuit : « The following comparative table of colonisation, compiled from the

‘Statesman's Year-book’ for 1900 by Mr. H. C. Morris,(‘History of Colonisation’, Vol. II. p. 318 (Macmillan & Co.)) marks the present [1900] expansion of the political control of Western nations » (Ibid. §18).

Mother

Country Number of Colonies

Area. Square Miles. Population.

Mother

Country. Colonies, &c. Country. Mother Colonies, &c.

United Kingdom 50 120,979 11,605,238 40,559,954 345,222,239 France 33 204,092 3,740,756 38,517,975 56,401,860 Germany 13 208,830 1,027,120 52,279,901 14,687,000 Netherlands 3 12,648 782,862 5,074,632 35,115,711 Portugal 9 36,038 801,100 5,049,729 9,148,707 Spain 3 197,670 243,877 17,565,632 136,000 Italy 2 110,646 188,500 31,856,675 850,000 Austria-Hungary 2 241,032 23,570 41,244,811 1,568,092 Denmark 3 15,289 86,634 2,185,335 114,229 Russia 3 8,660,395 255,550 128,932,173 15,684,000 Turkey 4 1,111,741 465,000 23,834,500 14,956,236 China 5 1,336,841 2,881,560 386,000,000 16,680,000 U.S.A. 6 3,557,000 172,091 77,000,000 10,544,617 Total 136 15,813,201 22,273,858 850,103,317 521,108,791 (Hobson, 1902, Chap.1, §18)

Le nombre des Etats indépendants – donc susceptibles de disposer souverainement du droit au pavillon reconnu au plan international – est donc devenu relativement restreint 32 à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. De plus, ces Etats ont exploité le pavillon à leur propre profit, sans chercher à offrir ce « service » aux entreprises d’autres Etats – d’autant que le pavillon était considéré en soi comme un attribut de la souveraineté, phénomène renforcé par l’intégration des marines marchandes aux politiques étatiques. La notion-même de libre immatriculation apparaissait donc dans la plupart des cas peu concevable. Enfin, les grandes nations maritiimes disposaient elles-mêmes de la latitude juridique pour créer, dans leurs colonies, protectorats, Etats associés ou dominions, ce que l’on appellerait aujourd’hui des registres secondaires. Avant 1914-1918, la libre immatriculation, pour autant qu’on puisse la nommer ainsi, était par conséquent caractérisée par l’existence au sein des pavillons de la cinquantaine d’Etats souverains de registres d’immatriculation secondaires de territoires dépendant juridiquement à un titre ou à un autre d’une Métropole.

b) Les aménagements aux règles du pavillon.

En dehors de la piraterie maritime 33, la « Préhistoire » de la libre immatriculation comporte deux types d’aménagements aux règles traditionnelles du pavillon 34. Le premier a consisté en la conclusion d’accords bilatéraux entre Etats pour favoriser l’exercice réciproque d’activités de commerce maritime par les ressortissants de chaque Etat. Le second type d’aménagement a été l’autorisation par certains Etats, à la faveur du développement de leurs empires coloniaux au XIXème siècle, des registres « indigènes » ou coloniaux.

i. Hormis le cas particulier de la piraterie, les premiers aménagements importants aux règles traditionnelles de l’immatriculation des navires à partir du XIXème siècle se rencontrent dans certains traités bilatéraux (souvent qualifiés « d’amitié et de commerce ») conclus entre les grandes puissances maritimes et des Etats de taille plus modeste et/ou récemment indépendants.

32 Le nombre des Etats est sujet à controverse, en particulier du fait de l’existence de différents régimes de tutelle

territoriale ambigus liés à l’essor du colonialisme européen (protectorats, d’Etats associés ou de dominions). Sur la

base de 25 Etats indépendants en Europe, 21 aux Amériques (non compris le Canada), 2 en Afrique, 5 en Asie et

aucun en Océanie, le nombre d’Etats indépendants dans le monde peut être estimé à 53 en 1914.

33 Voir en Annexes, l’Encadré n°4.

34 Règles qui imposent en substance l’existence d’un lien étroit – le droit de la mer parlera plus tard de lien effectif ou

substantiel (genuine link) – entre la nationalité des propriétaires, leur résidence et le pavillon, donc la nationalité des

On signalera les traités suivants conclus entre la Grande-Bretagne et la Colombie dès 1825, entre la Grande-Bretagne et la Bolivie en 1840, entre la France et le Sultanat de Mascate en 1844 35 ; entre la France et le Guatemala en 1848, la Sardaigne en 1851 et Santo-Domingo en 1852, et entre les Etats-Unis et le Congo en 1891.

Du point de vue des pavillons de libre immatriculation, ces traités présentent les caractéristiques communes suivantes :

- ils sont conclus entre un Etat ancien (et/ou puissant : les Etats-Unis, par exemple) et un Etat 36

nouvellement indépendant au XIXème (et/ou plus faible),

- bien que juridiquement égaux, les Etats en présence ne sont pas, en réalité traités comme tels, - partant de là, les traités en question organisent d’une part une reconnaissance réciproque du droit de chaque ressortissant d’un Etat contractant d’immatriculer ses navires sous le pavillon de l’autre Etat et, d’autre part, une clarification des règles fiscales et douanières. Néanmoins, de facto, l’inégalité soulignée ci-dessus prive de portée réelle cette réciprocité et permet aux navires de l’Etat ancien et/ou puissant de bénéficier d’un droit à immatriculer ses navires dans l’autre pays, la réciprocité n’étant que formelle.

Le point important est le suivant : en rendant possible la déconnexion entre la nationalité des propriétaires de navires, leur résidence et la nationalité (pavillon) des navires, ces traités offrent déjà avant la Première Guerre Mondiale un cadre souple d’immatriculation.

Toutefois, plus que la recherche d’économies dans les coûts d’exploitation, cet élément d’assouplissement du lien entre les navires et leurs propriétaires présente essentiellement l’intérêt d’atténuer le cloisonnement territorial en permettant aux Français, Britanniques et Nord-Américains de commercer avec les Etats d’accueil comme des nationaux de ces pays.

Pour les nations maritimes traditionnelles, un autre intérêt est de pouvoir recourir à des pavillons d’Etats que leur petite taille ou leur neutralité mettent à l’abri d’engagements politiques ou militaires internationaux.

35 Qui donnera lieu à un arbitrage célèbre entre la France et la Grande-Bretagne le 8 août 1905, confirmant en

substance qu’il appartient à chaque Etat souverain de déterminer à qui il accorde son pavillon et selon quelles règles,

dans le respect des droits souverains des autres Etats (« Considérant, qu’en général il appartient à tout Souverain de décider à

qui il accordera le droit d’arborer son pavillon et de fixer les règles auxquelles l’octroi de ce droit sera soumis, et considérant qu’en conséquence l’octroi du pavillon français à des sujets de Sa Hautesse le Sultan de Mascate ne constitue en soi aucune atteinte à l’indépendance du Sultan, etc. »).

36 Voire un « Etat » à statut particulier, comme l’Etat indépendant du Congo de 1885 à 1908, possession personnelle

Ce premier type d’aménagement aux règles d’immatriculation des navires préfigure certains des aspects et intérêts des pavillons de libre immatriculation à partir de la Première Guerre Mondiale et, plus encore, de la Seconde Guerre Mondiale.

ii. Les règles traditionnelles d’immatriculation assujettissent fortement le navire à un territoire national par le triple lien du lieu de construction du navire, de la nationalité de ses propriétaires et de celle de ses équipages 37. Parallèlement à la mise en œuvre d’aménagements « extra-territoriaux » par des traités d’amitié et de commerce qui permettent d’assouplir ces règles traditionnelles, le XIXème siècle voit se développer des aménagements « intra-territoriaux » : à partir d’un cadre juridique métropolitain ou impérial, les Etats colonisateurs créent dans leurs possessions d’outre-mer des registres secondaires pour couvrir des activités maritimes non métropolitaines.

Par exemple, la France, après avoir décidé d’étendre à tout son territoire, métropolitain et d’outre-mer, les règles de droit commun régissant la marine marchande et en particulier les règles d’immatriculation des navires et le statut des marins 38, abandonne cette assimilation législative et réglementaire. Elle revient à des régimes spéciaux 39 séparant nettement la législation métropolitaine de la législation coloniale, et entérinant une pratique développée pendant toute la seconde moitié du XIXème siècle. La rémanence de ces textes se manifeste durant tout le XXème siècle dans les territoires français d’outre-mer – non les Départements qui ont fait l’objet d’un processus d’assimilation législative à compter de 1946 –, notamment avec la loi du 15 décembre 1952 portant Code du travail dans les territoires d’outre-mer, qui sera, par exemple, un des supports juridiques du registre d’immatriculation des Terres Australes et Antarctiques Françaises. Ainsi, sous son pavillon national, la France a-t-elle reconnu une certaine autonomie aux navires exploités en mers lointaines – sous-entendu : qui ne revenaient jamais en France métropolitaine et n’étaient donc pas susceptibles de concurrencer les navires y étant exploités. Ces navires exploités en mers lointaines bénéficiaient d’un régime allégé au regard des contraintes habituelles du pavillon français. En particulier, l’équipage pouvait être composé de non-Français, la propriété n’obéissait pas non plus aux règles de nationalité ; quant aux règles classiques imposant la construction dans un chantier français, elles ne s’appliquaient pas et les règles de sécurité étaient minimales avant la première convention sur la sauvegarde de la vie humaine en mer conclue en réaction au naufrage du Titanic en 1912. Conçus pour faciliter une exploitation maritime locale

37 Comme par exemple, en France, le décret de la Convention nationale du 21 septembre 1793, appelé également

« Acte de Navigation ».

38 Décret du 3 mai 1848.

39 Concrétisés par un décret du 21 décembre 1911, considéré comme la « Charte » de la marine marchande aux

n’entrant pas en concurrence avec la navigation opérée à partir ou vers la France métropolitaine, ces registres préfigurent eux aussi les pavillons de libre immatriculation ou « registres bis » ou « internationaux » inventés plus tard (années 1980) par les Etats maritimes traditionnels pour limiter le flagging out.

Du côté britannique, une démarche d’adaptation des règles d’immatriculation est conduite au XIXème siècle. Le Royaume-Uni rénove ainsi la législation de son pavillon avec le Merchant

Shipping Act de 1894. L’importance de ce texte est double : par sa durée et son étendue

géographique. En effet, ce texte n’a été refondu qu’en 1995 et son champ d’application territorial