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Le rôle des représentations des langues en présence dans la construction des savoirs

LE PLURILINGUISME ET LA PRATIQUE SCRIPTURALE

3. Le rôle des représentations des langues en présence dans la construction des savoirs

Les réflexions sur les représentations qu'ont des apprenants sur les langues qu'ils parlent ou connaissent ont fait depuis plusieurs années un objet de recherche très intéressant. En effet, d’après ce que nous avons remarqué dans les classes de langues étrangères, ces représentations jouent un rôle très important dans la mesure où elles apportent un éclairage sur le rapport des apprenants aux langues avec lesquelles ils se trouvent en contact et à leur apprentissage,

C’est ce que Moscovici, cité par Amel Bellouche, tente d’éclairer en affirmant qu' :

"il n'y a pas de coupure entre l'univers extérieur et l'univers intérieur des individus"(2006. Non paginé).

En matière de langues étrangères, Giuseppe Manno souligne que :

" Les attitudes au sein d’une communauté entière perdurent et ne sont que rarement basées sur l’expérience personnelle, ce qui explique que les préjugés se développent si facilement"

(2004 :162).

Cela nous permet de constater que les représentations adoptées par l’apprenant sont en grande partie le résultat des données offertes par le milieu dans lequel il se trouve. Autrement dit, comme l’apprenant est considéré en tant qu’ acteur social qui vit dans un espace dans lequel il influence et il est influencé, non seulement les représentations propres à lui qui comptent, mais aussi la prise en considération du contexte familial (parents, frères, sœurs) et du contexte scolaire ( les décideurs, les enseignants) ainsi que les représentations qu’ils ont sur les langues en présence est nécessaire car ils (les

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la formation des représentations des apprenants et par conséquent sur la qualité des compétences à acquérir dans les langues concernées.

C’est ce que nous allons tenter d’expliciter dans les lignes qui suivent.

3.1. Les représentations liées au contexte familial

Comme nous l’avons déjà signalé, la famille est considérée non seulement comme le lieu du premier contact linguistique et de pratiques langagières, mais aussi le lieu de la naissance et de la maturation des représentations linguistiques chez ses membres conduisant à la mise en place des politiques linguistiques individuelles. Louise Dabène souligne que ces dernières sont régies par des facteurs liés aux statuts accordés aux langues en présence, aux fonctions qui leur sont attribuées, aux habitus communicatifs ainsi qu’aux rapports entre les individus et la culture de la langue cible (1998 :201-203).

A ce propos, Danièle Moore affirme que les familles peuvent opter soit pour des pratiques monolingues (la langue de l’un des parents) ou pour des pratiques bilingues ou plurilingues. Ainsi, elle affirme que :

"Pour beaucoup de familles migrantes qui sentent leur héritage linguistique menacé, le souhait des parents de protéger leurs langues les pousse à opter pour leur usage

préférentiel"(2006 :80). La même auteure ajoute que :

"Certains parents issus de la communauté punjabie en Angleterre ou au Canada adoptent […] l’usage de l’ourdou ou de l’hindi en famille, quand les parents sont locuteurs de langues comme la punjabi4ou le mirpuri5, langues dont la portée communicative est plus

restreinte"(Ibidem).

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Comme, dans la plupart des cas, les enfants se trouvent en contact direct plus avec leurs mères qu’avec leurs pères, ces enfants sont censés adopter la (les) langue (s) pratiquée (s) par les femmes. Cependant, une fois scolarisés, les enfants peuvent adopter de nouveaux comportements linguistiques à savoir la politique linguistique adoptée au sein de l’école.

3.2. Les représentations liées au contexte scolaire

Une fois scolarisé, l’enfant va rencontrer un autre monde qui a sa propre façon de réfléchir et de concevoir la question de l’enseignement/apprentissage des langues et qui peut influencer positivement ou négativement sur la manière d’accéder à l’ensemble des savoirs langagiers de la part de cet enfant. La politique linguistique adoptée au sein de l’école semble alors être le seul facteur qui conditionne la stabilité ou non des représentations que les apprenants ont construites une fois à la maison. Cette politique linguistique se manifeste à travers le contenu de l’apprentissage (contenu linguistique, sociolinguistique et culturel), sa forme (la présence de telle ou telle langue du répertoire plurilingue6 des apprenants et la démarche selon laquelle est enseignée) et les différentes valeurs attribuées à cet enseignement/apprentissage des langues (F. Leconte et Clara Mortamet, 2005 :24-25).

A titre d’exemple, Michel Candelier, Gina Loannitou, Danielle Omer et all expliquent que les résultats d’une étude menée par les ethnopsychologues auprès des enfants migrants montrent les préjudices liés à l’absence de prise en compte des langues d’origine dans l’espace scolaire. En effet, ces enfants se sentent le plus souvent menacés dans leur identité parce que l’école leur demande d’oublier leurs origines, y compris leur LO (langue d’origine) et

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d’adopter la culture et la langue de l’environnement accueillant. La coupure que ces élèves ont établie entre leur propre univers et l’univers extérieur constitue pour eux un obstacle devant la réussite scolaire (2008:160).

D’après les mêmes auteurs, dans le cas où l’institution et les pratiques de classe, qui se basent sur un enseignement monolingue, autrement dit, lorsque l’idée du plurilinguisme et des savoirs déjà acquis n’est pas encore valorisée au sein des classes de langue, ne reconnaissent pas la richesse du répertoire linguistique7 et culturel des élèves nouvellement arrivés dans un pays d’accueil où la langue de scolarisation est autre que celle parlée dans la famille, cela pose pour eux des problèmes Les langues sont alors considérées comme dissociées l’une de l’autre et le fait de ne pas faire recours à la langue de l’école une fois à la maison est perçu comme un handicap. C’est ce que constate Clerc, cité par Michel Candelier, Gina Loannitou, Danielle Omer et all, en affirmant que :

"pour les élèves, le problème c’est d’acquérir le français lorsqu’au domicile leur langue maternelle est utilisée quotidiennement. Ou au collège, ces élèves se regroupent et parlent

entre eux sans utiliser le français. Dans ce cas là, le bilinguisme n'est pas un atout pour eux"(Ibid.:159).

D’un autre côté, les travaux réalisés par F. Leconte et Clara Mortamet sur des élèves amérindiens scolarisés en Guyane française ont pu montrer, lors d'observations faîtes en classe, que le fait de ne pas arriver à maîtriser les normes d'interactions et de comportements qui sont en vigueur dans l'institution scolaire par ces apprenants amérindiens les a conduits à rencontrer des difficultés dans la réception des activités scolaires. En effet, 7Répertoire linguistique : appelé aussi répertoire verbal, désigne « l’ensemble des ressources

langagières pouvant être mises en œuvre par un locuteur pour participer à la communication en fonction des situations dans lesquelles il peut être inscrit. Ce répertoire est organisé non par l’addition mais par la combinaison des différentes langues et variétés disponibles » (Véronique Castellotti,

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ceux- ci, qui avaient l'habitude d'apprendre beaucoup par imitation dans des relations duelles entre l'enfant et l'adulte, se trouvent subitement confrontés à des situations où ils sont appelés à participer à des activités dans lesquelles c'est le discours qui doit régner et considéré comme moyen d'apprentissage et

non pas l'imitation (2005:25).

En outre, Giuseppe Manno souligne que dans le cas où l'enseignement d'une langue cible donnée est jugé peu attrayant et inefficace et qu'il est bien loin de correspondre aux exigences communicatives et aux attentes des apprenants, cela peut être à l'origine des attitudes négatives adoptées par les apprenants, d’où le sentiment d'échec dans les classes (2004:169).

3.3. Les représentations des apprenants

En se basant sur les représentations développées au sein de la famille et de l'école, et selon ses convictions, l'apprenant finit par prendre des décisions quant aux fonctions, statuts et valeurs qu'il donne aux langues qui composent son répertoire plurilingue.

Il peut juger, par exemple, la langue de l'école difficile à apprendre, au détriment d'une autre langue (maternelle ou non) qui la trouve, au contraire, facile et belle. Comme le souligne toujours Giuseppe Manno, c'est le cas du français dans la Suisse alémanique. En effet, à travers une enquête menée à propos de l'anglais précoce dans une classe de 6eannée à Stein am Rhein, une jeune fille affirme le suivant : " Je déteste le français". Aussi, le père Wagner déclare au nom de sa fille son attitude envers l'anglais en tant que première langue étrangère: " La petite a appris avec tant de facilité que c'était un

plaisir" et " elle comprend déjà bien la langue" (Ibid.:160).

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de la famille ou à l’école constituent l’un des facteurs très importants qui les conduisent soit à la réussite, soit à l’échec, tout dépend de ces représentations qui peuvent être positives ou négatives.