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b. Le rôle des particules d’aérosol dans le changement climatique

Pollution et qualité de l’air

On peut définir la pollution de l’air comme étant une situation dans laquelle des gaz et des particules de sources anthropiques sont émis en quantités telles qu’ils causent des dommages sur les plantes, les animaux ou toute autre forme de vie, les écosystèmes ou bien encore les constructions (Jacobson, 2002). Toutefois, la pollution de l’air n’est, en réalité, pas une problématique moderne. Il existe en effet différents exemples remontant jusqu’à l’Antiquité qui démontrent de la préoccupation des populations face à des situations inconfortables (Jacobson, 2002; Stern, 1968). Au douzième siècle, Maimonides écrivait : « comparer l’air des villes à l’air des déserts revient à comparer des eaux sales et boueuses à des eaux claires et pures ». Ainsi, historiquement, il semblerait que jusque dans les années 1980, les effets de la pollution aient été principalement observés à travers son impact sur la visibilité, sur la santé humaine et sur l’acidification des eaux et des sols. Ce n’est qu’à partir des années 1990 qu’aurait été introduite la notion de qualité de l’air, liée à une mesure de la concentration des polluants gazeux et des particules.

Différentes politiques de réduction de la pollution ont été conduites à l’échelle nationale durant les dernières années et ont permis la diminution de la concentration de multiples composés. En France, les émissions de SO2 ont baissé de 85% et celles des oxydes d’azote (NOx) de 39% depuis les années 1980. Depuis les années 1990, les émissions de COV ont baissé de plus de 40%, la concentration des particules en suspension dans l’air (toutes tailles confondues) de 8%, et la réglementation sur l’essence a fait diminuer les

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concentrations en plomb de plus de 96% (données CITEPA). Aux Etats Unis, les travaux de Xing et al. (2013) rapportent également une baisse des émissions de SO2 (67%), NOx (48%) ainsi que des particules de diamètre inférieur à 10 et 2.5 µm (PM10 et PM2.5) (50 et 34%, respectivement). A Pékin, les efforts fournis pour réduire les émissions primaires à l’occasion des Jeux Olympiques d’Août 2008 ont permis de diminuer de 41 et 35% les concentrations totales en particules (en nombre et en volume, respectivement) par rapport aux mois d’Août de la période 2004 – 2007 (Wang et al., 2013b).

Toutefois, au-delà des politiques de réduction de la pollution menées individuellement par les états, il semble aujourd’hui nécessaire de mettre en place des politiques communes afin de prendre en compte le transport des polluants, qu’ils soient gazeux ou particulaires. Cette problématique est connue sous l’abréviation anglophone ITAP (Intercontinental Transport of Atmospheric Pollution) et a fait l’objet de travaux récents. L’ITAP joue un rôle plus prononcé dans l’hémisphère nord qui compte trois centres industriels majeurs que sont l’Europe, l’Amérique du nord et l’Asie de l’est. L’ITAP a des conséquences non négligeables, en particulier sur la santé : en effet, le transport de particules fines serait à l’origine de 90 000 décès en 2000. De nombreuses études portent sur le transport de polluants depuis l’Asie de l’est, actuellement en plein essor économique. En particulier, on estime qu’en Amérique du nord, la pollution en particules fine provenant du continent asiatique est équivalente à 15% des émissions locales et que le transport de BC contribue à 75% des concentrations observées (Hadley et al., 2007 ; Yu et al., 2008). De manière générale, les émissions d’Asie de l’est participent à l’augmentation de la concentration de nombreux polluants à l’échelle globale, et le rôle de l’ITAP depuis cette région devrait prendre de l’ampleur dans le futur (Glotfelty et al., 2013). Cette situation est particulièrement représentative des conflits qui peuvent exister entre les développements économiques et démographiques d’un côté, et la régulation de la qualité de l’air d’un autre côté. Elle démontre également de la nécessité de produire des efforts communs, sous peine de rendre obsolètes les politiques locales.

Qualité de l’air et changement climatique

La préoccupation liée au changement climatique serait, elle, liée à une prise de conscience récente (années 1990) des conséquences irréversibles de l’activité anthropique sur le climat. Quelques auteurs avaient évoqué le réchauffement climatique durant les siècles passés, à l’image de Svante Arrhenius (1896) mais la véritable expression « global warming » ne serait née qu’en 1975 de la bouche de Wallace Broecker. Cette prise de conscience est matérialisée en particulier par la création du GIEC à l’initiative du G7 en 1988, dont la mission principale est d’étudier les principes physiques du changement climatique, ses conséquences et les moyens pour l’atténuer. Pour ce faire, la qualité de l’air et le changement climatique sont traités comme une problématique unique.

La principale constatation qui émane des travaux conduits par le GIEC est qu’il existe naturellement des variations climatiques mais que celles-ci sont largement amplifiées par les activités anthropiques, causant un dérèglement du système climatique et la multiplication d’évènements extrêmes (ex : Champion et al., 2011). Les manifestations actuelles du changement climatique sur les différentes composantes du système climatique sont décrites

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dans le dernier rapport du GIEC (2013). Ce document affirme que la température de surface du globe a subi une augmentation de 0.85°C [0.65 – 1.06] entre 1880 et 2012 et que la période 1983 – 2012 a été la plus chaude observée depuis 1400 ans. Durant la période 1901 – 2010, on a constaté une augmentation de 0.19 m [0.17 – 0.21] du niveau moyen de la mer, résultant à la fois de la dilatation des océans et de la fonte des glaces. Depuis l’ère préindustrielle (1750), l’augmentation de la concentration en dioxyde de carbone (CO2) est de l’ordre de 40% et les concentrations actuelles n’ont jamais été obtenues durant les 800 000 dernières années. Dans le même temps, l’océan a absorbé 30% du CO2 d’origine anthropique, subissant en conséquence une acidification. Aujourd’hui, le CO2 est désigné avec certitude comme étant le principal responsable du réchauffement climatique (+1.68 Wm-2 [1.33 2.03], Figure 2-4) mais afin d’endiguer le processus, il semble nécessaire aujourd’hui de limiter les émissions de tous les GES (Figure 2-4).

Dans les années à venir, on prévoit une augmentation persistante des températures de surface, et qui pourrait progressivement gagner la profondeur des océans, modifiant ainsi la circulation océanique. Les modifications du cycle de l’eau et du carbone devraient, elles aussi, s’amplifier, avec des conséquences hétérogènes sur les précipitations et une augmentation accrue de l’acidification des océans.

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ii. Particules et climat : des interactions complexes

Impact radiatif direct

Au-delà de l’impact qu’elle a sur notre visibilité, l’interaction entre la lumière solaire et les particules d’aérosol affecte la quantité d’énergie qui arrive à la surface du globe. A l’échelle de l’atmosphère, les particules absorbent et diffusent le rayonnement solaire incident et absorbent le rayonnement infra-rouge sortant, en contraste avec les GES qui n’influencent que le rayonnement sortant. En milieu urbain, les particules riches en sulfates issues de l’activité humaine diffusent le rayonnement solaire incident et peuvent conduire à des baisses de température significatives à échelles locale et régionale. Au contraire, les particules riches en BC issues des processus de combustion, de par leurs propriétés absorbantes, tendent à un réchauffement de l’atmosphère. Ce premier effet des particules d’aérosol est connu sous le nom d’impact radiatif direct, et a été mis en avant pour la première fois par Charlson et al., (1991, 1992). De par les effets contradictoires observés en fonction de la composition des particules, il est difficile de quantifier la contribution de cet impact dans le bilan radiatif terrestre : à l’échelle globale, il est assorti d’un effet de refroidissement de l’atmosphère, mais dont l’intensité est entachée d’une incertitude importante (-0.27 Wm-2 [-0.77 0.23], Figure 2-4).

Il semble dans tous les cas illusoire d’envisager une compensation du réchauffement lié au GES par l’impact radiatif direct des particules d’aérosol. En effet, si les GES sont répartis uniformément dans l’atmosphère, ça n’est pas le cas des particules qui présentent de fortes hétérogénéités à la fois spatiales et temporelles (ex : sulfates présents en milieu urbain à proximité des sources, aérosols de combustion essentiellement produit par feux de biomasse durant la saison sèche). De plus, les GES opèrent jour et nuit alors que la diffusion du rayonnement solaire par les particules d’aérosol n’a, par définition, lieu que le jour.

Impact radiatif indirect

A cet impact radiatif direct s’ajoutent des effets dits indirects liés au rôle de CCN joué par certaines particules. Ces effets reposent sur le principe simple selon lequel une augmentation de la concentration en particules entraine une augmentation du nombre de CCN. Pour un contenu en eau constant, les nuages ainsi formés comportent plus de gouttelettes, mais dont la taille est diminuée, et ont donc un pouvoir réfléchissant (albedo) plus élevé, conduisant à un refroidissement de l’atmosphère. Ce premier effet indirect a été mis en avant par Twomey en 1977. De plus, si la taille des gouttelettes est modifiée, alors la capacité du nuage à précipiter, et donc son temps de vie, sont affectés. La découverte de ce second effet indirect est due à Albrecht (1989). Depuis, de nombreuses études ont rapporté l’impact du nombre de particules sur la taille des gouttelettes de nuage et sur les schémas de précipitation (Rosenfeld et al., 2008). Ces deux effets indirects sont, tout comme l’effet direct, globalement associés à un refroidissement de l’atmosphère, mais le forçage radiatif qui leur correspond est le forçage entaché de l’incertitude la plus élevée (-0.55 Wm-2 [-1.33 -0.06], Figure 2-4).

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Rétroactions : toujours plus de complexité !

Le rôle des aérosols dans le changement climatique reste donc aujourd’hui difficile à quantifier, et la complexité des interactions entre les particules et le climat est encore accrue par l’existence de rétroactions. L’objectif ici n’est pas de toutes les mentionner mais plutôt de donner un aperçu, à partir d’un exemple, de la difficulté à élaborer des modèles climatiques prenant en compte des effets qui se complètent ou s’opposent. L’exemple choisi décrit une rétroaction qui concerne la FNP, sujet central de ce manuscrit.

L’élévation de la température de surface du globe associée au réchauffement climatique s’accompagne d’une augmentation des émissions de COV biogéniques (BCOV) et de DMS. Il est attendu que l’intensification de ces émissions, en favorisant le processus de nucléation, conduise à une augmentation de la concentration en particules. Par conséquent on devrait assister à une augmentation du nombre de CCN, donc de la réflectivité des nuages et, à terme, à un refroidissement de l’atmosphère. C’est pourquoi la rétroaction associée aux BCOV et au DMS est dite négative (elle s’oppose à la perturbation originale). Toutefois, cette première approche semble être incomplète car une régulation future du climat ne peut être basée seulement sur les émissions naturelles et doit prendre en compte l’évolution des émissions anthropiques.

Dans le cadre de leurs travaux de modélisation, Makkonen et al. (2012) considère conjointement l’évolution de paramètres anthropiques et biogéniques pour évaluer le forçage radiatif associé aux particules d’aérosol (Figure 2-5). Actuellement, ce forçage radiatif est largement contrôlé par la FNP. La mise en place de politiques de réduction drastique des émissions de SO2 devrait, en limitant le déroulement de la nucléation, participer à la

Figure 2-5 Impacts conjoints 1) des politiques de réduction des émissions de particules et de SO2 et 2) de l’augmentation des concentrations en BCOV et DMS due au réchauffement climatique sur le forçage total lié aux particules d’aérosol.

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diminution des concentrations en particules, et donc en CCN. L’intensification des émissions de BCOV et de DMS prévue dans le même temps ne devrait pas parvenir à inverser cette tendance. On s’attend ainsi, d’ici 2100, à observer une très forte atténuation de l’effet de refroidissement des particules, dont les concentrations devraient être proches de celles de l’ère préindustrielle. Les travaux récents de Ahlm et al. (2013) réalisent une projection à plus court terme (2030) focalisée sur l’Europe et rapportent des conclusions similaires : le nombre total de particules devrait diminuer de 30 à 70% entre 2008 et 2030 (réduction de la nucléation liée à la réduction de SO2) et le nombre de particules supérieures à 100 nm, indicateur du nombre de CCN, de 40 à 70% (à la fois moins de croissance par condensation et réduction des émissions primaires). Si les auteurs soulignent les bénéfices d’une pollution diminuée pour notre santé, ils insistent également sur une potentielle disparition de l’impact radiatif négatif associé aux particules d’aérosol, et en particulier sur l’amplification du réchauffement du climat qui s’en suivrait (Andreae et al., 2005).

Eléments de théorie sur la formation de nouvelles particules dans