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b. Différentes approches théoriques

En l’absence de surface préexistante, la formation d’une nouvelle phase survient grâce aux fluctuations aléatoires de la densité de vapeur, conduisant à la formation d’ embryons qui peuvent grossir ou se désintégrer par gain ou perte de molécules. La formation des embryons peut être décrite simplement par un processus cinétique réversible en étapes : ... 1 1 , 1 1 , 1

...

   i i i

C C

C

i k i A i k i k i A i k 2-2

Ai1représente un monomère qui vient grossir l’embryon

C

i1 à l’étape i-1 et

k

iet

k

i

représentent les constantes de dissociation et de formation de l’embryon, respectivement. Une théorie complète de la nucléation, incluant les mécanismes et les taux de croissance et de désintégration des embryons, peut être établie pour décrire l’évolution de la population en embryons. En fonction des hypothèses et des approximations retenues, il existe trois grands types d’approche théorique qui ont été développées pour expliquer la nucléation. Les théories phénoménologiques, à l’image de la théorie classique de la nucléation, proposent de

Taille

de l’embryon

ΔG

Taille critique ~ 1,5nm

CROISSANCE SPONTANEE

NUCLEATION

= formation d’un embryon stable

Figure 2-6 Variation de l’énergie libre ΔG associée à la formation d’un embryon en fonction du diamètre de l’embryon.

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calculer l’énergie libre de formation de l’embryon critique à partir de propriétés macroscopiques, telles que la tension de surface et la densité du liquide. Les théories cinétiques proposent d’obtenir la distribution en embryons ainsi que le taux de nucléation par le calcul de constantes de réactions liées à la croissance et à la décomposition des embryons en excluant toute évaluation d’énergie libre de formation à partir de propriétés macroscopiques. Enfin, il existe des approches à l’échelle moléculaire à l’image de la dynamique moléculaire, la simulation Monte Carlo et la DFT (Density Functional Theory) qui se proposent de déterminer la structure de l’embryon ainsi que son énergie libre de formation. La suite de ce paragraphe décrit complètement la théorie classique et apporte quelques éléments sur les autres théories citées.

i. La théorie classique de la nucléation (CNT)

La théorie classique de la nucléation (CNT) a été formulée à l’origine par Becker and Döring (1935) et Frenkel (1939). L’approche phénoménologique de cette théorie décrit le processus de nucléation en termes de changement d’énergie libre d’un système lié au transfert de molécules gazeuses vers un embryon i-mère de rayon r, comme illustré sur la Figure 2-6. Cette variation d’énergie libre ΔG est exprimée par l’équation suivante :

S

ikT

r

G4

2

 ln

  

2-3

S(T)P

A

/P

A,sat

(T)

représente la sursaturation de l’espèce A, PAétant la pression de vapeur de l’espèce A dans la phase gaz et

P

A,sat

(T)

la pression de vapeur saturante de l’espèce A à la température

T

,  représente la tension de surface et la constante de Boltzmann. L’équation 2-3 est une forme de l’équation de Kelvin qui décrit l’augmentation de la pression de vapeur saturante d’une espèce au-dessus d’une surface sphérique par rapport à une surface plane. Bien que l’embryon ne contienne qu’un nombre restreint de molécules, la CNT fait l’hypothèse qu’il possède une enveloppe bien définie et qu’il présente les mêmes propriétés physiques et chimiques que l’ensemble macroscopique.

Il apparait ainsi, d’après l’équation 2-3 que la variation d’énergie libre qui accompagne la formation d’un i–mère contient deux termes. Le premier terme correspond à l’énergie associée à la formation de la surface du i–mère de rayon de courbure r et de tension de surface  : ce terme est toujours positif car la formation d’une nouvelle surface nécessite un apport d’énergie. Le second terme correspond au changement de phase et dépend de la sursaturation. Si S<1 (vapeur sous saturée), les deux termes du second membre de l’équation 2-3 sont positifs et la variation d’énergie associée à la formation de l’embryon augmente avec le rayon. Par contre, si S>1 (vapeur sursaturée), la contribution du premier terme reste positive mais celle du second terme devient négative. Pour les petites valeurs de r, le premier terme (~r2) domine et le comportement de ΔG est similaire au cas où S<1. Lorsque augmente, c’est le second terme (~r3) qui domine ; ΔG atteint alors un maximum ΔG* pour r = r* (i* molécules) et décroit ensuite. Le i*-mère est alors en équilibre métastable avec la vapeur, au sommet de la courbe d’énergie : si une molécule supplémentaire vient s’attacher à lui alors il franchit ce maximum d’énergie et grossit spontanément ; au contraire, si une molécule s’évapore alors l’embryon ne parvient pas à franchir la barrière d’énergie et s’évapore. C’est par définition le franchissement de la barrière d’énergie ΔG* et le passage de

i

k

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la taille critique r* qui constituent le processus de nucléation. Les valeurs de ΔG* et r* sont obtenues en annulant la dérivée partielle de ΔG par rapport à r:

S

kT

v

r

m

ln

2

*

2-4 2 * *

3

4

r

G

2-5

v

mreprésente le volume d’une molécule. On définit le taux de nucléation comme étant le nombre d’embryons qui franchissent la barrière d’énergie par unité de volume et de temps. Une augmentation de la sursaturation permet d’abaisser le rayon critique et la barrière d’énergie, conduisant à un taux de nucléation plus élevé.

La théorie classique a pour la première fois été appliquée à la nucléation homogène binaire par Flood (1934). La variation d’énergie associée à la formation d’un embryon critique à partir de deux vapeurs différentes dépend de la concentration de ces deux vapeurs. L’embryon critique correspond au plus petit embryon pour lequel la croissance par l’ajout d’une molécule de l’une ou l’autre des vapeurs est un processus spontané.

Le principal avantage de la théorie classique réside dans sa simplicité, car elle utilise des propriétés macroscopiques déjà disponibles pour de nombreuses substances. Toutefois, si la théorie classique permet assez bien d’estimer les sursaturations critiques, elle parvient mal à restituer les taux de nucléation, pour lesquels on observe des différences de plusieurs ordres de grandeur avec les taux mesurés. En particulier, les taux de nucléation sont sous-estimés à faible température et sursous-estimés à haute température (Hung et al., 1989). Ce sont les hypothèses qui sont utilisées à la base de cette théorie (embryon assimilé à une gouttelette sphérique, enveloppe bien définie, propriétés similaires à celles de la phase macroscopique) qui sont principalement responsables des différences observées (Merikanto et al., 2007b). En effet, il semble peu probable que les propriétés (en particulier la tension de surface) d’un embryon contenant quelques molécules soient assimilables à celles de la même substance à l’échelle macroscopique. L’adéquation entre l’expérience et la théorie classique peut être améliorée en utilisant des énergies libres pour les embryons obtenues à partir de calculs quantiques (Du et al., 2009).

ii. Les théories cinétiques

Il existe de nombreuses théories cinétiques qui se proposent de calculer le taux de nucléation à partir des constantes de formation et de décomposition des embryons sans faire appel aux énergies de formation et aux tensions de surface. Deux exemples de méthode sont rapidement présentés ici.

La méthode de Ruckenstein (1991) est basée sur le calcul des taux de formation et de décomposition indépendamment par la résolution de l’équation de Smoluchowski, qui décrit le mouvement d’une molécule de gaz dans un potentiel à proximité de l’embryon. La théorie de nucléation dynamique, due à Kathmann (2006, 2009), traite la nucléation de la vapeur comme une suite de collisions binaires entre une molécule de gaz et l’embryon.

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Dans les deux cas, le calcul du taux de nucléation fait appel à une prise en compte explicite des interactions entre les molécules impliquées afin d’obtenir les paramètres permettant de résoudre les équations cinétiques décrivant l’évolution de l’embryon. Les énergies d’interaction utilisées sont dérivées de potentiels analytiques ou bien obtenues à partir de calculs de structures électroniques ab initio.

iii. Méthode de Monte Carlo et dynamique moléculaire

La méthode de Monte Carlo est une méthode stochastique qui simule l’évolution d’un ensemble de molécules en étudiant une molécule à la fois, acceptant ou rejetant les configurations adoptées par celle-ci suivant des critères prédéfinis. La dynamique moléculaire utilise quant à elle les lois de Newton pour simuler explicitement les trajectoires des molécules de gaz subissant le changement de phase. Ces trajectoires sont déterminées par des positions initiales et des moments moléculaires imposés ainsi que par les potentiels intermoléculaires. La présence d’un embryon dans la nouvelle phase est par exemple détectée grâce à la densité moléculaire, le nombre de liaisons par molécules ou encore le potentiel chimique des molécules dans la nouvelle phase.

Ces deux méthodes nécessitent la connaissance d’un potentiel intermoléculaire réaliste. Le potentiel de Lennard – Jones est le plus communément utilisé mais il ne convient pas aux molécules impliquées dans la nucléation. D’autres potentiels plus évolués ont donc été développés, comme les TIP (Transferable Intermolecular Potentials, ex : Jorgensen et al., 1983). Toutefois, si ces potentiels permettent bien de retrouver la dépendance en température du taux de nucléation observée expérimentalement, ils ne parviennent pas à restituer les valeurs attendues des taux de nucléation (Merikanto et al., 2004).

iv. Density Functional Theory (DFT)

Cette théorie assimile les précurseurs gazeux à un fluide inhomogène. L’interface entre l’embryon et la phase initiale a une épaisseur finie et est caractérisée par un profil de densité. Toutefois, contrairement à la CNT, la densité au centre de l’embryon n’est pas contrainte à être égale à celle de la phase macroscopique. A l’interface, le profil de densité est tel que les propriétés de la vapeur sont retrouvées lorsque l’on s’éloigne de l’embryon. Contrairement à la dynamique moléculaire qui étudie les interactions de toutes les molécules du système, la DFT se contente d’analyser les interactions entre une molécule donnée et le potentiel moyen crée par le reste des molécules. Ainsi, la DFT se place à une échelle macroscopique dans le sens où elle utilise une distribution de densité moyenne plutôt que les coordonnées atomiques des précurseurs mais elle considère des effets qui sont caractéristiques de l’échelle moléculaire. La DFT permet le traitement de systèmes complexes pertinents dans l’étude de la nucléation atmosphérique.