Le rôle de la pédagogie par projet sur les identités professionnelles

l’intention dans notre modélisation, le simple énoncé « pédagogie par projet » ne suffit plus pour satisfaire notre curiosité. Après avoir exposé les deux types de projets suivis par les élèves (5.2.1.1), nous étudions en détail l’effet des projets sur différentes identités professionnelles des élèves (5.2.1.2).

5.2.1.1 Deux types de projets : les projets d’innovation classiques et les projets

entrepreneuriaux

Les élèves dans nos échantillons ont suivi deux types de projets pendant leur cursus : les projets d’innovation classiques et les projets entrepreneuriaux. Les différences et les liens entre ces projets sont maintenant présentés.

a. Les projets d’innovation classiques

Les projets d’innovation classiques sont centrés sur l’innovation technologique (mise au point d’un démonstrateur innovant), sans prendre en charge les dimensions marketing et la perspective de mise sur le marché. Ces projets sont réalisés pendant les deux premières années du curriculum et sont spécialement conçus pour apprendre différentes technologies ainsi que les méthodes de management de projet. Les élèves travaillent le plus souvent pour un partenaire professionnel (entreprise ou laboratoire de recherche) qui – le plus souvent - donne l’idée innovante au départ et oriente le travail tout au long de l’avancée des élèves. Ils sont aidés par les enseignants qui jouent le rôle de consultants experts sur le plan technique. b. Les projets entrepreneuriaux

Les projets entrepreneuriaux ont pour finalité d’apporter un nouveau produit (ou service) sur le marché. La plupart de ces projets sont réalisés en dernière année de curriculum et focalisés sur la création d’entreprise. Il peut arriver que les projets classiques dans les deux premières années se transforment en projets entrepreneuriaux, si l'équipe de projet est suffisamment motivée par la création de valeur sur le marché et prend l'initiative dès le départ. C’est quelquefois le cas, lorsque les élèves ont eux-mêmes l’idée de départ du produit innovant à concevoir et trouvent les financements par eux-mêmes en sollicitant un client potentiel ou des bourses à l’innovation.

Ces deux types de projets, conçus pour différentes finalités et conduits de différentes manières, ont probablement des effets différents sur les élèves qui les ont suivis. Nous allons étudier l’impact de chacun sur la formation des identités professionnelles des élèves, et enfin les comparer.

5.1.1.2 L’effet des projets sur différentes identités professionnelles

Avant d’entrer dans l’analyse, nous rappelons que les questions sur les projets qui ont été mesurées dans nos questionnaires ne concernent que les projets d’innovation classiques qui se déroulent pendant les deux premières années dans le tronc commun. Tous les élèves doivent s’investir dans ces projets. Leurs effets sur différentes identités professionnelles sont donc comparables. Les entretiens semi-directifs avec les élèves ingénieurs en dernière année vont clarifier le sens que les élèves donnent aux projets d’innovation classiques et aux projets entrepreneuriaux, l’effet de ces deux types de projets sur différentes identités professionnelles des élèves.

Nous réintroduisons ici la variable définie dans le chapitre 4 : le profil professionnel « v_profil » afin de distribuer à chaque élève une valeur qui représente son identité professionnelle. Cette valeur a été calculée pour chaque élève avec leurs réponses en dernière année, dans l’échantillon des élèves ingénieurs de la promotion 2008 de l’Ecole Centrale de Lille.

Les questions concernant les activités projets dans nos questionnaires sont d’abord extraites, et passent ensuite au test de Fisher afin de garder les questions qui distinguent les différents profils les uns des autres selon leurs attitudes et comportements relatifs aux projets. Les questions dont le khi² de Fisher (p<0,05) sont recodées et regroupées en six thèmes dans le tableau 25, y compris leur valeur moyenne pour chaque profil. Ces six thèmes retenus sont : l’attitude envers les projets, la prise d’initiative, l’attitude envers la prise de responsabilités, le sentiment de compétences relatives aux projets, l’investissement dans les projets et l’influence sur le projet professionnel. Les tests post hoc ont permis de tester quelles sont les différences significatives entre les profils.

Tableau 25 Catégories des questions concernant les projets Thème Questions v_profil Indécis ^Ingénieur technique Manager de projet Entre-preneur Attitude envers les projets

J’aime apprendre par les projets en

équipe 3,02 3,38 3,38 3,46

L'idée de travailler seul sur un projet me

rend anxieux 2,56 2,62 2,57 3,16

Prise d’initiative

Si je sens qu'il y a un problème dans l'équipe dans laquelle je travaille, je préfère laisser les autres le soulever plutôt que de risquer des conflits

2,94 3,08 3,32 3,42

Attitude envers la prise de responsabilités

Questions qui constituent l’échelle de l’attitude envers la prise de responsabilités (voir section 3.2.5.3)

2,79 2,95 3,44 3,6

Sentiment de compétences relatives aux

projets

Je me sens capable de prendre en charge seul(e) la résolution d'un problème techniquement difficile

2,44 2,87 2,59 2,88

Lors de la résolution de problèmes un peu ardus, j'ai souvent du mal à faire face à la complexité des paramètres en jeu

2,59 2,56 2,73 2,84

Dans un travail en équipe, je me sens

capable d'organiser le travail de l'équipe 2,93 3,01 3,41 3,51 Investissement ^{Sur le projet, je ne me suis pas investi(e)}

"à fond" 2,49 2,91 2,71 3,22

Influence ^{A quel point mon projet G1G2 a-t-il}

influencé mon projet professionnel 1,67 2 2,18 2,63 P < 0,05 pour les chiffres en gras

Les résultats montrent que tous les profils aiment apprendre par les projets, mais ils font clairement apparaître des attitudes et comportements en projets spécifiques à chaque profil, notamment pour le profil « Manager de projet » et encore plus fortement pour le profil « Entrepreneur », par opposition aux deux autres profils (ingénieur technique et profil indécis).

En situation de projet d’innovation classique en équipe, les élèves du profil manager de projets et du profil entrepreneur ont tous une tendance à prendre le leadership et des responsabilités. Cette tendance est encore plus forte pour les entrepreneurs. Ce qui se traduit concrètement par le fait de ne pas laisser les autres décider à leur place, d’organiser le travail du groupe, de réguler les conflits. De plus, les « managers » et les « entrepreneurs » ont un sentiment de compétence supérieur lorsqu’il s’agit d’organiser le travail en équipe ou de faire face à un problème complexe. La seule question sur laquelle les « ingénieurs techniques »

rejoignent les « entrepreneurs », à l’opposé des « managers » est la résolution de problèmes techniquement difficiles.

Si tous les profils apprécient la pédagogie de projet, de fait, seuls les « entrepreneurs » s’y investissent à fond, au point que cela a une influence beaucoup plus nette sur leurs projections professionnelles que pour les autres profils. L’anxiété vis-à-vis de la perspective de prendre seul en charge un projet pourrait être liée à un projet de création réel à la sortie de l’école.

Comme l’influence des projets et des associations est souvent mentionnée et comparée dans le discours des élèves interrogés, nous allons exposer les résultats de l’analyse du questionnaire (issus de la section 5.1.2) avant de relever et comparer le rôle de ces deux facteurs dans la formation de différentes identités professionnelles.