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Chapitre 2 - Etat de l’art sur les facteurs qui influencent les trajectoires de l’intention

2.1 Les facteurs socioculturels : des influences bien étudiées mais controversées sur

Dans le contexte de notre recherche, les élèves ingénieurs sont entourés par plusieurs niveaux d’« atmosphères » qui sont considérées avoir une influence sur leur intention. Nous distinguons ici trois niveaux d’entourages : la famille, les amis et la société en général. Ils ont différents impacts sur l’intention des élèves au travers des facteurs socioculturels. Dans cette section, nous discutons l’effet du modèle de rôle familial (2.1.1), des normes sociales (2.1.2) et des représentations sociales (2.1.3) sur l’intention des élèves.

2.1.1 Le modèle de rôle et l’influence de la famille, un rôle réel mais

faiblement prédicteur de l’intention

a. L‘influence du modèle de rôle : le processus d’identification

Un modèle de rôle peut favoriser une identification en termes de « soi idéal » ou susciter plutôt une identification en termes de « soi obligatoire ». Le concept de soi est un schéma ou une structure mentale qui organise de manière cohérente les perceptions et les croyances de l’individu à propos de lui-même (Markus, 1977). Selon Higgins (1987), il serait structuré en trois unités distinctes : le « soi actuel », qui serait constitué des caractéristiques personnelles que l’individu s’attribue de manière constante ; le « soi idéal », qui serait une représentation des caractéristiques personnelles que l’individu aimerait acquérir ; et le « soi obligatoire », qui consiste en les caractéristiques personnelles que l’individu pense devoir incarner pour des raisons d’ordre moral, ou pour répondre à des attentes familiales ou sociales. Le « soi idéal » et le « soi obligatoire » fonctionnent comme des guides très influents pour le « soi actuel », ils orientent le développement personnel de l’individu tout au long de la vie et exercent ainsi un impact considérable sur les choix professionnels.

b. L’influence du modèle de rôle : le rôle de la famille et des amis

Selon la littérature, il est clair que le modèle de rôle entrepreneurial dans l’entourage de l’individu a un effet sur l’intention et le choix de carrière entrepreneuriale, mais

l’importance de l’effet du modèle de rôle parental varie selon des auteurs ; il est donc encore discutable.

Selon Bandura (1982), l'influence des modèles de rôle se produit principalement par la maîtrise d'expériences, l'apprentissage par observation et la persuasion. En entrepreneuriat, il est généralement accepté que les modèles de rôle ont une influence importante dans le processus de la décision de devenir un entrepreneur. Le statut social des personnes de l’environnement proche engagées dans des ou des situations entrepreneuriales a un effet important sur l’orientation et les comportements entrepreneuriaux de l’individu (Begley et al., 1997 ; Schmitt-Rodermund, 2004). La présence de modèles entrepreneuriaux dans l’entourage a une influence sur les intentions et les comportements entrepreneuriaux des individus (Scherer et al., 1989 ; Dyer, 1994 ; Carroll et Mosakowski, 1987 ; Van Auken et al., 2006, Kuratko et al., 1997).

La famille est la première expérience sociale de l’individu. De nombreuses recherches ont signalé que l’existence de modèles d’entrepreneurs, au sein de la famille ou des amis, qui ont créé des entreprises a probablement une influence sur la motivation à se conformer à leurs attentes, et enfin sur les normes sociales des individus (Boyd et Vozikis, 1994 ; Bygrave, 1989a et 1989b ; Dyer, 1994 ; Krueger et Carsrud, 1993 ; Krueger et al., 2000 ; Gartner, 1990; Sabourin et Gasse, 1989 ; Shapero et Sokol, 1982 ; Tkachev et Kolvereid, 1999 ; Matthews et Moser, 1995).

Matthews et Moser (1995) ont souligné un lien significatif entre la présence de modèle parental entrepreneurial et le niveau de l’intention de l’individu. Filion (2002) ont trouvé que l'influence des parents sur les normes sociales et la décision de créer est considérée comme la plus importante par 483 étudiants de différents niveaux d’études dans une école de commerce et une école d’ingénieurs ; ils accordent aussi une influence importante à la part des amis, mais moins forte que celle des parents. Scherer et al. (1989) ont considéré le modèle parental comme déterminant et ils ont conclu que le simple fait d'avoir un modèle de rôle parental est suffisant pour prédire la préférence envers une carrière entrepreneuriale chez les individus ; même ceux dont les parents sont des entrepreneurs peu performants ont une préférence envers la carrière d’entrepreneur.

Scott et Twomey (1988) ont indiqué que les élèves dont les parents sont créateurs d’entreprises ont une préférence significativement plus élevée pour le fait de se mettre à son propre compte, et une faible préférence pour s’intégrer dans une entreprise. Les parents

entrepreneurs représentent une double influence : d’un côté, ils offrent à leurs enfants un modèle de rôle de carrière entrepreneuriale ; de l’autre côté, ils représentent aussi les fournisseurs des ressources nécessaires pour la création d’entreprise. Le modèle de rôle parental, avec les expériences antécédentes et les idées d’affaires, peuvent conduire à une préférence de carrière entrepreneuriale ; toutefois, il prédit plus faiblement les futures activités entrepreneuriales que les deux derniers. (Carsrud et al. 1987; Scott et Twomey, 1988).

2.1.2 Les normes sociales, un impact controversé sur les intentions

Dans le modèle d’Ajzen (1991), les normes sociales perçues, définies comme la perception de ce que les gens importants pour l’individu pensent de la réalisation du comportement cible, impactent directement sur l’intention. Cependant, dans le concept de Shapero (1982), elles sont devenues une des dimensions de la désirabilité de l’acte. Le débat existe toujours sur le rôle de la norme sociale.

Dans les revues de la littérature en comportement planifié, la norme sociale ne contribue que rarement à la prédiction de l’intention aux côtés de l’attitude et du contrôle perçu (Conner et Armitage, 1998). Krueger et al. (2000) ont testé empiriquement les deux modèles par une analyse des réponses des élèves face aux choix de carrière aux Etats Unis, afin de les comparer. Les résultats de leur étude confirment la pertinence des deux modèles : toutes les composantes du modèle de Shapero ont été statistiquement significatives, de même que les composantes du modèle d’Ajzen, à l’exception des normes sociales ; le modèle de Shapero est légèrement supérieur à celui d’Ajzen. Seule la faisabilité perçue et l’attitude envers l’action prédisaient significativement l’intention ; l’influence de la norme sociale sur l’intention est non significative.

D’un autre côté, Kolvereid (1996b) a remarqué que la pression sociale a un impact significatif sur l’intention des élèves à l’entrée de l’école en Norvège ; l’intention est significativement corrélée avec la norme sociale, l’attitude et le contrôle perçu.

Dans la théorie du comportement planifié, les impacts de l’attitude, la faisabilité perçue et la norme sociale sont différents selon les caractéristiques des comportements et les situations ; dans certains cas, les deux premiers facteurs suffisent à expliquer l’intention. Krueger et al. (2000) ont proposé que cette contradiction puisse être liée aux contextes des études effectuées et aux populations étudiées.

Une approche complémentaire de l’impact de la pression sociale sur le choix de carrière entrepreneuriale est fondée sur l’étude du rôle des représentations sociales.

2.1.3 Les représentations sociales, un facteur dont l’étude démarre, qui

permet de mieux apprécier la nature de l’impact des normes sociales

a. La définition de la représentation sociale

La représentation sociale est le fruit d’une construction perceptive et cognitive de la réalité. Selon Jodelet (1989), elle constitue « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social. Egalement désignée comme savoir de sens commun ou encore savoir naïf, naturel, cette forme de connaissance est distinguée, entre autres, de la connaissance scientifique. » Selon Moscovici (1984), elles concernent « la façon dont nous appréhendons les événements de la vie courante. Bref, la connaissance spontanée, naïve, qui intéresse tant aujourd’hui les sciences sociales, celle que l’on a coutume d’appeler la connaissance de sens commun ou encore pensée naturelle, par opposition à la pensée scientifique ». Cette connaissance se constitue à partir de nos expériences, mais aussi des informations, savoirs, modèle de pensée que nous recevons et transmettons par la tradition, l’éducation, la communication sociale. La représentation sociale transforme les objets sociaux (personnes, contextes, situation) en des catégories symboliques (valeurs, croyances, idéologies), et qui donnent ainsi lieu à un système collectif révélateur permettant la régulation des cognitions et actions (Ljunggren et Alsos, 2001).

b. L’influence des représentations sociales : le rôle de la société en général

Plusieurs études ont démontré la contribution de l’environnement social à l’émergence d’entrepreneurs. Filion (1991) se réfère à l'environnement social pour expliquer comment s'est construite la vision centrale d'entrepreneurs qui ont réussi. Toulouse et Brenner (1990) et Fortin (1992) mettent l'accent sur la valeur que la société accorde à l'entrepreneuriat. Lorsqu'une société valorise les valeurs entrepreneuriales et les réalisations des entrepreneurs, ceux-ci deviennent des modèles stimulants pour les jeunes en formation.

Toutefois, ces études n’ont pas indiqué clairement sur quels composants de l’intention ou du choix de carrière la société intervient. Au-delà de l’encouragement et d’une perception favorable perçus par un individu chez les personnes qui comptent pour lui, on peut donc s’intéresser aux représentations sociales portant sur les entrepreneurs et leur influence sur l’intention d’entreprendre et le choix d’une carrière entrepreneuriale.

C’est le travail qui a été réalisé par Radu et Redien-Collot (2008) à partir d’une analyse du discours sur les entrepreneurs observé dans 962 articles de la presse française, entre 2001 et 2005. La presse peut en effet apparaître comme un « chœur grec » de la réalité consensuelle, à travers laquelle se crée et se déroule le monde social, (Kets de Vries, 2000). On peut y lire la représentation consensuelle de ce qui constitue l’esprit entrepreneurial et observer quel rôle cette représentation joue dans la diffusion et la transformation de la culture entrepreneuriale au niveau local et national. Radu et Redien-Collot (2008) s’interrogent donc sur les fondements et la structure de la représentation sociale des entrepreneurs dans la presse française et sur leur éventuel impact sur les croyances dans la convenance et la faisabilité entrepreneuriale. Ils ont identifié trois catégories principales de discours: le discours de légitimité (poids de ces discours dans la presse, importance sociale et économique de l’entrepreneuriat, valeur de l’entrepreneuriat en général), le discours de normativité (personnalité-type et motivations des entrepreneurs, caractéristiques en termes d’âge, de genre, d’origine ethnique, de qualification et de parcours professionnel) et le discours d’accessibilité (compétences à acquérir, réseaux, institutions et soutiens permettant d’accéder au métier), Les auteurs montrent que si la légitimité des entrepreneurs est forte, le discours normatif présente un tableau très limitatif de l’entrepreneur idéal par rapport à la diversité observée en réalité (vision de l’entrepreneur individuel héroïque, masculin entre 30 et 40 ans, motivé par la liberté et l’indépendance plus que par le pouvoir, l’argent ou le statut social). Le discours sur la faisabilité insiste lui sur l’importance de l’accompagnement notamment au sein des structures d’incubation. Au-delà de l’identification de ces trois types de représentations sociale, l’étude explicite leur processus d’impact. Chez les lecteurs novices, il y aurait identification par projection sur une image considérée comme objective. Chez les lecteurs déjà engagés dans le processus entrepreneurial, il s’agirait d’ancrage social. Mais l’étude ne mesure pas l’impact de ces représentations. Cette étude ajoute donc des variables sociétales à celles couramment utilisées à partir du modèle d’Ajzen pour analyser les facteurs normatifs (lesquelles portent principalement sur l’attitude de l’entourage). Elle ouvre une nouvelle voie

de recherche en ce qui concerne l’effet des normes sociales sur le choix de carrière entrepreneurial.

Les normes sociales peuvent donc être étudiées au sein de l’entourage immédiat de la personne et de la société en général tel qu’on peut le percevoir dans la presse notamment. Mais pour les étudiants, on peut aussi l’analyser au sein de l’environnement scolaire et parascolaire. Dans ce cadre, l’étude des impacts de la formation dépasse la seule notion des normes.

2.2 Les facteurs scolaires et extrascolaires : des facteurs dont