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Chapitre 5 - L’effet des facteurs sur les trajectoires de l’intention et le développement de

5.1 La modélisation de la trajectoire de l’intention : les approches statiques et évolutives

5.1.1 La modélisation des trajectoires de l’intention d’entreprendre des élèves ingénieurs

5.1.1.1 Les facteurs et leurs impacts sur la trajectoire de l’intention

Afin de mettre en évidence les facteurs principaux qui ont une influence sur l’intention d’entreprendre et ainsi modifier la trajectoire de l’intention des élèves ingénieurs, nous avons combiné les trois modèles, comme présenté dans la figure 30. Seuls les coefficients significatifs sont montrés sur le schéma, l’épaisseur du lien représente l’importance de l’impact. Afin de faciliter la présentation, nous adaptons les abréviations indiquées dans le tableau 20.

Tableau 20 Abréviations des noms de facteurs

Abréviation Nom du facteur

Ext.entp Existence d’entrepreneur(s) dans l’entourage proche N.S. Normes sociales perçues

Cult. Culture d’école perçue

Se.cont Sentiment de compétences en contacts sociaux At.resp. Attitude envers la prise de responsabilités At.exp Attitude envers l’apprentissage expérientiel

Projet Investissement dans les projets d’innovation classiques Assoce.ant Expériences associatives antérieures Assoce.act Investissement associatif actuel G1 Première année scolaire de l’Ecole Centrale de Lille G2 Deuxième année scolaire de l’Ecole Centrale de Lille G3 Troisième année scolaire de l’Ecole Centrale de Lille

Avant de discuter de l’effet de chacun des facteurs et de leur évolution entre ces trois modèles, nous rappelons que les modélisations ont été effectuées séparément sur trois échantillons, un pour chaque année pendant trois ans. Nous avons complété l’échantillon longitudinal de 82 élèves que nous avons utilisé dans le chapitre 4, avec les élèves qui n’ont répondu qu’une ou deux des trois années, afin d’obtenir un échantillon suffisamment large pour pouvoir utiliser la modélisation par équations structurelles. Cet échantillon n’est pas strictement longitudinal ; l’effet du même facteur dans différentes années n’est donc pas comparable. L’évolution du même facteur dans le temps sur l’échantillon longitudinal de 82 élèves sera étudiée dans la section 5.1.2. Toutefois, le montage de ces trois modèles offre une vue globale des facteurs impactant la trajectoire de l’intention au cours des années scolaires, ce qui nous permet de comparer l’impact de différents facteurs dans une même année, et en même temps d’observer l’évolution du rôle des facteurs principaux agissant sur l’intention.

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Figure 30. Le modèle de la trajectoire de l’intention des élèves ingénieurs pendant leur scolarité

Intention G1 Intention G2 Intention G3 N.S. (G1) Cult. (G1) Se.cont (G1) At.resp. (G1) Se.cont (G2) Se.cont (G3) At.resp. (G2) At.exp. (G2) At.exp. (G3) 0,09 0,14 0,12 0,64 0,21 0,23 0,16 0,67 0,16 0,12 0,07 0,13 0,47 0,28 0,1 0,45 0,2 0,16 0,17 0,28 0,22 0,16 0,24 0,14 0,57 0,17 0,1 0,12 0,22 0,14 0,29 0,23 0,21 0,11 0,12 0,1 Ext.entp (G1) Assoce.ant (avant l’école) Projet (G2) Assoce.act (G1)

= Assoce.ant (G2) = Assoce.ant (G3)Assoce.act (G2) Assoce.act (G3)

a. Existence d’entrepreneur(s) dans l’entourage proche

Pour les élèves ingénieurs en première année, l’existence d’entrepreneurs dans l’entourage proche n’a qu’un effet assez faible (0,09) sur l’intention et il est loin d’être déterminant pour l’intention de créer. L’effet de ce facteur rejoint Scott et Twomey (1988) et Matthews et Moser (1995), mais d’une manière moins forte. Ce facteur n’a plus d’influence significative sur l’intention à partir de la deuxième année.

Krueger et al. (2000) ont conclu que les entrepreneurs dans l’entourage proche doivent être d’abord pris comme modèle de rôle par les élèves. Ensuite, ces modèles de rôle peuvent influencer positivement l’intention des élèves en modifiant l’auto-efficacité de ces derniers. La mesure de l’auto-efficacité n’a pas été validée dans notre modèle exploratoire, ce lien n’a donc pas pu être vérifié dans cette modélisation. Nous pouvons aussi suggérer à partir de nos résultats que l’influence de la famille diminue au cours de la scolarité. Le fait d’avoir un entrepreneur dans l’entourage proche a un effet sur les élèves quand ces derniers sont encore dans l’environnement familial. Ceci est le cas des élèves en première année qui venaient de quitter leur famille et de se plonger dans l’environnement de l’école. Dès leur entrée à l’école, une distanciation par rapport à la famille s’opère. L’environnement de l’école prendrait alors le relais, et commencerait à avoir une influence plus importante sur leurs intentions et projections professionnelles. Les facteurs scolaires et extrascolaires commencent à avoir des effets plus forts sur l’intention d’élèves.

b. Normes sociales perçues

Les normes sociales perçues favorablement vis-à-vis de la création constituent un facteur classique du modèle de l’intention. Mais dans notre cas, contrairement au modèle d’Ajzen (1992), ces normes n’ont pas un effet significatif sur l’intention des élèves tout au long de la formation. Cette absence de lien direct entre les normes sociales et l’intention d’entreprendre confirme les résultats de Krueger et al. (2000).

Il est intéressant de noter qu’en première année, les normes sociales perçues peuvent sont significativement liées au fait qu’il existe un/des entrepreneur(s) existant dans l’entourage proche et la culture d’école perçue, et que l’influence du milieu familial

(entrepreneurial) apparaît plus faible (0,1) que celle de la culture d’école (0,14). Cependant à partir de la deuxième année, le milieu familial et la culture de l’école n’ont plus d’impact sur les normes sociales perçues, ce qui fait qu’elles sont éliminées du modèle pour les années suivantes. Nous pouvons ainsi compléter les résultats de Krueger et al. (2000) en faisant apparaître le rôle de la culture d’école dans la production de normes sociales favorables à la création d’entreprise.

c. Culture d’école perçue

Il est intéressant de noter que la culture de l’école a été perçue par les élèves en première année, et qu’elle a une influence significative sur l’intention (0,12). Cette influence directe sur l’intention est toutefois inférieure à celle qu’elle exerce sur les normes sociales perçues (0,14), lesquelles n’ont pas d’effet direct sur l’intention. On voit ici une confirmation des limites de l’application du modèle d’intention issu d’Ajzen en entrepreneuriat : l’intention d’entreprendre est bien liée à l’influence de l’entourage sans pour autant qu’on puisse parler de pression systématique via les normes sociales perçues comme favorables à l’intention.

Cet effet direct sur l’intention rejoint ce que proposent plusieurs études précédentes (Autio et al.,1997 ; Johannisson, 1991) : la culture et l’environnement d’université, perçus comme favorables et soutenant l’entrepreneuriat, ont un impact sur l’intention d’entreprendre des élèves. Cependant, la perception de celle-ci baisse au cours des années ; cet effet n’a donc pas été retrouvé dans notre modèle dans les années suivantes. Nous pouvons nous appuyer sur la définition de la culture (Deal et Kennedy, 1982) afin d’expliquer ce phénomène : l’effet de la culture perçue sur l’intention d’entreprendre ne peut être mesuré que si la culture est perçue et largement partagée par les élèves. Ceci nous invite à étudier quels sont les obstacles qui empêchent la perception de la culture d’école. Nous pourrons tenter une explication grâce à la comparaison de l’effet de la culture dans deux écoles, laquelle est effectuée dans la section 5.2.

d. Investissement dans les projets

Avant d’analyser l’effet de la pédagogie par projet, il est nécessaire de rappeler que les questions relatives à la pédagogie par projets sont toutes posées une seule fois dans le questionnaire de deuxième année. En effet, il s’agit des projets classiques qui se déroulent pendant les deux premières années de la scolarité à l’Ecole Centrale de Lille (voir plus loin dans la section 5.3 la description des projets). Cette mesure évalue donc l’investissement global des élèves dans ce genre de projets à l’école.

Le questionnaire de première année a été administré deux mois après l’entrée de l’école, où les projets venaient de démarrer. Il est donc évident que l’investissement dans les projets n’a pas d’influence significative sur les attitudes et l’intention des élèves en première année. Mais ils jouent le rôle le plus important sur l’intention dans les deux dernières années parmi tous les facteurs dans notre modèle. Nous observons que les élèves qui ont une attitude favorable envers l’apprentissage expérientiel tendent à s’investir plus que ceux dont l’attitude est moins favorable dans les projets classiques. Leur investissement a un impact direct sur l’intention (0,47 en deuxième année et 0,57 en troisième année). Ce facteur agit aussi sur l’attitude envers la prise de responsabilités et le sentiment de compétences en contacts sociaux qui favorisent enfin l’intention d’entreprendre.

Ces résultats positifs rejoignent ce qui est proposé par plusieurs auteurs indiquant que l’enseignement à l’entrepreneuriat nécessite une pédagogie active par projet (Fayolle, 2002 ; Kirby, 2007). Cependant, l’effet des pédagogies actives est très peu documenté ; nous allons donc poursuivre notre étude sur l’effet de la pédagogie par projets sur la trajectoire de l’intention, et l’identité professionnelle des élèves ingénieurs, laquelle sera détaillée dans la section 5.3.

e. Investissement dans les associations

Les expériences antérieures dans les associations ont un effet important sur l’intention des élèves tout au long de la scolarité. Les élèves qui se sont investis dans les associations dans le passé semblent plus motivés pour s’y investir dans le présent.

L’investissement actuel était le facteur le plus important en première année, et devient le deuxième plus important en deuxième année, et ensuite n’a plus d’effet significatif sur

l’intention en troisième année. La dispersion de l’énergie et du temps due à l’investissement dans les projets pourrait expliquer l’évolution du rôle de ce facteur en deuxième année ; la disparition de lien avec l’intention en dernière année pourrait s’expliquer par le fait que les élèves en troisième année s’investissent beaucoup moins dans les associations quand leurs préoccupations sont plutôt la recherche d’un stage de fin d’études, d’un premier emploi ou bien la création d’entreprise.

Plus les élèves s’investissent dans les associations, plus ils se sentent compétents en contacts sociaux dans les situations – par exemple, de rencontre ou discussion avec quelqu’un d’inconnu – et plus ils ont envie de prendre les responsabilités dans les associations, dans l’équipe de projet et même dans leur vie professionnelle. Ce sentiment de compétences en contacts sociaux et cette attitude favorable envers la prise de responsabilités renforcent l’intention d’entreprendre des élèves.

Ce résultat confirme donc l’effet positif des expériences associatives sur l’intention d’entreprendre (NCGE, 2007 ; Fayolle, 1996 ; Fayolle et Gailly, 2009). Nous allons étudier plus finement l’effet de l’investissement associatif sur la trajectoire de l’intention, et l’identité professionnelle des élèves ingénieurs dans la section 5.3.

Une fois que les modèles sont construits, les hypothèses sur lesquelles sont basés les liens entre les variables peuvent être vérifiées. Nous allons résumer les hypothèses validées à partir des résultats que nous avons obtenus dans la section suivante.