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Un rôle d’orientation dans le système judiciaire et de facilitateur de l’obtention d’une

C. Compétences sociales et orientation dans le système judiciaire

2. Un rôle d’orientation dans le système judiciaire et de facilitateur de l’obtention d’une

a. Un univers hostile et insécuritaire

Les différents travaux réalisés jusqu’ici constatent que l’activité prostitutionnelle expose les femmes à un risque de violences majoré : vols, violences physiques, sexuelles, psychologiques, harcèlement, traite de l’être humain, proxénétisme (10, 11, 23). Notre étude allait dans le sens de ce constat, toutes les femmes rencontrées ayant exprimé lors des entretiens des situations de ce type.

« Our work is not safe. Not at all. Sometimes you meet bad boys, they beat you. Sometimes. Or, sometimes, the preservatif is not ok, maybe it's broken and I'll be scared (…) So it's not good at all, it's... » (Success)

La particularité de notre travail tenait au fait que les femmes rencontrées exerçaient une « prostitution de rue », connue pour son caractère insécuritaire. La parole des femmes révélait une exposition à de multiples formes de violences.

• Violences physiques par les clients :

« So... So I paid, my money... So... Everytimes trouble in the street, fight... Beating me, so. I thought to quit. Because I can't die for someone, if I die for them. Because of money. That's immoral my soul will go to hell ! Yeah. » (Joy)

Violences entre pairs prostitués :

« Y'a pas place pour travail. Je sors là-bas, je fais bagarre avec les filles africaines. » (Roxana)

« Et puis voilà quoi... Après les maladies, non... Après c'est des coups de couteaux quand je me bats. Ben si on me cherche, voilà... Alors, tous les tendons là. Tu vois là, là, plus là. (montre son visage). Après un travelo, il commençait à me tendre, à me faire chier. Sur le trottoir (…) Et là. J'ai vu... j'ai vu qu'il sortait une lame. Le temps que je me relève, c'était... Heup j'ai fait ça. C'était de l'agneau j'étais ouverte de là à là. Et là (montre ses lèvres), comme ça, on voyait mes dents. » (Babsy)

• Violences sexuelles :

« Après il rentre après il fait l’agresse, avec moi il couche avec moi après j’ai très très mal dans la chatte (…) Moi je suis pas tranquille pour dormir, à cause de ça je vais aller avec quelqu’un je connais pas pour coucher. » (Jessica)

• Vols :

« Oui avant... beaucoup risques ! Euh. Beaucoup fois problèmes. Beaucoup fois stress ! (…) C'est pas comme la rue. Je sais pas qui arriver de taper, de voler de... comment me voler mon sac, mes papiers, tout ! Et ... là ... (montre la cicatrice) » (Sandra)

• Détérioration de préservatifs / Stealthing :

« J’étais avec une client, qui a coupé le préservatif. Et après moi bébé, tout de suite. » (Rose)

• Harcèlement et proxénétisme :

« Lui me prendre et me dire que je descends. Lui me ramener à une place. Et lui m'obliger pour

faire des choses avec lui. Je veux pas, je veux pas. Mais j'ai peur..., et je le fais. Lui menacer quatre heures hôtel maintenant. Quatre heures hôtel (...) Lui me ramenait à mon hôtel. » (Roxana, parlant de son proxénète)

b. Le rôle du médecin généraliste dans l’accueil et l’accompagnement des personnes

victimes de violences.

Dans ces situations, les femmes avaient recours aux associations dédiées à leur accompagnement, mais également à leur médecin généraliste. Comme nous l’avons vu précédemment, il était attendu que le médecin assure un accueil inconditionnel et adapté à la situation.

« Après moi des problèmes, agresser 5 fois, le travail, je venue tout de suite. (…) Que m'a agressé avec la paume dans l'œil... (montre son œil) (soupir). » (Roxana)

Dans les moments de grande vulnérabilité physico-psychologique, le médecin généraliste était également un soutien important pour permettre aux patientes de s’orienter vers le système judiciaire, et parvenir à un dépôt de plainte.

« All this documents are already with doctor γ. It’s the one who taking me this to take to the police. (…) Do you see the paper I need to take to police. Because she writes this paper I was shocked. So he gaves me this paper, that money to be support and look at it. I don’t have paper I don’t know how to start. » (Laura)

En effet, les entretiens révélaient des freins majeurs à l’accès aux services de police, du fait d’une crainte de stigmatisation et de non-considération du fait de l’activité prostitutionnelle.

« Je venue ici (…) et Pauline me dit "Et ça te fait quelque chose, qu'est-ce qu'on fait là, pourquoi tu veux pas partir police ?" et je dis "je réfléchis, pour ça…" (…)Et je dis "je peux pas partir Police, qu'est-ce que je dis à Police" que lui me prendre l'argent que lui me menace, que lui... tu comprends ? » (Roxana)

Certaines femmes exprimaient également des difficultés à obtenir une jurisprudence après leur agression et faisaient part d’un sentiment d’inertie juridique suite à leur plainte.

« Ça fait longtemps, pour lui qui, donner papiers, pour le tribunal, à rien faire. Lui encore m'a appelé, me parlait bêtises. Parlais avec dossier juriste. Me dit "oui oui", après me dit "non". » (Sandra)

L’irrégularité du séjour était également un frein au dépôt de plainte, par peur de répression policière.

Joy parle de sa deuxième agression physique à l’arme blanche avec plaie périorbitaire : « For

this one (montre la photo), I didn't go to the hospital. Because I was really afraid, I don’t have anything. Because, ever since my asylum finish in 2015, ever since, I think that if the police have me, they will own me, so... (…) I think that thing, if they see me like this, so... They will take me back home. So that's why. I was really afraid. » (Joy)

Avant tout, il était attendu du médecin généraliste qu’il soit disponible et à la portée des situations rencontrées par les personnes en situation de prostitution. L’accueil inconditionnel était énoncé par les patientes, justifié par les freins multiples d’accès aux soins énoncés ci-dessus.

Une prise en considération de la parole des femmes et de leurs besoins en matière d’accompagnement était également requise. En effet, en cas de difficultés administratives ou d’exposition à la violence, les femmes pouvaient exprimer des besoins différents : écoute, prise en charge médicamenteuse, accompagnement vers des structures pour un relais de prise en charge, dépôt de plainte ou non, etc. Du fait de la complexité médico-psycho-sociologique de certaines situations, le médecin généraliste se devait de s’adapter aux attentes des patientes, en gardant un regard empathique et compréhensif.

Nous verrons ci-après que les compétences relationnelles du médecin généraliste étaient un prérequis indispensable à l’établissement d’une relation de confiance.

SYNTHESE DES RESULTATS SUR LES ATTENTES DES PATIENTES VIS-A-VIS DU MEDECIN GENERALISTE EN MATIERE DE COMPETENCES MEDICO-PSYCHO-SOCIALES

La parole des patientes témoigne de l’importance d’une prise en charge globale du médecin généraliste, considérant l’ensemble des dimensions médicales, psychologiques et sociales des personnes. Les femmes expliquaient avoir recours à leur médecin de famille pour des situations de soins diverses et témoignaient de la confiance portée au praticien du fait de son rôle de sachant et de la pluralité de ses compétences.

Considéré à la fois comme un expert de la santé, un technicien du corps et un soignant de la psyché, il était attendu du médecin de famille qu’il soit en mesure de fournir aux patientes un soin compétent et efficace. Son rôle de prescripteur était souvent énoncé comme essentiel à tout accompagnement, mais était parfois considéré par les femmes comme responsable d’une prise en charge mécanisée, robotisée, limitant la confidence et l’expression de l’intime.

Confrontées à des risques sanitaires importants à l’origine d’inquiétudes sur leur santé, les patientes attendaient du médecin généraliste qu’il soit en mesure de répondre à leurs préoccupations en leur donnant des conseils éclairés, des explications de soins et une réassurance.

Une des facettes fondamentales de la prise en charge des personnes en situation de prostitution émanant de notre étude était celle de l’accompagnement psycho-social des patientes. Nous notions en effet une importante vulnérabilité psychologique des personnes rencontrées, du fait de l’intrication de facteurs multiples, attenants à la pratique prostitutionnelle et à des conditions de vie précaires. Assujetties à des réseaux de traite des êtres humains et de proxénétisme avec marchandisation de leur corps, enfermées dans une pratique considérée comme honteuse et indigne sans autre alternative pour subvenir à leurs besoins, prisonnières de leur irrégularité au regard du séjour responsable d’une crainte constante de répression policière, et de situations sociales précaires sans espoir d’amélioration future, les femmes exprimaient un mal-être psychique important ayant des retentissements sur leur santé. L’impact du psychotraumatisme sur l’état de santé des patientes apparaissait comme un des points importants de la prise en charge de ce public. Les femmes décrivaient en effet des troubles psychologiques en lien avec le vécu de violences multiples et prolongées survenues au décours de parcours migratoires traumatiques, en lien avec l’activité prostitutionnelle ou avec des situations de grande précarité les exposant à une soumission à autrui. Les revendications les plus souvent énoncées par les patientes afin de permettre une amélioration de leur conditions de vie et de leur santé étaient l’accès à une situation sociale stable et la possibilité de subvenir aux besoins primaires par l’obtention un logement salubre et pérenne, d’un droit au travail et d’une ouverture des droits de sécurité sociale. Dans le cas contraire, l’énergie des femmes était concentrée vers leur survie, au dépend d’une santé dépriorisée.

Savoir accompagner ce public vers un mieux-être nécessite ainsi de prendre en compte l’impact sur leur santé de conditions de vie précaires et de souffrances psychologiques

IV.

Attentes des personnes en situation de prostitution vis-à-vis du médecin

généraliste : compétences relationnelles et affectives ; le rôle de la

communication verbale et non verbale

Le métier de soignant est à l’origine de la rencontre entre deux individualités propres dans divers contextes et environnements. Bien que non duale, du fait de la présence possible de tiers en consultation, cette rencontre dessine en toile de fond de la consultation le début de la relation médecin-patient. Indispensable à toute démarche médicale, elle est le fruit de l’interaction entre le soignant d’un côté, pris dans le rythme de ses consultations, ayant ses propres émotions et représentations de la maladie, son propre vécu personnel et sociétal, et le patient de l’autre, apportant ses symptômes et inquiétudes, sa vision de sa santé et de son corps. L’interaction de ces deux individualités lors de la rencontre médecin-patient est ainsi à l’origine de la construction d’une relation interpersonnelle, régie par le vécu émotionnel et affectif des deux protagonistes de la consultation.

Si les compétences cognitives et techniques du médecin étaient identifiées comme des attentes vis-à- vis du médecin généraliste, les compétences relationnelles et de communication du soignant étaient également mentionnées. Les notions de communication verbale et non verbale étaient intimement liées, faisant émerger les concepts principaux de la relation centrée sur le patient tels que développés par Rogers dans ses travaux, rejoignant la définition de l’empathie dans la relation de soin : attitude d’intérêt ouvert avec respect et non-jugement, intention authentique de comprendre autrui, écoute active avec prise en considération des demandes du patient, lucidité sur ses propres sentiments.

Nous exposerons dans un premier temps les attentes des patientes vis-à-vis du médecin généraliste au travers du prisme de la rencontre humaine et de l’empathie avant d’approfondir la question en se penchant sur le déroulement de la consultation et de sa temporalité.