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Attitude d’intérêt ouvert avec respect et non-jugement du patient, vecteur de confiance

A. Le rôle de l’empathie : relation interpersonnelle et vécu affectif

2. Attitude d’intérêt ouvert avec respect et non-jugement du patient, vecteur de confiance

Une des définitions de l’empathie est la capacité du praticien à se mettre à la place du patient, tout en conservant une distance émotionnelle. Dans cette interaction duale avec le patient, il semble que la capacité cognitive du praticien à comprendre le patient facilite la construction d’une relation médecin patient adaptée aux besoins du patient. Nous approchons ici du concept d’intersubjectivité tel que défini par Rochas (1999) comme le « sens de l’expérience partagée, qui

émerge de la réciprocité », désignant la capacité du praticien à se projeter dans la position de l’autre et

à comparer son expérience propre à celle d’autrui (31).

a. Attitude d’intérêt ouvert, investissement vers un « mieux-être du patient »

Au-delà d’une attitude bienveillante et avenante du praticien, l’attention portée au patient et son investissement auprès de celui-ci vers un « mieux-être » étaient considérées comme des compétences relationnelles attendues chez le soignant, permettant une mise en confiance de la personne et une satisfaction dans la relation de soin.

• Expériences positives de soin, vers une satisfaction du patient et une confiance

relationnelle :

Le témoignage des femmes sur les expériences positives de soin vécues révélait une satisfaction en cas de prise en considération des attentes et d’une attention spécifique portée vers le patient.

« When I was with doctor γ, she was very nice... She is ok. She assists, she assists to you, normal properly (…) So once you go there you want to see her, you can see her, you can speak with her. You can tell her what you want. So she... has think to you ! » (Jessica)

« Tout le temps il fait attention avec les gens tout ça. Il est hyper gentil. » (Blanche)

Il était attendu du médecin généraliste qu’il s’implique dans la prise en soin du patient et s’investisse vers un « mieux-être » physique et psychique.

« And they want to recognize your problem and what they can do about it (…) To help me yeah (…) Les deux c'est bien avec les deux. Parce que... Tu prends rendez-vous avec elle, toutes les... hum. Progresse... avec mon... mon situation. Tout est bien avec elle (…) They try to make sure,

La notion d’intersubjectivité dans la relation de soin était également abordée, avec une mise en avant appréciée de la capacité empathique du médecin de se placer « à la portée du patient » et de sa situation.

« Sa femme à ce docteur était gynéco. Alors je lui dis "Je peux pas avoir un stérilet, au moins je suis sûre que…" Il me dit "Oui oui oui oui". Il me dit "je te fais l’ordonnance va l’acheter ma femme te le posera". Voilà. Voilà ! C’était… (réfléchit) Il était à la portée de la situation. Parce qu’il savait que pour moi c’était pas une situa… » (se tait, les yeux dans le vide).

• Expériences négatives de soin, vers une perte de confiance et une rupture du suivi :

A l’inverse, les femmes critiquaient le manque d’investissement du praticien vers une prise en charge adaptée :

« Moi je dis me marquer pour la... hum. La tension ? Elle me dit c'est quoi médicament pour tension ? Moi juste…Connais la 5. Je pas connais... (…) Je dis c'est marqué y'en a carte vitale, regarde ! (Elle) dit non moi j'ai pas trouvé. » (Sandra)

La mise en doute des symptômes du patient était également nuisible à l’établissement d’une relation médecin-patient de qualité. Certaines femmes exprimaient ainsi avoir été confrontées à des praticiens doutant de la véracité de leurs souffrances.

« Ouais par contre au début tu sais, il voulait pas me croire pour le dos et tout ça m'a fait chier quoi ! Et euh... c'est comme là je lui dis "vous m'augmentez..." J'ai toujours eu un super rapport, sauf qu'au début il me croyait pas pour mon truc tu vois (…) J'ai été agressée pour la coke et tout (…) et là donc ça a pété, toute ma colonne et tout (…) Et quand il a vu tu sais, mon scanner. Mon IRM. Il m'a dit "bon regarde ce dos !" Jlui dit "meuh ça fait deux ans que je vous le dis ! " » (Babsy)

Suite à l’expression de symptômes physiques, les patientes portaient un regard critique sur une inadéquation entre leur souffrance et la prise en charge effective du médecin.

« J’ai toujours mal. (…) Ici. (Me montre sa cheville). Le matin ça brûle. Il ne fait rien lui ! Il me dit rien (…) Il veut que vienne au cabinet ! Mais il sait bien que j’ai du mal à marcher. » (Donna)

L’inertie du médecin dans sa prise en charge et l’absence de considération ressentie pour leur « mal-être » était jugée insatisfaisante et nuisait à la relation de soin.

« Hum... Non non. Elle pas gentille. (…) Et quand ici... Euh. Y très quand mal a le dos. (montre le trajet d'une sciatique). Il m'a dit s'il te plait il y en a des choses euh. Piqûres euh... y'en a des... "J'ai rien, de nous, y'en a pas, allez, au revoir !" j'ai pas, il me donnait rien. » (Sandra)

S’il était apprécié que le médecin soit en capacité de se mettre à la place du patient, on notait une désapprobation des femmes face à un médecin donnant des injonctions de soin inadaptées à leur situation.

« (Elle) dit "mange poulet sans gras, mange soupe, mange légumes, mange sans sucre". Ça compris ! Elle me dit "Rien manger, une semaine !" (Elle) dit "Juste de l'eau". (…) Je dis non non "c'est pas possible, pas parti avec elle". » (Sandra)

b. Une compréhension mutuelle permise par une intention authentique de comprendre

autrui et un intérêt porté aux émotions.

La relation centrée sur le patient, telle qu’elle a été développée il y a cinquante ans, est construite sur l’hypothèse que le soignant peut-être un facilitateur dans la relation thérapeutique, de par son implication personnelle dans le soin et sa capacité de faire transparaître un climat de confiance, basées sur une « compréhension empathique » et sensible des sentiments du patient et de

leurs significations personnelles pour lui. (30).

Le terme comprendre est emprunté au latin compre(he)ndere, composé de cum « avec » et prehendere « prendre, saisir », ce qui signifie donc littéralement « prendre avec soi, saisir ensemble », et par extension, « saisir par l’intelligence, embrasser par la pensée ». Englober le patient dans une prise en charge centrée sur sa personne implique ainsi que le praticien se détache de ses propres émotions et représentations de la maladie pour tenter de saisir le point de vue du malade dans son approche de sa santé. En ce sens, nous avons constaté que les mots des femmes traduisaient des sentiments de bien- être et de confiance dans la relation médecin-patient face à un praticien s’attachant à comprendre leurs émotions et leurs ressentis.

• Expériences positives de soin, vers une satisfaction du patient et une confiance

relationnelle :

- Intention authentique de comprendre autrui

Les femmes exprimaient une satisfaction vis-à-vis de la relation de soin devant la capacité du médecin à développer un climat de compréhension mutuelle.

« She is very nice, when you explain to her, she understands… (hésite) And she is ok. » (Tracy)

Cette capacité d’ouverture à l’autre et de prise en considération du vécu de la personne était à l’origine de l’établissement d’un lien privilégié avec le praticien, du fait de la confiance qui en découlait.

« Oui parce que je fais pas confiance avec les autres parce que elle, elle comprend ma

situation. Si je parle comme ça elle elle comprend, elle écrit… » (Jessica)

Cette confiance mutuelle induisait un sentiment de bien-être personnel de la personne, permettant au patient d’aborder la consultation avec sérénité et tranquillité.

« Quand je parle avec docteur β, moi je suis très tranquille, elle me comprend. Et tout le temps elle me dit ça ça ça il est bon, il est pas bon. » (Blanche)

- Intérêt porté aux émotions du patient

Par ailleurs, nous notions l’expression d’une satisfaction du patient face à un soignant faisant transparaître ses capacités émotionnelles de compréhension et d’intérêt face à l’expression de leurs sentiments.

« She always want to observe the situation. She wants to... Know... Really notice how you feel (…) She is always looking at your eyes and your heart beat, you know. To really read your mind. Well they are sympathized, I think they have human feelings, you understand. » (Success)

Les patientes déclaraient apprécier les compétences du soignant à comprendre le point de vue du patient et à respecter ses émotions et sa temporalité dans le soin.

- Expériences négatives de soin, vers une perte de confiance et une rupture du suivi :

A l’inverse, une absence de compréhension mutuelle induisait un sentiment d’insatisfaction du patient, malgré une bienveillance du médecin :

« Il parlait oui, il est gentiment parlait, mais il comprend pas rien du tout. » (Blanche)

Au-delà d’une frustration, l’incapacité du médecin à se mettre à la place du patient et à faire transparaître sa compréhension de l’autre induisait des sentiments négatifs de tension et stress intérieurs.

« A côté ce médecin l'autre, lui pas comprendre rien du tout ! Peut-être comprendre mais moi je pense que lui... pas comprendre rien du tout. (…) Beaucoup stressée moi. » (Rose)

Là encore, l’impact de la communication non verbale était évident, et les femmes mentionnaient la portée du regard du praticien en consultation.

L’absence de contact visuel induisait un sentiment de non-considération du patient à l’origine d’un défaut d’interaction et d’entente mutuelle nuisible à la relation de soin.

« Il comprend qu'est-ce qui... qu'est-ce qu'il se passait dans... Voilà, dans les yeux comme ça tu comprends. Qu'est-ce que personne... Elle, non non non ! C'est zéro ! J'ai vu beaucoup de médecins, c'est pas comme elle. L’est pas, fait plus avec moi. (…) Y'a pas de connexion comme ça, y'a pas... oui ! (…) On n’est pas collées, on n'est pas... cliquées, on n'est pas... dans la même... je sais pas comment dire. » (Marie)

L’absence de considération pouvait également être perçue par le patient au travers d’un regard désapprobateur ou d’une mimique du praticien.

« Partie avec docteur θ, et... l'amener tous les papiers. Il m'a dit euh... Ça c'est papier pour l'opération. Et... Elle pas garder comment marquer, ici papier, demande à moi, elle dit pourquoi opération ? Pourquoi ça ça ? Et je dis, c'est pas moi médecin c'est toi ! Elle me regardait comme ça (mime un regard désapprobateur). » (Sandra)

c. Un besoin de respect et de non-jugement du patient comme préalable indispensable à

une relation de confiance.

La notion de soins inconditionnels du patient, quelles que soient ses origines, ses croyances, ses appartenances religieuses ou sa situation sociale est inscrite dans le code de déontologie médicale. En effet, l’article R.4127-7 du code de la santé publique mentionne : « Le médecin doit

écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non- appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu'il peut éprouver à leur égard. Il doit leur apporter son concours en toutes circonstances. Il ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne examinée.» (63)

Au-delà des obligations déontologiques du médecin, il est reconnu que la construction d’une relation interpersonnelle sécurisante implique d’aborder la consultation avec une attitude de non-jugement et de respect de la personne, en adoptant un regard positif inconditionnel sur le patient.

Comme nous l’avons évoqué précédemment, et en accord avec les données de la littérature disponibles, les personnes en situation de prostitution peuvent être confrontées à une stigmatisation du fait de leur activité, porteuse de nombreuses représentations et d’une image sociétale négative. De plus, les femmes rencontrées lors de notre étude, principalement originaires d’Europe de l’Est et d’Afrique subsaharienne, témoignaient de situations de discrimination dans le soin, du fait de leurs origines ou de leur statut administratif. La notion de respect de la personne était ainsi fréquemment retrouvée, et leur témoignage permettait de refléter l’importance du non-jugement du praticien dans l’établissement d’une relation médecin-patient de qualité.

- Expériences positives de soin, vers une satisfaction du patient et une confiance

relationnelle :

Pour les femmes, il était important que les professionnels les prenant en charge fassent preuve de respect, sans jugement de valeur du fait de leur activité.

« Parce que les personnes ici tu comprends elles sont n... normales. Tu comprends. Tu ouverts la porte, elles parlent normal tu comprends ? Naturelles. Elles pas fait, tu comprends, ça c'est (balaye l'air de sa main) faire un travail comme ça, tu comprends. Elles me acceptent comme ça comme je suis. Et c'est… C'est très importante pour moi. » (Roxana)

Il était également attendu du professionnel (ici gynécologue) qu’il apporte un soin « standardisé » et non influencé par la connaissance de l’activité prostitutionnelle.

« Oui c'est ça que je te dis parce que l'autre il est informé mon gynéco, c'est un mec (…) Il m'a traitée comme une autre personne. Frottis machin, chose qui avait à faire. Tu vois ! » (Babsy)

- Expériences négatives de soin, vers une perte de confiance et une rupture du suivi :

La parole des femmes révèle l’impact du jugement du médecin sur la relation médecin-patient.

Un sentiment de stigmatisation pouvait être ressenti devant l’attitude du médecin, tant sur le plan de la communication verbale que non verbale (mimique, regard, etc.). Ce ressenti pouvait être à l’origine d’une rupture de soin ou d’un refus de poursuivre le suivi.

« Elle me dit comme ça "quoi toi ?" C'est ma copine, lui connait ma copine où travaille

l'Allemagne. Je dis "je faire le même travail que ma copine". Elle me regarde comme ça "Ah boooon !" (d'un ton surjoué) (sourit) Oui... (inspire profondément). Heu... Elle me regardait comme ça choquée. (...) Humpf (rires) un peu comme ça euh... Gênée. Gênée… Un peu gênée. Elle me regardait comme ça "c'est vrai ?" (mime un regard choqué). Moi c'est un peu difficile les médecins me regardaient comme ça euuh pff. Je dis moi pas passer encore avec toi. » (Antonia)

Les femmes exprimaient également une sensation de discrimination, face à un praticien désobligeant et antipathique.

« No no (…) Because I don’t know what is the problem with that person. » (Tracy)

« Non peut-être... elle est raciste je sais pas ! Peut-être raciste. (…) Hum... oui. Peut-être j'aime pas Bulgare. Oui… Peut-être, je sais pas. » (Sandra)

Par ailleurs, il était attendu du soignant qu’il apporte un soin inconditionnel à la personne, en dépit de ses origines et de sa situation sociale. Malgré les devoirs éthiques et déontologiques du médecin, les femmes témoignaient de situations de soins douloureuses, lors desquelles elles estimaient ne pas avoir été prises en charge correctement ou « délaissées » du fait de leurs origines ou de leur situation socio-économique.

« Sometimes when they ask me where is your hospital card... I don't have one ! (…) Sometimes I will stay… Where there is other people that have, I need to wait… (sa voix se casse.) Because I don't have. So... When I feel bad I cry everyday (…) Sometimes I feel shy because... Sometimes when they ask me where is your hospital card... I don't have one ! » (Joy)

B. Compétences relationnelles et communicationnelles en matière d’écoute et de