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Parcours de santé, inégalités sociales de santé et rôle spécifique du médecin généraliste

Il n’est plus à prouver que les conditions de vie des personnes ont un impact direct sur la santé avec le concept d’inégalités sociales de santé définies comme « toute relation entre la santé et

l’appartenance à une catégorie sociale » (21, 76). Cette notion est basée sur le phénomène de

gradient social, né du constat qu’il existe des « différences systématiques, évitables et importantes

dans le domaine de la santé observées entre des groupes sociaux », liées à une interaction de facteurs,

définis sous le terme de déterminants de santé, pouvant être « structurels » ou « intermédiaires » (77). Selon l’OMS, les premiers sont liés au contexte économique et politique du pays et induisent une stratification sociale et économique du pays en fonction des revenus, de la profession, de l’éducation, du sexe et des origines ethniques des personnes. Les seconds en sont la conséquence directe et renvoient aux conditions matérielles (logement, environnement, alimentation, habillement), psychologiques (stress lié aux conditions de vie et de travail, tissu social), aux comportements (nutrition, activité physique, consommations de substances), aux facteurs biologiques et génétiques et au rôle de l’accès au système de santé (77, 78).

En ce sens, notre travail mettait en évidence que le non-accès aux besoins fondamentaux (alimentation, accès à l’eau, logement, ressources financières, soins) des personnes avait une conséquence directe sur leur santé. Nous notions des situations de malnutrition, de non-accès à l’hygiène corporelle et buccodentaire, de troubles du sommeil et de stress induits par l’absence de logement fixe et par les freins à l’accès au monde du travail, notamment chez les personnes en situation irrégulière.

Au travers de la parole des femmes se dessinaient deux priorités fondamentales : avoir accès à une couverture maladie leur permettant la poursuite de leur suivi coordonné par le médecin généraliste et parvenir à une stabilité de leur situation socio-économique, par le biais de l’obtention d’un logement stable, d’une régularisation de leur statut pour les personnes en situation irrégulière, et d’une activité professionnelle autre que la prostitution.

Ce constat concordait avec les résultats d’une étude explorant les représentations et les expériences des soins premiers chez les migrants bénéficiaires de l’Aide Médicale d’Etat (AME), montrant que l’accès aux besoins fondamentaux (soins, logement, éducation, ressources financières) était la revendication principale des intéressés et que l’obtention d’une couverture maladie était valorisée comme une étape importante d’obtention de ces droits (72).

Le manque de ressource financière, l’irrégularité au regard du séjour, la soumission à des réseaux de traite de l’être humain et de proxénétisme, la pression économique familiale ou communautaire étaient autant de facteurs limitant la possibilité pour les femmes de trouver une alternative à l’activité prostitutionnelle pour survivre et répondre à leurs besoins fondamentaux. Confrontées à une

policière, et à la complexité du système administratif, les femmes exprimaient souvent des difficultés à avoir accès à leurs droits. Ces éléments venaient impacter leur santé physique et psychique, et limiter leur capacité de trouver les ressources nécessaires pour s’extraire de leur situation socio-économique.

Nous notions ainsi clairement l’influence des déterminants de santé sur le bien-être physique, mental et social des personnes. Selon l’OMS, la réduction des inégalités de santé passe notamment par l’amélioration des conditions de vie quotidiennes des personnes par l’accès (78) :

- A un travail décent au travers de pratiques équitables en matière d’emploi

- A un environnement salubre

- A une protection sociale et des soins de santé universels

Nous voyons ainsi se dessiner l’impact des décisions politiques et sociales d’un pays sur l’amélioration de la santé et l’accès aux soins de la population. La promotion d’un système de santé permettant une équité de prise en charge des patients dans le droit commun, passant par l’ouverture des droits de sécurité sociale devrait être une priorité, dans un but de santé publique et de réduction des inégalités sociales de santé. Ce constat est partagé par l’étude observationnelle du Dr Khouani auprès de personnes en situation de prostitution, mettant en avant des attentes en matière d’ « équité d’accès au droit commun » par le biais de « dispositifs de santé de droit commun

garantissant une prise en charge équitable entre tous » (69).

Bien qu’ayant une pratique influencée et déterminée par les politiques sociales et de santé, le médecin généraliste apparaît comme un acteur phare au cœur de cette problématique et se doit ainsi de considérer les déterminants de santé des personnes afin de fournir les messages de prévention, d’éducation et l’accompagnement nécessaire à la réduction de ces inégalités de santé et à l’accès au droit des personnes. Au regard des situations de vulnérabilité sanitaire et sociale des personnes en situation de prostitution, la considération et l’investissement du médecin généraliste dans la prise en charge du phénomène d’inégalités sociales de santé nous paraissent essentiels.

Notre étude avait la particularité de porter un regard spécifique sur des patientes en situation de prostitution, migrantes et intégrées dans un parcours de soin complexe et semé d’embuches. En effet, nous mettions en évidence l’existence de freins à l’accès aux soins et d’un suivi par de multiples structures de santé. Cela témoignait d’une non-effectivité de suivi par le médecin généraliste responsable d’une errance médicale et d’un recours aux structures de santé identifiées « précarité » (PASS, associations etc.).

inducteur d’une attente, parfois considérée par les patientes comme trop importante et vectrice d’une insatisfaction et d’un abandon de suivi.

Par ailleurs, comme la littérature en témoigne, l’obtention d’une couverture maladie n’était parfois pas suffisante pour permettre aux personnes d’intégrer un parcours de soin coordonné et un suivi adapté (72). Ce constat pouvait s’expliquer par l’association de plusieurs facteurs.

- La méconnaissance du rôle du médecin généraliste, du fonctionnement du système de santé français et des droits des personnes était responsable d’un éloignement du soin voire d’un nomadisme médical.

- L’absence de régularisation des personnes et la crainte de stigmatisation du fait de leur activité professionnelle entrainaient fréquemment un renoncement aux soins par peur de discrimination par le soignant et de répression policière.

- La barrière de la langue influençait le choix du médecin généraliste et pouvait être un frein à l’accès aux soins.

- La précarité socio-économique des personnes était à l’origine d’un abandon de soins, dans une dynamique priorisant la survie et l’accès aux besoins fondamentaux (logement, nourriture, ressources financières).

Dans un premier temps, un travail de médiation en santé promouvant le rôle du médecin généraliste et un accompagnement des personnes dans leurs démarches apparaissaient comme une priorité pour favoriser l’accès à la santé et aux droits des personnes éloignées du soin. Du fait des facteurs précédemment énoncés, les patientes étaient confrontées à des difficultés d’orientation dans le système de santé et administratif français associées à des freins à la compréhension des démarches à effectuer pour accéder à leurs droits. À l’image de l’étude publiée par Jego et al, nous notions que la durée du séjour des personnes était associée à une connaissance plus fine des réseaux de soins facilitant l’orientation des personnes dans leur parcours de santé (72). Dans ces situations il est ainsi apprécié que le médecin généraliste prenne en compte le contexte social du patient et soit en mesure d’orienter les personnes vers des structures d’accompagnement social mais également juridique correspondant aux besoins du patient (72). En effet, notre travail pointe que les difficultés socio-économiques d’une personne sont à l’origine d’un renoncement aux soins du fait de préoccupations quotidiennes parfois envahissantes occultant la santé. L’accompagnement médical d’un patient vulnérable et éloigné du soin ne peut se faire sans considérer son environnement de vie, déterminant ses capacités de prise en compte et de considération de sa santé.

Nous notions l’importance de l’environnement social des personnes dans le recours aux soins et l’orientation vers un médecin généraliste. En effet, les femmes exprimaient souvent avoir trouvé leur

exprimaient souvent avoir eu des difficultés à s’orienter dans le système de soin à leur arrivée en France, le soutien social et les liens communautaires étaient souvent décrits comme les premiers facteurs d’accès aux soins primaires. Le rôle des associations d’accompagnement médico-psycho- social était décrit dans une moindre mesure (72). Cette transmission d’information était à l’origine de suivi préférentiel par des cabinets de médecine générale bien identifiés par une communauté. Il était ainsi fréquent que les patientes d’une même nationalité soient suivies dans le même lieu de soin ou par le même praticien. Cela était en faveur de compétences spécifiques de certains médecins généralistes dans l’accompagnement des personnes en situation de prostitution, favorisant la diffusion d’un message en faveur d’un soignant. Une prise en charge culturellement compétente, une sensibilité des médecins dans l’accompagnement de cette population assortie d’une posture bienveillante, non stigmatisante et dans le respect de la personne étaient autant de facteurs expliquant le suivi des patientes par ces praticiens.

Une sensibilisation de chaque praticien dans l’accompagnement et la prise en charge de ce public pourrait permettre d’élargir le champ des lieux de soins identifiés par les personnes en situation de prostitution, favorisant ainsi leur accès aux soins et leur suivi.

Les patientes interrogées mentionnaient par ailleurs l’impact de la barrière de la langue sur leur prise en charge par le médecin généraliste. Nous notions des difficultés de communication et de compréhension de la démarche de soin par les personnes allophones. Leur choix se portait ainsi préférentiellement sur un praticien parlant la même langue qu’elles ou acceptant d’utiliser une communication non verbale en prenant le temps de s’assurer de la compréhension des personnes. Certaines patientes exprimaient l’intérêt d’avoir eu recours à un interprète en consultation, soit informel (membre de la famille, ami), soit professionnel (téléphonique en association).

En 2017, la Haute Autorité de Santé écrivait déjà que « seul le recours à un interprète professionnel

permet de garantir d’une part, aux patients/usagers les moyens de communication leur permettant de bénéficier d’un égal accès aux droits, à la prévention et aux soins de manière autonome et, d’autre part, aux professionnels les moyens d’assurer une prise en charge respectueuse du droit à l’information, du consentement libre et éclairé du patient et du secret médical » (79). Trois thèses de

médecine générale abordant l’interprétariat dans les soins primaires vont dans le sens de ces propos. Ces travaux font état des bénéfices de l’interprétariat sur la qualité de la relation de soin en apportant une satisfaction des deux protagonistes de la consultation du fait d’une meilleure communication et d’une compréhension mutuelle (50, 66, 80).

Du côté du patient, la possibilité de bénéficier d’un interprète téléphonique en consultation apportait un soutien et un réconfort au patient, assurait le maintien de la dignité de la personne et favorisait

L’interprétariat professionnel semblait induire un niveau de satisfaction plus important, du fait de la neutralité, de l’assurance du maintien de l’anonymat et des compétences de ce dernier. Le recours à un professionnel permettait ainsi d’éviter la sollicitation d’un membre de la famille ou de l’entourage risquant de bafouer les droits du patient au respect de sa vie privée et du secret médical. Cette notion semble d’autant plus importante au sein de la population de personnes en prostitution, du fait des freins majeurs préexistants à la verbalisation de problématiques en lien avec leur intimité ou leur activité.

Du côté du praticien, l’usage de l’interprétariat était perçu comme facilitateur de la prise en charge des patients allophones, permettant d’avancer la démarche de soin, de fournir des informations et des notions d’éducation de santé et de prévention, de mieux percevoir les problématiques et de comprendre les demandes du patient.

L’usage de l’interprétariat permettrait ainsi de favoriser une relation médecin-patient de qualité et une meilleure compréhension mutuelle.

Pourtant, un rapport de l’IGAS publié en 2019 atteste de l’écart existant entre les pratiques professionnelles et les recommandations de la Haute Autorité de Santé. Si les structures dédiées à l’accueil de patients migrants et précaires utilisent généralement ce service de manière adaptée, le rapport mentionne une utilisation minoritaire de l’interprétariat au sein des structures de droit commun. Ce constat peut s’expliquer par la non-accessibilité de ce service en milieu libéral et l’IGAS préconise ainsi que le recours à l’interprétariat présentiel et à distance soit rendu accessible aux professionnels de santé, « en tout point du territoire et à toute heure du jour ou de la nuit » (81). Le recours à un interprète téléphonique apparaît ainsi comme un élément clef de la prise en charge des personnes, qui plus est lorsqu’elles sont dans des situations de vulnérabilité. Le praticien devrait garder à l’esprit que l’intervention d’un tiers en consultation ne permet pas à la personne de se livrer entièrement et expose au risque de transmission de mauvaise information ou de non-respect du secret médical.