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La terre constitue certainement le premier élément naturel détaché du donné offert par

l’état de nature des philosophes grecs et repris par les Romains. En effet, le choix de la

sédentarité s’est accompagné de l’acquisition d’une maîtrise du potentiel fertile de la terre. La civilisation romaine a été un peuple notoire d’agriculteur qui a tôt fait de comprendre l’intérêt qu’il y avait de s’adjoindre le droit comme élément protecteur de la terre. Culture du sol, élevage de bétail67 : voilà essentiellement les deux principaux moyens de subsistance de ce « peuple de la terre »68 réuni autour de ses rois puis, de ses empereurs. Ces moyens de subsistance ont été à ce point vital qu’ils ont influencé la formation des stratifications sociales. En effet, la population romaine des débuts a été distribuée au sein de grandes familles : les plus anciennes forment le « patriciat » - terme ayant pour racine pater. Ces dernières interagissent et vivent selon une existence basée sur un système plus ou moins complexe de gentes69 et de clientèle.

Pour cette « petite communauté latine »70, l’existence du Ius a embrassé prioritairement les matières où il y avait lieu de solutionner un problème concret. On devait pouvoir trouver un remède aux effets immédiats dans l’optique de garantir la cohésion, l’ordre social et l’atteinte d’un degré satisfaisant de réponse aux besoins primaires :

67 La Rome des débuts « paraît avoir été d’abord une assez modeste agglomération de cultivateurs et de propriétaires

de troupeaux, groupés à l’extrémité du Latium, à quelques kilomètres de l’embouchure du Tibre, autour d’un refuge fortifié sur un territoire d’étendue et de fertilité médiocres. » Girard, Lévy et Senn, supra note 2 à la p 12.

68 Michel Humbert, « Les XII Tables, une codification? » [1998] 27 Droit 87 à la p 6.

69 « On considère généralement que les gentes étaient des groupes unis dans la célébration de cultes communs. Ils

rassemblaient autour d’un aristocrate ses clients, utilisés pour former des armées privées et pour cultiver les terres de la gens. Le problème de la gens croise ainsi ceux de la formation de la cité et de la naissance de la propriété privée.» : Michel Christol, Daniel Nony et Clara Berrendonner, Rome et son empire: des origines aux invasions

barbares, coll HU Histoire Série Histoire de l’humanité, Paris, Hachette supérieur, 2011 à la p 38. Cette première

structuration de la société romaine porterait les graines des conflits à venir entre le patriciat et la future plèbe, qui n’existe pas à cette époque. On situe les premières traces de son existence entre le VIe et le Ve siècle av. J.-C.

Christol et ses collaborateurs rapportent d’ailleurs que le terme « plèbe » était utilisé dans les sources anciennes afin de désigner « ceux qui n’ont pas de gens ». Ils se disent d’avis que c’est la venue à Rome d’artisans et de commerçants qui aurait vraisemblablement fondé la création du groupe des plébéiens.

[…] un droit quelconque suppose trois éléments : une personne qui en est le sujet, qui l’exerce; une chose qui en est l’objet, sur laquelle il porte; une action qui en est la

sanction, à l’aide de laquelle on le fait reconnaître et protéger en cas de contestation71.

Le jurisconsulte romain et professeur de droit Gaïus décrit ainsi les domaines où le droit se déploie : « Les droits dont nous faisons usage se rapportent tous,soit aux personnes, soit aux choses, soit aux actions »72.

La propriété romaine dépend aussi dans une large mesure d’un ancrage terrien du Ius, Il n’a d’ailleurs probablement jamais existé dans toute la tradition romaniste de propriété aussi pure, massive et absolue que ne l’a été la propriété romaine - dominium de son appellation latine. D’ailleurs, les descriptions post romanistes du dominium convergent en un sens commun : « l’orgueilleuse puissance solitaire du propriétaire romain, étrangère aux rapports juridiques entre les hommes […] »73. La propriété romaine est unitaire. Son existence présuppose la présence d’une seule chose pour un seul propriétaire, forcément romain de citoyenneté74.

Plusieurs auteurs ont assimilé à la propriété romaine l’exigence du critère de la maîtrise corporelle. Là encore, on peut se questionner sur la validité de fonder la propriété sur la corporalité des choses. Gaïus effectuait la distinction entre la propriété corporelle et la propriété incorporelle. La classification gaïenne des choses peut offrir une clef de compréhension de la propriété romaine des choses comme le suggère la professeure et historienne Anne-Marie Patault75. Toujours selon elle, cette classification constitue même la « clef de compréhension du travail doctrinal qui sera opéré au Moyen Âge sur la propriété coutumière »76. Cela vérifie sans contredit l’existence d’une étroite contribution de la propriété romaine dans la formation du

71 Girard, Lévy et Senn, supra note 2 à la p 8.

72 Omne jus quo utimur vel ad personas pertinet, vel ad res, vel ad actiones. « Les droits dont nous faisons usage

se rapportent tous, soit aux personnes, soit aux choses, soit aux actions ». G 1.8.

73 Anne-Marie Patault, Introduction historique au droit des biens, 1re éd, coll Collection Droit fondamental Droit

civil, Paris, Presses universitaires de France, 1989 à la p 19.

74 Ibid à la p 18. À l’origine, remarque l’auteure, la propriété ne concernait que le sol romain avant d’être étendue

pendant le Bas-Empire aux territoires conquis.

75 Ibid. 76 Ibid.

droit de propriété qui sera élaboré subséquemment par les juristes de l’Ancien régime et de la Modernité. Mais avant d’aborder l’évolution de la propriété romaine, il convient tout d’abord de profiler les types d’objets qui se trouveront transcrits dans les classifications des choses. Pour ce faire, il convient de détailler préalablement la conception romaine de chose, cette unité de transcription des objets en droit.