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On commence donc formellement cette étude avec l’étude des représentations sociales et historiques de la terre dans l’héritage juridique du droit classique46.

À ce propos, notons que l’expression « droit classique » désigne, pour les fins de ce mémoire, deux époques spécifiques du droit civil : le droit romain et l’Ancien droit. Leur étude a été regroupée en raison de leur rôle d’ancrage pour le droit civil. Le droit classique, à qui revient le mérite d’avoir initié la construction des grandes fondations du droit civil, constitue le point de départ de ce chapitre. D’autre part, l’Ancien droit a parachevé le développement des bases du droit civil pour lui donner une forme mieux définie, une forme qui sera vaguement plus familière pour le juriste contemporain47.

46 « Le juriste qui ne sait que du droit ne connaît pas le droit ». Tiré de Claude Champaud, cité par Jean-Jacques

Sueur à la page précédant ses remarques introductives : Jean-Jacques Sueur, Pour un droit politique: contribution

à un débat, coll Dikè, Québec, Presses de l’Université Laval, 2011. En accord avec : Olivier Moréteau, « Premiers

pas dans la comparaison des droits » dans Jean Claude Gémar et Nicholas Kasirer, dir, Jurilinguistique : entre

langues et droits, Montréal, Thémis, 2005, 407 à la p 411.« […] la connaissance du droit ne peut se développer

sans la prise en compte de la dimension historique et comparative, sans rencontrer les autres sciences sociales et les sciences du vivant[…] ».

47 La tradition juridique du droit civil n’a jamais complètement rompu d’avec l’héritage juridique laissé par les

Comme mentionné, les éléments naturels ont toujours été présents dans la vie de l’être humain. C’est l’humanité de l’homme qui forge le droit des biens que l’on connaît et, comme nous l’avons dit précédemment, c’est l’anthropocentrisme qui donne sa couleur au droit48.

Au cours du processus d’axiomatisation du droit des biens, il appert que c’est un sentiment tout particulier qui a guidé le comportement humain à l’égard de la nature : il s’agit de la peur de la pénurie dans un contexte de survie49. Cette crainte, commune aux êtres humains, découle de l’impératif de survie immanquablement associé à la condition d’existence de tout être vivant en ce monde.

Dans les sociétés occidentales, ou encore dans les sociétés influencées par le mode de vie à l’occidental, une volonté toute aussi forte semble s’ajouter : celle du refus de se mettre à la merci du cycle naturel. De là, l’idée a germé d’une supériorité humaine sur la nature qui a peu à peu gagné en force au fur et à mesure que la terre venait à faire l’objet d’une certaine maîtrise technique par les premières sociétés agraires de la civilisation romaine. L’idée d’une supériorité humaine sur la nature s’est trouvée à être rationalisée lors de la formation du droit des biens, cela de façon très progressive. Ce faisant, la précarité de la subsistance et la nécessité de pourvoir à ses besoins ont conféré au droit un rôle d’adjuvant vers l’atteinte de la survie et de la stabilité. La terre, élément naturel fondamental pour la société agraire qu’était Rome à ses origines, a

parcellaires qu’ils redécouvraient. Ils ont tiré de cet héritage des éléments qu’ils ont adaptés aux réalités de leur époque. Ils ont métissé leur droit positif d’institutions juridiques romaines. Ce « droit écrit » ou encore « droit savant » comme on le surnommait constitua un réservoir de connaissances juridiques où les juristes vinrent puiser. Le recours au droit romain provoqua d’ailleurs de vives controverses entre les tenants du droit romain et ceux du droit coutumier, ce « droit vulgaire » mais mieux aligné sur la réalité de l’époque car formé par la pratique. Voir généralement Antoine Leca, Les métamorphoses du droit français: histoire d’un système juridique des

origines au XXIe siècle, Paris, LexisNexis, 2011 à la p 123. On peut voir dans cet exemple une preuve renforçant

notre cadre théorique.

48 Les comportements humains influent sur la formation du droit. En outre, Paul Martens remarque que le droit est

une discipline à prétention scientifique : Paul Martens, « Thémis et ses plumes » dans Nouveaux itinéraires en

droit : hommage à François Rigaux, coll Bibliothèque de la Faculté de droit de l’Université catholique de Louvain,

Bruxelles, Bruylant, 1993, 345 à la p 347. Il n’est pas rare de croiser ce genre de propos à l’égard du droit civil. Voir à ce sujet les intéressantes réflexions de l’essai suivant : Debruche, supra note 3. Le droit civil a souvent été critiqué pour son goût pour la théorisation. En ce qui nous concerne, nous percevons ce trait de caractère du droit civil comme une force plutôt qu’une faiblesse. Il est de la personnalité du droit civil de rationaliser ses constructions.

constitué l’épicentre créateur d’un droit romain appelé à poser les premiers axiomes du droit des biens.

Ce premier Chapitre avance que la terre s’est trouvée à être fragmentée en fonction de ce que l’on pouvait en tirer, cela dans un contexte de répondre à un impératif humain de survie. Le droit a été utilisé afin d’aménager l’accès à la terre, principale source de subsistance dont dépendent les masses. C’est donc dans la terre que se situe l’épicentre de la structure de la propriété classique.

Les époques correspondant au droit classique renvoient à des moments de l’histoire humaine occidentale où il y avait urgence de répondre à l’impératif de survie. Cette survie primaire s’est trouvée à être comblée en tout premier lieu grâce à la maîtrise des activités de subsistance liées à la terre. Cette maîtrise sur la terre a été facilitée sur le plan juridique, au point de fonder la structure sociale pendant le droit romain et l’Ancien droit.

Section I Le droit romain

Au sein de la tradition romaniste, le droit romain contient sans contredit les racines du droit civil. C’est également au droit romain que l’on peut associer l’initiation du processus de fragmentation juridique de la terre grâce à son apport en connaissances juridiques.

Le droit romain a laissé un « alphabet du droit »50, c’est-à-dire comme l’explique la Professeure Anne-Françoise Debruche, une « structure systématique et logique du droit par-delà les cas particuliers »51. Il fonde une majorité d’institutions juridiques contemporaines. À plusieurs égards, il a aussi coloré le regard porté par le droit sur la nature. La période gréco- romaine a semé les germes d’une philosophie juridique dont les postulats se raffineront au cours

50 Rudolf Von Jhering, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, 3e éd, traduit par

Olivier De Meulenaere, 1, Paris, A Marescq aîné, 1886 à la p 41.

de la maturation de la pensée juridique occidentale52. C’est dans l’ensemble de ces vastes réservoirs de connaissances que l’on tâchera de restituer la façon dont les romains concevaient une certaine vision de la terre.

Dans la partie qui suit, il sera illustré que la propriété romaine s’est édifiée grâce à une perception utilitaire de la nature et de ses éléments constitutifs, cela en raison de l’impératif de survie. Les Romains ont répondu à cet impératif grâce à un mode de vie axé sur la terre en aménageant leurs premières structures juridiques en conséquence. Une première ontologie nourrie d’abord par les philosophes grecs puis, intériorisée par les jurisconsultes romains, a servi à asseoir le soubassement d’un ordre naturel des choses favorisant la position dominante de l’être humain sur la nature. Le raffinement subséquent des structures de la propriété romaine de la terre et de ses classifications des choses a, pour sa part, esquissé une première fragmentation de la terre.

Sous-section I Du soubassement d’un ordre naturel des choses

Les réflexions de la philosophie classique sur la nature ont incité les grands penseurs à cogiter sur des concepts telsque l’ordre du monde ou la nature des choses. C’est à partir de ces concepts qu’ont été assises les fondations premières du droit.

Si l’on admet l’existence d’un ordre du monde, l’idée d’une nature des choses, en plus d’en découler, préconfigure une vision du monde dont l’origine trahit certes une conception anthropocentrique mais non forcément commune à l’ensemble des groupes humains.

52 Michel Villey, Le droit romain, 10e éd, coll Que sais-je?, Paris, Presses universitaires de France, 2010 à la p 49

et 50. « Le sens de la justice qui fleurit à Rome à l’époque des grandes conquêtes, l’a rendu relativement apte à satisfaire les besoins de toute société civilisée. La logique grecque lui donne une forme, qui rend possible sa transmission. »

Il résulte de la conjonction entre l’ordre du monde et la nature des choses l’idée d’un « ordre des choses », manière tierce d’exprimer « ce qui doit être » parce que « naturel ». Et, « [p]arce que l’ordre des choses se reflète dans le droit naturel, celui-ci constitue le modèle de la parfaite rectitude aussi bien pour l’individu que pour la société […] »53.

Sachant cela, en quoi donc peut-il être pertinent de revenir aux préoccupations originaires des philosophes grecs et des jurisconsultes romains à propos d’un ordre des choses? Tout simplement, parce que ces préoccupations ont nourri une certaine représentation sociale de la terre qui a exercé une influence sur la construction du droit romain.

On retiendra essentiellement deux facteurs qui ont mobilisé la structuration du droit romain, soit le rôle de la subsistance et le rôle de l’ancrage terrien du Ius. Ces facteurs ont influé sur la conceptualisation romaine de la chose.