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Le Livre quatrième, consacré aux biens dans le Code civil du Québec, reconfigure à certains égards la logique du droit des biens. Plusieurs incertitudes identifiées et discutées en doctrine, en raison du libellé de certains articles duCcBC, furent dissipées du coup.

Or, du CcBC au nouveau Code, une absence de définition de la notion de bien subsiste. En effet, quoique le bien soit omniprésent dans le Code civil du Québec et l’ait été dans le Code

civil du Bas-Canada, aucun article n’en dégage les traits. Cet état du droit à l’égard de la notion

de bien est fascinant à plusieurs égards, tout comme les raisons évoquées par le Ministre de la Justice afin de maintenir cet état.

On se remémorera que l’Office de révision du Code civil383, dans le cadre de son travail colossal de recodification, a inclus dans son Rapport sur les biens une définition destinée à asseoir une définition du bien384. Néanmoins, cette définition proposée au Ministre de la Justice demeura lettre morte et ne sera pas retenue pour l’élaborationdu Projet de loi 127.

382 Pierre-Gabriel Jobin, « La Cour suprême et la réforme du Code civil » (2000) 79:2 R du B can 27 à la p 42. 383 Il peut être intéressant de noter que la quasi-totalité des documents de travail, des rapports, de la correspondance,

des procès-verbaux des réunions, des notes de services internes et d’autres documents produits par l’ORCC, entre les années 1966 à 1979, ont été archivés et mis à la disposition dès 2012 grâce aux efforts du Centre Paul-André Crépeau en droit privé et comparé de la Faculté de droit de l’Université McGill :

Le lien hypertexte est le suivant : digital.library.mcgill.ca/ccro/.

384 Québec, Office de révision du Code civil, Rapport sur les biens, par le Comité du droit des biens, Montréal,

La définition proposée se lit ainsi : « Les biens d’une personne sont l’ensemble de ses droits personnels et réels »385. On en apprend un peu plus sur les raisons pour lesquelles il ne fut pas considéré pertinent d’aller de l’avant avec une définition du bien grâce à ce passage tiré des

Commentaires du Ministre de la Justice :

Ce terme, déjà employé dans différentes lois, n’a pas besoin d’ailleurs d’être défini. Il a, en effet, une acceptation générale et on sait ce qu’est un bien sans qu’on ait besoin de le définir386.

Selon ces Commentaires, la notion de bien n’a donc aucun besoin d’être définie. C’est même une évidence pour tous. Il s’agit donc d’un axiome. Et, comme tout axiome, il importe de le replacer dans le cadre du processus plus large d’axiomatisation qui l’a forgé.

On sait que la valeur économique constitue une partie intégrante de l’identité juridique du bien. Cette valeur économique s’est trouvée à être favorisée pendant la Modernité, puis à être reconnue dans le Code civil des français grâce à l’utilisation du terme de bien. En acceptant de

385 La raison pour laquelle l’ORCC aurait jugé pertinent de consacrer un article à la définition du bien était pour

rectifier une « erreur de classification qui s’est perpétrée au cours des siècles ». En se basant sur les travaux de Von Ihéring, l’erreur relevée par l’ORCC consiste en une « confusion que faisait l’Ancien droit romain entre le droit de propriété et la chose qui en faisait l’objet ». La citation de Ihering en question est la suivante : « En réalité, le droit de propriété est incorporel comme les autres droits réels qui ont pour objet des choses. Mais, d’autre part, les choses font l’objet non seulement du droit de propriété mais aussi des autres droits réels. » : Rudolf Von Ihering, L’esprit

du droit romain dans les diverses phases de son développement, 3e éd, Paris, Marescq, 1886 à la p 130. Cette

nuance sur l’incorporalité du droit de propriété se justifie considérant que la tradition civiliste a évolué et s’est théorisée en ce sens. Celle-ci est pertinente dans le droit civil actuel. Toutefois, ce reproche envers le droit romain offre l’occasion d’insister sur un point essentiel de notre analyse dans le Chapitre 1. Il est injuste de qualifier ce trait du droit romain d’erreur compte tenu qu’une telle nuance ne pouvait logiquement encore être faite au sein de la société romaine. Les jurisconsultes romains ont élaboré un droit de la propriété qui répondait à leurs besoins ou à leurs aspirations en tant que société : « Il ne peut être le même dans une petite société pastorale comme le fut la Rome primitive et dans la société française contemporaine. » : Philippe Malaurie, Les biens, 5e éd, coll Droit civil

(Defrénois), Paris, Defrénois, 2013 à la p 3. Aussi en est-il des juristes de la tradition civiliste qui ont adapté le droit romain ou tenté d’y demeurer fidèles.

386 Commentaire du Ministre de la Justice, Québec, Publications du Québec, 1993 sous l’article 899. Ce

commentaire a l’effet malheureux de jeter le voile sur l’activité doctrinale à qui l’on doit justement le fait d’avoir une meilleure connaissance du bien. Le « bien » a fait couler beaucoup d’encre, tant en doctrine française que québécoise : Grzegorczyk, supra note 225. Cantin Cumyn et Cumyn, supra note 81.

considérer le bien comme un axiome, le Législateur confère par le fait même une texture axiomatique à la valeur économique, pour ne pas dire que la valeur économique est elle-même un axiome. La profondeur de l’intériorisation juridique et sociale de la valeur économique est dès lors vertigineuse si l’on considère que la notion de bien est une évidence pour tous. En conséquence, considérer la terre et ses fragments comme des biens éventuels revient à les regarder avec une paire de lunettes dotée d’un filtre économique dont on ne soupçonne peut- être même pas l’existence.

Une position empreinte de recul, empruntée au droit comparé, facilite cette conscientisation. D’où la pertinence du recours à la Theory of tradition, doit-on le rappeler.

Le bien constitue certainement l’unité fondamentale de transcription des objets en droit. Ainsi, ce sont les choses que la nature crée et qui possèdent une valeur d’échange économique que le droit insère dans les grandes classifications des biens.