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Au sortir du droit classique, le processus de fragmentation de la terre est déjà bien amorcé. La Codification réorganisera le régime de la propriété et donnera corps au droit de

propriété et à la notion de bien. Les conditions de vie seront facilitées par l’industrialisation

mais l’accès à la terre demeure un enjeu juridique majeur. La terre, objet potentiel de droits, se fragmente à un niveau plus subtil encore dès lors que le critère de la valeur économique est intégré en droit avec l’introduction de la notion de bien.

Tout comme le droit classique a posé les piliers de la tradition romaniste, le droit moderne a apporté une évolution dans la pensée juridique en systématisant les principales théories juridiques et en les raffinant.

C’est une continuité philosophique qui relie la pensée classique à la pensée moderne en ce qui a trait à la supériorité de l’être humain sur la nature. Cette idée de supériorité, on le verra, a été reprise et réaffirmée par les Modernes lors de l’édification des théories juridiques. En effet, cette idée de supériorité s’imposait d’elle-même. Le rationalisme l’a justifiée et la mouvance des courants doctrinaux l’a intériorisée sans autre formalité. La Professeure Goyard-Fabre décrit de la façon suivante ce processus au plan des idées :

Le choc des positivismes et des jusnaturalismes, pour obstiné qu’il soit, n’est pas simplement répétitif. Les théories de la loi, dans leurs divergences, ont permis l’affinement des termes du problème de la fondation de l’ordre juridique. En cela, elles manifestent une évolution de la pensée au cours de laquelle la conquête la plus puissante a été celle de la raison moderne portant l’homme au-devant de la scène du monde. Avec une ambition quasiment prométhéenne, l’homme en est venu à affirmer, en face du Dieu de la tradition, sa volonté et sa capacité législatrices195.

Ce Chapitre soumet ce qui suit. La Codification française amalgame l’héritage du droit classique à une synthèse des idées inspirées par les idéaux modernes. Ce malaxage des idées a repositionné la propriété vers la concrétisation du droit de propriété. L’effet conjugué de ces courants théoriques a contribué à la fragmentation de la terre en valorisant économiquement le droit de propriété et en avalisant la valeur économique des choses grâce à l’introduction de la notion de bien. On verra qu’il s’est produit une valorisation économique du droit de propriété de même qu’une valorisation économique des biens.

Section I De la valorisation économique de la propriété

Le prélude de la Codification française possède véritablement des airs symphoniques compte tenu du rythme saccadé auquel les activités intellectuelles et politiques s’enchaînent et s’entrecroisent. En effet, la « philosophie moderne » souligne Michel Villey, à la lumière des travaux d’André-Jean Arnaud, agrège des courants doctrinaux tant composites que contradictoires196. Ce qui rend cette période si délicate à aborder réside dans le fait que chacun de ces courants a joué un rôle, de près ou de loin, dans l’édification du Code civil des français. La profondeur des travaux d’André-Jean Arnaud permet de le démontrer197.

L’examen du droit classique, selon une perspective attentive à la représentation de la terre, l’illustre : un processus de fragmentation des éléments naturels est déjà bien amorcé alors que l’on arrive aux portes de la Codification. Les particules issues du processus de fragmentation

196 André-Jean Arnaud, Les origines doctrinales du code civil français, coll Bibliothèque de philosophie du droit,

v 9, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 1969 à la p IV. La teneur des propos de Villey est la suivante : « Ce n’est pas d’une seule philosophie que sortira le droit moderne, mais du bouillonnement de tendances multiples et contradictoires. N’empêche que ces traits dominants de la philosophie dite moderne, rationalisme, individualisme hérité du nominalisme, idéalisme, constituent la clé des changements qui confèrent au Code ses traits originaux. »

se raffineront davantage au fur et à mesure que la propriété civiliste se restructurera en un droit

des biens plus cohérent et plus complexe.

Au premier plan, on verra de quelle manière les révolutionnaires ont cogité sur la propriété qu’ils ont tour à tour attaquée puis, valorisée. Il sera en outre question de faire ressortir en quoi cela a favorisé la consécration d’une lecture subjective du droit de propriété. Au second plan, on verra comment la valeur économique des choses en est venue à être la seule uniquement reconnue en droit et les conséquences que cette reconnaissance a engendrées dans la représentation de la terre. Ainsi, la terre et ses éléments connaîtront une subsomption de leur valeur économique au détriment de toute autre valeur. Cela contribuera à renforcer leur indifférenciation juridique et à restituer une classification des biens qui place au premier plan la valeur économique, cela avant toute autre valeur.

Sous-section I La redéfinition de la propriété

La propriété a fait l’objet d’attaques répétées pendant le bouillonnement prérévolutionnaire. Or, souligne Chantal Gaillard, ces attaques doivent être perçues comme le corollaire d’un débat d’idées198 où les intellectuels, forts de l’idéalisme des Lumières, ont proposé de nouveaux modèles de sociétésublimés.

Les développements suivants illustreront de quelle manière la propriété a été redéfinie à la lumière des idées des intellectuels de la Modernité. Il y sera question du rôle qu’a eu la réflexion révolutionnaire sur l’émergence du droit de propriété, de même que sur l’intensité de ce lien avec la terre qui n’est jamais demeuré bien loin. Par la suite, on verra que les effets a

198 Chantal Gaillard, La révolution de 1789 et la propriété : la propriété attaquée et sacralisée, coll Les Travaux

priori drastiques de la Révolution n’ont pas eu pour résultat de rompre le fil de la tradition

romaniste.