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L’entrée du continent américain dans l’histoire occidentale coïncide avec l’ère des grands mouvements de découvertes des XVe et XVIe siècles. Tandis que les autres puissances

301 Ce lien, d’ailleurs, est reconnu et affirmé sans peine par la doctrine tant québécoise que française : « Cependant,

il demeure que le Code Napoléon a fortement inspiré depuis plusieurs codes civils dans le monde. Cela a été le cas notamment du Code civil du Bas-Canada de 1866et même du nouveau Code civil du Québec dont l'année 2004 marque le 10e anniversaire. En effet, le Code civil du Québec se situe dans la continuité du Code Napoléon puisque son objectif fondamental (sic) est d'intégrer dans un document cohérent et homogène les principales règles et les principes de droit civil en se fondant sur la règle du "juste équilibre" dans le contexte du respect de la Charte des droits et libertés de la personne […]. Voir : Gil Rémillard, « Codification et mondialisation » (2005) 46:1‑ 2 C de D 601 au para 2.

européennes se disputent des morceaux de territoires, la France entre plus sérieusement dans la course avec l’arrivée de François 1er sur le trône302. La suite de ces événements a mené à l’absorption de larges pans de territoires nord-américains par la Couronne française303.

L’attrait est majeur pour la France et l’investissement en Amérique offre une opportunité de mettre la main sur de : « [p]récieuses réserves de richesses variées, pouvant suppléer à celles qui manquent dans la métropole, ou les compléter, ou les accroître »304. D’ailleurs, un collectif d’auteurs et d’historiens remarqueront que :

Sous l’administration de Colbert, (1661-1681), les relations économiques internationales visent à renforcer le commerce en faisant de la France une puissance maritime, le rôle des colonies étant de lui fournir les produits dont elle a besoin (Havard et Vidal, 2008)305.

Les éléments naturels présents sur et dans le sol américain sont donc au centre des préoccupations pour les rois des puissances européennes306.

302 Ce monarque encouragea les grandes entreprises d’exploration en sol américain. C’est sous ses ordres et son

financement d’ailleurs que le célèbre explorateur Jacques Cartier de Saint-Malo atteindra la côte est vers 1534. Les premiers contacts de Cartier avec les premières Nations furent décevants car rapporte-t-on «[c]e qu’ils lui offrent est pour lui choses de peu de valeur » : Jacques Lacoursière, Canada-Québec : synthèse historique, 1534-2000, Sillery, Septentrion, 2000 à la p 25.

303 Les pays européens se seraient lancés dans une vague d’explorations maritimes suite à la prise de Constantinople

en 1453 par les forces de l’Empire Ottoman. Ils y cherchaient un passage alternatif vers l’Inde, pays auprès duquel les marchands s’approvisionnaient en fournitures de toutes sortes.

304 Lacoursière, supra note 302 à la p 21.

305 Lydia Querrec, Lydia Auger et Louise Filion, « Perceptions environnementales et description du paysage de la

Nouvelle-France aux xviie et xviiie siècles » (2014) 138:1 Nat Can 45 à 55 à la p 46.

306 Cet intérêt n’est toutefois pas partagé par la majorité de la population française. Le célèbre passage du conte

Candide de Voltaire, écrit en 1753, est souvent cité. En un sens, il peut être considéré comme concrétisant le peu

d’impact que représentent les conquêtes françaises dans la vie des citoyens de tous les jours. C’est la valeur

utilitaire des choses qui est encore répandue dans cette époque de l’histoire occidentale, quoique l’on puisse sentir

Sous le Canada du régime français, un grand nombre de concessions originaires seront cédées dans la foulée de la colonisation du territoire307. Pour reprendre les mots de l’historienne Louise Dechêne, « la seigneurie a précédé tout le reste »308. Jean-François Niort, auteur d’un article consacré aux aspects juridiques du régime seigneurial en Nouvelle-France, remarque avec une certaine déception le mince intérêt suscité par cet objet spécifique de recherche. Tout en faisant écho à la citation de Louise Dechêne que nous avons également rapportée ci-haut, l’auteur Niort constate que :

[…] si les chercheurs sont parfois en désaccord sur l’importance et la nature exacte du rôle joué par le régime seigneurial dans la vie sociale, politique et dans la géographie de la Nouvelle-France, ils sont unanimes à reconnaître que ce

régime constitue en tout cas le cadre juridique fondamental de l’organisation foncière de la colonie, institué, ainsi que le rappelle la citation de Louise Dechêne

placée en exergue de cette étude, dès l’origine de celle-ci, avant même qu’elle ne soit peuplée, et demeuré inchangé jusqu’au XIXe siècle309.

307 La toute première concession à être consentie fut celle attribuée à Louis Hébert, qui sera connue plus tard sous

le nom de Sault-au-Matelot. Son emplacement correspond aujourd’hui au cœur du Vieux-Québec. En 1627, les héritiers de Louis-Hébert vendirent ces terres à Monseigneur de Laval. Voir : Benoît Grenier, Brève histoire du

régime seigneurial, Montréal, Boréal, 2012 à la p 55. Elle a été approuvée par le vice-roi pour le Canada, le Duc

de Ventadour, le « dernier jour de février mil six cent vingt-six. » Samuel de Champlain est alors administrateur et lieutenant de la Nouvelle-France. Voir Paul-Yvan Marquis, La tenure seigneuriale dans la province de Québec, coll Répertoire de droit, Montréal, Chambre des notaires du Québec, 1987 à la p 40. Il peut être intéressant de noter que le Duc de Ventadour, un religieux, a été nommé par Armand Jean Du Plessis, Cardinal de Richelieu. On rapporte que son arrivée à la direction du Conseil en 1624 amène une impulsion nouvelle à la colonisation de la Nouvelle-France. En effet, il aurait été de son ambition d’y mettre sur pied « une puissante société de colonisation pour la Nouvelle-France ». Voir : Lacoursière, supra note 302 à la p 50.

308 Louise St-Jacques Dechêne, Habitants et marchands de Montréal au XVIIe siècle, coll Civilisations et

mentalités, Paris, Plon Montréal, 1974 à la p 241.

309 Jean-François Niort, « Aspects juridiques du régime seigneurial en Nouvelle-France » [2002] 32 RGD 443 à la

L’essor du droit civil au Québec s’est enraciné grâce à un processus de maîtrise de la terre qui fut assuré par les tenures. Ce sont ces dernières qui ont permis d’asseoir une maîtrise sur la terre et sur les potentialités qu’elle pouvait offrir.

L’importance de la terre dans la branche québécoise de la tradition romaniste ne fait donc aucun doute. La terre, affirme-t-on dans le cadre de ce Chapitre I, a été un vecteur d’implantation et de diffusion de la tradition romaniste de ce côté-ci de l’océan Atlantique.

Dans un premier temps, la vérification de cette affirmation passe par une étude du bagage de connaissances contenu dans l’héritage bas-canadien et québécois. La Section I abordera les différents régimes de tenure qui ont scindé le territoire. Une attention particulière sera accordée à l’esprit avec lequel ces tenures ont été concédées par la Couronne française et ses représentants en Nouvelle-France. On tâchera d’illustrer que le découpage du territoire, tant juridique que juridictionnel, s’est fait dans l’optique d’en favoriser la rentabilisation économique. Ce premier fait historique a son importance dans le contexte québécois et il convient de l’aborder avec tout le recul qu’impose notre cadre théorique. On s’efforcera également d’être attentif aux couleurs que le droit québécois a acquis des suites du contact avec le droit de la tradition juridique de

common law.

La Section II complétera cette étude en abordant la manière dont le régime de la propriété privée sera accueilli au Bas-Canada.

L’intention générale qui guide la rédaction de ce Chapitre est d’établir le rattachement du droit civil québécois à la tradition romaniste.

Section I D’une division du territoire favorisant la rentabilisation

économique

Grâce à l’appropriation de la terre et à l’implantation des régimes de tenure, la colonisation, non seulement française310, a eu pour résultat de diffuser par le fait même une

certaine conception de la nature. En effet :

À leur arrivée en Nouvelle-France, les explorateurs considèrent qu’ils sont en présence d’une forêt primitive, idéalisée et vierge (Parent, 2001). C’est pourquoi les premiers colons identifient les utilisations qu’ils peuvent faire des ressources qui sont à leur disposition. Plusieurs naturalistes de l’époque sont d’avis que la nature n’a rien créé en vain, mais que toute chose a sa place et sa finalité. C’est d’ailleurs ce que Cornuty, en 1635, appelle le « principe finaliste ». Les

explorateurs, les seigneurs, les marchands et les habitants ont imposé leurs propres conceptions de la nature et ont opéré une transformation profonde du

paysage par le biais de pratiques agricoles et de coupes forestières qui ont entraîné un recul de la végétation indigène (Coates, 2003)311.

Comme il est possible de le constater à la lecture de cette citation, les premiers colonisateurs français ont emporté avec eux une certaine conception de la nature, de la terre, de même qu’une certaine vue sur la manière dont devrait se nouer la relation juridique entre l’être humain et son environnement. Cette conception particulière a été préalablement intériorisée au sein de la tradition romaniste, avant d’être restituée et adaptée au contexte propre de la colonisation.

310 Il est très important ici de le mentionner. En effet, le colonialisme n’est certainement pas exclusif à la France et

fait partie du passé de nombreux pays européens.

Sur le plan juridique, les notions de droit de propriété et de valeur économique sont encore en état de latence dans le droit civil français, où le droit coutumier est en vigueur.

Le plan cadastral312, qui découpe actuellement le territoire québécois, connaît un historique complexe et enchevêtré. Cette Section I affirme que ce sont les tenures qui ont semé les germes d’une implantation, en sol nord-américain, de la structure civiliste du droit de

propriété et de la survalorisation de la valeur économique. Ce découpage a eu pour effet

d’amorcer au Québec le processus de fragmentation juridique de la terre. L’ensemble de ces phénomènes sociaux et historiques ont soutenu l’édification de la première Codification bas- canadienne en 1866 qui, d’une autre main, s’est beaucoup nourrie aux sources du Code civil des

français alors en vigueur depuis 1804.

Considérant le rattachement juridique de la Nouvelle-France à la métropole française, les connaissances acquises grâce à la précédente étude de l’Ancien droit français trouveront donc ici une résonnance toute particulière. Au fur et à mesure de cette Section I, on sera à même de constater que l’étude du régime juridique de l’ancien régime a permis de défricher la matière de la sous-section I. On commencera par détailler la division physique puis juridictionnelle de la terre dans les Sous-sections suivantes.

L’étendue de cette recherche couvre une période allant des débuts de la colonisation

française jusqu’à la codification bas-canadienne. Concernant l’analyse de l’avènement du Code civil des français, elle permettra justement de constater l’étroitesse du lien qui rattache le Code civil du Bas-Canada au Code civil des français, et plus généralement à la tradition romaniste313.

312 « Le plan cadastral situe les immeubles en position relative, indique leurs limites, leurs mesures, leur contenance

et leur attribue un numéro particulier ou distinct » : Jean Gagnon et al, L’examen des titres immobiliers, 4e éd,

Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2014 à la p 33; voir aussi Christine Gagnon, La copropriété divise, 3e éd,

Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2015 à la p 33.

313 Ce rattachement est, à notre sens, indéniable en matière de droit privé québécois. On le verra d’ailleurs dans le

Sous-section I Des tenures

Afin de tirer avantageusement partie de ces terres, encore fallait-il voir à leur peuplement et y établir des personnes qui maximiseraient les potentialités d’exploitation de ces richesses. La Sous-section I approfondit le rôle de la division physique du territoire canadien.

On ramènera la division du territoire, par le régime des tenures, à deux grandes étapes, celle ayant eu cours sous le régime seigneurial français et celle ayant eu cours sous le régime

britannique.