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La distinction effectuée, entre les choses appropriables et celles qui ne sont pas, est tributaire du type d’objet face auquel on se situe. On retrouve principalement des fragments des éléments naturels dans les choses appropriées – soit les biens – et au sein de la classification des

res communes « choses communes ».

Sous-paragraphe I Les choses appropriables

Les biens appropriés regroupent l’ensemble des choses qui se sont vues transcrites en droit grâce à la notion de bien. De fait, une valeur économique leur est attachée. Le droit de propriété sur les biens peut être transmis notamment grâce aux modes d’acquisition énumérés au premier alinéa de l’article 916 du CcQ : par contrat, par succession, par occupation, par prescription, par accession ou par tout autre mode prévu par la loi.

Les res nullius, c’est-à-dire les biens sans maître, s’appuient sur l’article 934 du CcQ. On place dans cette catégorie les animaux sauvages en liberté440 et ceux ayant échappé à leur propriétaire, la faune aquatique de même que les res derelictae, les « biens abandonnés »441. Tant pour les biens442 que les choses443 sans maître, l’occupation représente le mode privilégié d’acquisition sous réserve de leur caractère appropriable.

440 Manoir Kanisha inc c Jakowenko, 2009 QCCQ 14904, [2009] QJ n0 16681 au para 79. Cette décision, citée

dans le Code civil annotée de Baudouin Renaud, s’appuie sur des propos tirés de l’ouvrage suivant : Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, 2e éd, Montréal, Thémis, 2007 à la p 1020.

441 Art 934 et 935 CcQ.

442 Art 935 CcQ. Seuls les biens meubles sont ici visés. Les règles concernant les immeubles sont différentes. 443 Art 914 CcQ.

À titre d’illustration de res nullius, il est possible d’y classer les insectes, le gibier, les poissons, les crustacés, les produits des fonds marins, les feuilles tombées au sol, les foins, et autres.

Sous-paragraphe II Les choses communes

Comme on l’a vu au cours du Titre I, la classification des choses communes a traditionnellement contenu des éléments naturels perçus comme inaccessibles. Les raisons sont les suivantes : soit qu’il n’était pas considéré encore utile de les maîtriser, soit que les connaissances techniques afin de les extraire manquaient encore, soit que leur étendue ou leur consistance physique repoussait a priori toute maîtrise, ou autres.

Tel qu’énoncé dans l’article 913 du CcQ, certaines choses ne sont pas susceptibles d’appropriation. Elles ne peuvent donc acquérir la qualité de bien. Leur usage est commun à tous et se trouve de temps à autre régi par d’autres lois spéciales. Elles représentent donc, sous l’autorité du Code civil du Québec, des choses dont l’usage est commun à tous comme l’air et l’eau, à la différence que la personne qui les recueille et les met en récipient se les approprie444. Le principe de la non-appropriation des choses communes se trouve donc à être ébréché.

L’eau a perdu quelque peu son caractère commun depuis l’adoption de la Loi affirmant

le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection 445. En effet, d’un côté, on vient réaffirmer son statut de chose commune donc non appropriable. De l’autre, l’État se pose en gardien de l’eau, l’affirme faisant partie du patrimoine commun de la nation québécoise et la rend sujette à redevances446. On peut certainement accueillir la fixation du statut

444 On peut notamment penser à l’air comprimé dans le cas de l’air : Frenette et Brochu, supra note 392 à la p 247.

Quant à l’eau, ils mentionnent l’eau embouteillée.

445 Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection, supra note 432. 446 Voir le préambule de cette loi.

juridique de l’eau une bonne fois pour toutes447. Toutefois, comme le suggèrent les avocats Daniel Bouchard et Hélène Gauvin, il aurait été préférable d’intégrer directement les précisions voulues aux articles pertinents du Code civil afin d’en assurer la limpidité et la centralisation juridiques. Or, cette nouvelle loi contribue encore davantage à fragmenter le traitement des ressources naturelles et à compliquer le tableau sur le plan pratique :

Bref, l'encadrement juridique actuel de la gestion de l'eau au Québec est sectoriel, ce qui génère des chevauchements, de la confusion, des conflits de juridiction et même des conflits d'interprétation. Et, malheureusement, la nouvelle Loi sur les ressources en eau est venue ajouter à ce désolant tableau […]448.

Comme l’illustrent ces auteurs, la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en

eau n’ajoute que peu à ce que contient déjà le CcQ concernant le statut juridique de l’eau449. Ils remarquent également qu’« [a]ctuellement, à moins d'être spécialiste en la matière, un citoyen ne pourra que difficilement faire une lecture de la loi qui intègre l'ensemble des paramètres propres à la gestion de l'eau »450.

La finalité réelle d’une loi sur l’eau était peut-être seulement d’aller chercher une source de revenu supplémentaire pour cette ressource naturelle que l’on surnomme aisément « l’or bleu »451. Quoiqu’il en soit, il s’agit d’un exemple particulièrement significatif qui illustre le raffinement systématique du processus de fragmentation des ressources naturelles. De plus, le

447 Madeleine Cantin Cumyn, « L’eau, une ressource collective: portée de cette désignation dans la Loi affirmant

le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection » (2010) 51:3‑ 4 C de D 595.

448 Daniel Bouchard et Hélène Gauvin, « Plus l’eau a de gardiens, plus elle est en péril » (2010) 51:3‑ 4 C de D

879 au para 38.

449 Ibid au para 39 et s. Dans le cadre de leur démonstration, les auteurs ont procédé à une intéressante comparaison

entre les articles qui se recoupent entre la nouvelle loi sur l’eau et les dispositions existant déjà dans le Code civil du Québec, ou encore dans la législation spéciale déjà en place telle que la Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ c Q-2.

450 Bouchard et Gauvin, supra note 448 au para 58.

451 Voir par ex Isabelle Marcotte-Latulippe et Catherine Trudelle, « Eau Québec, quel avenir pour l’or bleu » (2012)

principe de l’article 913 du CcQ se fissure dès que les choses, traditionnellement qualifiées de

res communes, tendent à acquérir une valeur économique.

« Tout le monde peut jouir des choses communes comme l’air, la lumière, l’eau, à condition de respecter le fait que ce droit est commun à tous […] »452 : déjà, cette affirmation écrite par Mignault fait preuve de candeur. En effet, le droit ne s’occupe pas de choses sans raison.

Dans le Livre huitième De la prescription, on retrouve une nuance supplémentaire concernant les choses hors commerce. En effet, l’article 2876 différencie entre ce qui est hors

commerce par nature ou par affectation.

Sous-section II La segmentation de la terre

Outre les classifications juridiques du Code civil du Québec, la terre connaît d’autres sources de fragmentation. On verra dans les développements qui suivent que la division physique de la terre soutient très souvent un régime juridique spécial en marge du Code. Parfois, il arrive que ces régimes juridiques consacrés à la terre se croisent, ou encore qu’ils interagissent avec des secteurs du droit civil autres que le droit des biens dans la mesure où une telle interaction tend à favoriser la création de valeurs économiques. On ne fera cependant pas la recension exhaustive de toutes les règles consacrées à la terre et au sol. Il sera plutôt question de dégager les caractères principaux des représentations sociales de la terre.

452 Pierre-Basile Mignault, Le droit civil canadien basé sur les « Répétitions écrites sur le Code civil » de Frédéric

Mourlon avec revue de la jurisdprudence de nos tribunaux, t 3, Montréal, C Théoret, 1896 à la p 232 et 233. Ce

passage spécifique est repris dans une décision de la Cour supérieure du Québec portant sur un cas de trouble du voisinage : Laforest c Ciments du Saint-Laurent, [1974] CS 289 (rés) au para 26.

Une brève étude du régime minier sera menée afin d’appuyer nos propos. Cette étude ne sera cependant pas dirigée grâce à une optique positiviste. Elle le sera plutôt d’un œil externe.

Pour les besoins de ce mémoire, on a découpé la terre en deux parties : le dessus et le dessous. Le Paragraphe I sera consacré à la représentation juridique du dessus, tandis que le Paragraphe II abordera plutôt le dessous.