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5. Démarche de recherche

5.3 Déroulement des entretiens

5.3.1 Résumé du parcours de vie de Thomas

Maintenant, voici Thomas.

5.3.1 Résumé du parcours de vie de Thomas

Thomas est né à Lausanne en 1973, il est issu d’une famille recomposée, son père part lorsqu’il a deux ans, sa mère divorce à ce moment pour la seconde fois et s’installe du côté de Montreux. Son père s’est marié trois fois.

Thomas ne connaîtra ses demi-frères et demi-sœur que très tardivement, car il y a comme une Omerta concernant les nouvelles familles de son père.

Thomas grandit donc avec sa mère et son beau-père. Il ne comprendra que plus tard que son père s’est marié à trois reprises et qu’il est né de son premier mariage.

Thomas s’est rendu compte dès son plus jeune âge de cette loi du silence familial.

D’ailleurs, il ne rencontre son père biologique qu’une seule fois, à 6-7 ans. Thomas demandera même à sa mère qui est cette personne (ayant le sentiment qu’il s’agit de son père). Cette question restera sans réponse.

Très rapidement, Thomas ressent dans le regard de sa mère comme l’aveu de sa propre nullité, elle se sent désarmée, elle est dans l’incompréhension. Ce n’est pas un manque d’intelligence selon Thomas, mais une manière différente d’apprendre, il se sent déjà amoindri de cette situation dans laquelle personne ne lui fournit aucune réponse.

Son père, de son côté, a reconstruit une famille à l’île Maurice, composée de quatre garçons et d’une fille dont deux métis issus de trois mères différentes. Ses demi-frères et demi-sœurs sont nés à des intervalles de deux-trois ans. Sa plus jeune demi-sœur a quinze ans de moins que lui. Il retrouvera 30 ans plus tard cette famille à l’île Maurice après le décès de son père.

En 1983, Thomas a 10 ans, il sent que quelque chose ne va pas. Pas de réponse à ses questions, pas de références paternelles auxquelles il aspire. Thomas sent que tout bascule, il s’exile en lui pour se réfugier et inventer son propre monde. Thomas dira que c’est le moment de prise de conscience de sa différence.

La relation avec son beau-père n’améliore pas son ressentiment, la confrontation avec cet instituteur est selon lui préjudiciable à sa sensibilité exacerbée. Peu de contact, quelques souvenirs agréables en sa compagnie comme d’apprendre à faire

du feu, à construire une cabane. Un contact fragile qui ne s’est pas développé depuis.

De 11 ans à 17 ans les souvenirs de Thomas concernant l’école se résument à un sentiment de mal-être. Thomas bégaye, porte des lunettes, il semble attardé parce qu’il a besoin de plus de temps que les autres pour comprendre. Néanmoins, Thomas réussit sa scolarité « par miracle » dans la section la plus basse, la section pratique dans le canton de Fribourg.

C’est ensuite qu’arrivent les premières sorties en ville, les premières fugues, la consommation de drogues et d’alcool qui augmente, l’envie de ne plus rentrer à la maison. Le premier stage de serrurier à 19 ans se solde par un cuisant échec au bout d’une semaine.

Puis, ce sont les errances qui commencent dans ce terrain de jeu qui lui paraît alors beaucoup plus grand. Resquillage, menus larcins et petits trafics deviennent le quotidien de Thomas. Si bien qu’à force d’être au contact de cette forme de petite délinquance, de se faire « choper » par les flics, il est envoyé en maison de

correction. Après un mois et demi d’emprisonnement, la justice oblige Thomas à débuter un apprentissage pour lui éviter de rester en détention. Il choisit ce qui lui paraît le plus simple, un apprentissage aux CFF. Il commence donc un

apprentissage de contrôleur.

Ce n’est pas le moment pour lui de se retrouver dans une salle de classe, ni dans un stage. Il n’arrive pas à suivre les cours, il a de très mauvaises notes et se sent

humilié et rabaissé par son maître d’apprentissage qui l’a déjà « étiqueté ».

Thomas est finalement renvoyé de cet apprentissage. C’est le début d’une longue

« dégringolade ». Même les relations amoureuses qui débutent sont fragiles, Thomas « picole », traîne dans la rue, traîne dans les squats. Quelques petits boulots d’intérim comme vendeur dans un supermarché, par exemple. Des petits boulots qui ne durent pas.

Vers 20 ans, c’est un moment d’ouverture lorsqu’il trouve un poste comme aide-animateur dans une maison de quartier pendant quelques mois. Cela se termine par sa fuite avec la caisse (quelques centaines de francs) pour aller faire la fête à Paris parce que, dit-il, il « se sent rejeté ».

Il est « viré » de son travail, passe devant un tribunal qui le condamne, et son jugement sera pour la première fois inscrit dans son casier judiciaire.

Cela a comme conséquence que son « père adoptif » le renvoie aussi de chez lui, en lui trouvant un studio. Thomas se retrouve de nouveau au chômage, il boit et fume toute la journée et tente de retrouver du travail en s’inscrivant de nouveau en intérim. Il n’y croit pas trop et poursuit ses excès.

A force de ne plus présenter de recherches d’emploi, il perd ses droits au chômage.

Il se retrouve comme un S.D.F. à vendre le Macadam journal. Il se fera maintes fois

« ramasser les journaux par les flics ».

Thomas vit dans la rue puis à l’Armée du Salut. Il est ensuite hébergé dans une famille d’accueil, retrouve du travail et un appartement, alterne périodes de travail alimentaire dans des missions de manutention temporaires et périodes de chômage.

Thomas continue de boire, sans véritablement retrouver une structuration suffisante pour avancer. Il n’arrive pas à se concentrer, devient violent avec ses collègues sur le lieu de travail parce qu’il se sent incompris, il est finalement de nouveau renvoyé.

Cette existence marginale et précaire se poursuit jusqu’à ses 30 ans. Thomas se calme un peu sur la boisson et fait la rencontre d’une généraliste « thérapeute ». Il commence à prendre des médicaments et développe rapidement une addiction.

Suite à sa rencontre avec une femme qui le motive, Thomas recommence un

apprentissage, de libraire cette fois. Cet apprentissage se termine de la même façon que les autres, à cause d’un manque de concentration et de conflits violents avec les autres élèves et les profs.

Quatre mois après le début de sa formation, son conseiller en placement l’avertit que sa formation ne sera pas remboursée. Thomas décide de faire la demande de financement auprès de l’Hospice général. Il ne terminera pas ses démarches, étant persuadé qu’il est bon à rien, nul et qu’il ne sait pas se faire comprendre.

Thomas recommence une longue période durant laquelle il se sent en échec, il reste des années à l’Hospice général et recommence une seconde thérapie. Il a alors 33-34 ans. Cela ne lui apporte aucun réconfort.

Il a pourtant le projet de construire sa propre boîte de « management d’artistes ».

Son assistante sociale l’en dissuade, une façon de lui faire comprendre que ce n’est pas dans ses cordes.

Il perd de nouveau sa petite amie, continue à faire des recherches d’emploi

« bidon », à boire et fumer des joints.

A 36 ans, il décide de faire une troisième thérapie qui commence et s’arrête aussitôt, noyée dans « l’alcool, les joints et compagnie ».

Peu après, une quatrième thérapie commence, qui se termine rapidement avec de nouveaux médicaments qui ne lui font « aucun effet ». Par contre, à 37 ans, sa

« défonce » à l’alcool et aux joints devient de plus en plus sévère.

C’est à cette période de sa vie que Thomas commence les « allers et retours » dans l’unité psychiatrique des HUG. Car il ne se contrôle plus, il se sent « vraiment à la ramasse », il se fait du mal physiquement, se scarifie, et atteint une souffrance et une solitude inédites. Totalement déprimé, Thomas arrête pourtant la thérapie et tente une nouvelle fois de cesser alcool et joint et décide pour tenir de bonnes dispositions de se marier.

C’est une décision lourde de conséquences. Il ne supporte rapidement plus le regard de sa femme, qui le considère « comme le meuble au milieu du salon ». Cela l’amène à « tout péter et à partir en vrille ». Il slame dans la rue, insulte les gens,

« pète » les plombs dans les bars, « pète » les plombs violemment avec son épouse, qui le quitte et part. Lui ne cesse de se faire arrêter par la police pour son

comportement « inadapté » sur la voie publique. A 40 ans, Thomas est finalement placé en internement forcé à Belle-Idée. Il y fait des allers et retours en voulant sans cesse fuguer. Il n’arrive pas à faire reconnaître qu’il est autonome. Personne ne semble y croire, même sa belle-sœur appelle les services sociaux et sa mère pour faire contrôler l’état mental de Thomas par un expert qui décide finalement de le mettre sous curatelle et en hébergement dans un hôtel social.

Thomas prend conscience qu’il doit reprendre sa vie en main, il a besoin qu’on l’aide et rencontre une psychologue. Il a 42 ans, et c’est lors de sa cinquième thérapie qu’il entend parler pour la première fois du TDAH. Sa psychologue lui conseille de faire les tests pour dépister ce TDAH.

Thomas débute des activités d’ergothérapie qui lui sont proposées par l’Arcade 84, il y pratique un atelier d’écriture et un atelier de photo qui le structurent.

Un couple accompagne sa « démarche spirituelle » et l’aide à y voir plus clair.

Sa vie « nouvelle » semble se structurer autour de ce diagnostic qui lui semble salvateur. Encore faut-il accepter de prendre le traitement à la Focaline (Ritaline) qui l’accompagne. Il considère ce traitement comme une « bonne aide », « une bonne béquille ».

Thomas met en place sa première exposition photo à l’arcade 84 et prévoit d’organiser un petit voyage à l’île Maurice pour y retrouver ses racines familiales paternelles. Il a le sentiment qu’il va peut-être franchir un nouveau cap.

Photo 2 de Thomas présentée lors d’une exposition à l’Arcade 84, Genève. Titre : « Justin no Bieber »