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5. Démarche de recherche

5.1 Introduction aux différents récits

J’ai été confronté aux problèmes de santé psychique à travers mon frère, qui a été déclaré psychotique vers l’âge de 20 ans. Un psychiatre, après l’avoir rencontré, a dit à ma mère : « Votre fils est gravement malade, il est atteint d’une psychose ».

15 https://www.arcinfo.ch/dossiers/avoir-20-ans-en-2020/articles/ces-jeunes-qui-ont-surmonte-leurs-troubles-de-l-apprentissage-1017616

Pendant mes études en formation d’adultes à l’UNIGE, j’ai été captivé par les cours de Jean-Michel Baudouin consacrés à l’approche biographique. L’un de ces cours était consacré à la production d’un entretien biographique, un récit de vie, avec la personne de son choix. J’y voyais une façon complémentaire et sociologique d’élargir et de compléter mon analyse psychanalytique d’obédience lacanienne à laquelle je consacrais trois séances par semaine.

Il y a quelques années, j’ai rencontré Clara16 à l’association Arcade 84, un « centre de jour, lieu de vie et de soin »17 pour des personnes souffrant de problèmes psychiques.

Après en avoir parlé avec Clara, j’ai réalisé que la problématique de la santé mentale était primordiale pour moi. Je souhaitais consacrer un moment à explorer les

dimensions personnelles et sociales en lien avec ce sujet en utilisant l’entretien biographique.

Clara a accepté de participer à un entretien que nous avons mené à deux avec une compagnonne de formation, Sandra Coppey.

Suite à ce récit, j’ai demandé à Clara si des personnes de son entourage

accepteraient cette démarche de récit de vie avec moi pour poursuivre mon étude.

Elle me donna peu après les numéros de six de ses proches prêt.e.s à tenter

l’expérience. J’ai ainsi réalisé des entretiens enregistrés avec ces personnes (dont la durée a fluctué de 40 minutes à plus de 8 heures). Parmi ces personnes, Fred et Thomas, dont j’ai retenu les entretiens pour cette recherche.

Si j’ai retenu ces entretiens c’est d’abord parce que celui de Clara était pour moi absolument déterminant dans ma compréhension de la méthode du récit de vie, mais aussi et surtout parce que Clara me semblait très à l’aise dans sa

communication et la verbalisation de son parcours réel, imaginaire et symbolique.

Pour Fred18 et Thomas19, il en va tout autrement. L’un et l’autre ont des parcours très différents, ce qui présente un intérêt, comme nous le montrerons dans l’analyse des récits. Il y avait aussi le souhait de choisir des récits qui ne soient ni trop courts ni trop longs. Une heure et demie me semblait un bon compromis.

Par la suite, j’ai poursuivi la production des récits de vie en dehors de mon mémoire, mais cette fois avec des acteurs sociaux en lien avec la MM. J’ai ainsi eu l’occasion de faire une émission de radio20 consacrée au récit de vie, à laquelle j’ai invité le responsable d’une association d’insertion, le président d’une association de

proches aidants et la directrice d’une institution qui traite de questions en lien avec la MM. C’était une façon pour moi d’élargir ma vision et ma compréhension du sujet.

16 Prénom d’emprunt

17 http://www.arcade84.ch

18 Prénom d’emprunt

19 Prénom d’emprunt

20 https://www.frequencebanane.ch/archive/recitdevie/recit-de-vie-2-jean/

https://www.frequencebanane.ch/archive/recitdevie/recit-de-vie-a-la-rencontre-de-mo-un-jeune-homme-transsexuel/

https://www.frequencebanane.ch/podcast/emissions-podcast/recit-de-vie-4-arturo/

Il y a deux ans, je me suis porté volontaire pour devenir curateur d’un certain nombre de « pupilles ». La problématique liée à la MM est présente dans ce nouveau travail et mon expérience s’en est trouvée enrichie. Cette expérience me permet d’avoir maintenant une petite expertise. Cette expertise est devenue une expertise de l’interstice, car elle est à cheval entre différentes institutions (et dans l’entre-deux relationnel, comme je l’ai déjà précisé).

Elle est à cheval entre le « social », représenté par les assistantes sociales avec qui je suis en contact, les institutions judiciaires représentées par le tribunal et ses acteurs (juges, greffier, assesseurs), les institutions administratives (assurances, impôts, offices des poursuites, etc.) et bien sûr les institutions médicales (représentées en particulier par les médecins et les infirmières en chef avec qui je suis en contact).

Si je dois rendre des comptes au tribunal, il ne s’agit en général que de chiffres et d’un commentaire de quelques lignes sur « l’évolution » de la pupille et sur l’intérêt ou non de poursuivre la mesure judiciaire de mise sous curatelle. Les assesseurs de justice (des bénévoles qui assistent les juges) sont les seul.es représentant.es du tribunal avec qui je suis en contact. C’est un lieu « hors cadre ».

J’ai donc une large marge de manœuvre quant à la manière de m’adapter et

d’exercer ce métier. Cela rend ce travail d’autant plus intéressant qu’il s’inscrit dans la réalité de l’exercice de ma profession de formateur d’adultes.

Comment mettre en mots les épreuves dans les récits ? À travers l’exploration des cinq dimensions de la personne tel que le milieu médical (en ETP) les définit

(cognitif, émotionnel, ressentis, métacognitif, infracognitif), nous obtenons un récit subjectif des dimensions d’épreuve que ressentent les personnes qui racontent leur parcours de vie. Ces questions deviennent le fil directeur de nos entretiens tout en s’intégrant dans le cours de vie de ces personnes.

Dimension perceptive • Qu’est-ce qu’il perçoit ?

• Qu’est-ce qu’il ressent ? Dimension cognitive • Qu’est-ce qu’il sait ?

• Qu’est-ce qu’il fait ?

Dimension infracognitive • Quels sont ses raisonnements ?

• Quels sont ses non-dits ? Dimension

psycho-affective

• Qui est-il ?

• Comment vit-il sa maladie ?

Dimension métacognitive

• Quelles sont ses valeurs ?

• Quelles sont ses représentations ?

• Quel est son regard sur le monde (notamment sur sa santé, sur le système de soins) ?

• Quel est son projet de vie ?

Tableau 11: Exploration des 5 dimensions de la personne (Golay, Lagger & Giordan, 2009, p. 55).

C’est à partir de cette trame de base que j’ai conçu les entretiens. Les questions arrivent naturellement à travers le récit et mes propres interrogations.

J’ai délibérément demandé à Thomas, Fred et Clara de démarrer leur récit par ce qu’ils connaissent de leur filiation. Ensuite, je me suis laissé porter par le fil des histoires de vie en essayant de rappeler certains repères chronologiques. Cela m’a permis d’approfondir certaines des dimensions en fonction de leurs récits et d’avoir une vue d’ensemble de leur parcours de vie.

J’en ai fait un résumé ainsi qu’une chronologie simplifiée.

A partir de ces parcours, je me suis penché sur les épreuves qu’ils ont surmontées et qui les ont emmenés dans des espaces de transition, puis vers des bifurcations.

J’ai réfléchi à la manière dont leur moi a évolué, s’est transformé avec les premiers symptômes et après le diagnostic de leur maladie par un médecin, puis à ce que leur moi est devenu pendant le traitement, et si ce moi s’est individualisé et comment, avec la maladie.

5.2Comment j’ai utilisé les transitions, les bifurcations pour identifier les épreuves liées à la maladie.

J’ai repris les domaines d’épreuve généraux de Martucelli.

Ce tableau synthétise les domaines d’épreuves qui m’ont guidé pendant nos entretiens. Il est inspiré du classement effectué par cet auteur.

Épreuves

(A) Épreuves du parcours individuel institutionnel et

formalisé

(B) Épreuves en lien avec les dimensions du lien social 1 Expérience scolaire Le rapport à l’histoire 2

Rapport au travail et situation

d’emploi Le rapport au collectif 3

Relation à l’espace et à la mobilité

Le rapport aux autres 4

La vie familiale Le rapport à soi-même

Tableau 12 : Typologie des épreuves (inspiré de Martucelli, 2006, p. 24).

Dans le cas des personnes interviewées, il y a un lien entre ces épreuves et le moment dans lequel elles se trouvent par rapport à leur maladie. Par exemple, les ennuis rencontrés à l’école sont à mettre en relation avec certains symptômes et une recherche de remèdes.

Même chose pour le travail qui devient une épreuve insurmontable et accentue leurs symptômes sans qu’ils puissent trouver des remèdes. Leur moi est ainsi fracturé.

A partir de ces épreuves, j’ai repéré des dispositifs institutionnels et personnels (souvent les deux semblent inextricablement liés) en lien avec la maladie (avec ses symptômes, ses diagnostics et ses traitement) et repéré dans les récits ce que

Thomas, Fred, Clara en disaient, s’ils étaient de bons dispositifs, de moyens dispositifs (inefficaces sur la durée) ou de mauvais dispositifs.

J’ai ensuite fait une synthèse pour obtenir un dispositif général qui montre le parcours institutionnel des personnes malades. Enfin, j’ai tenté de découvrir

comment leur moi pourrait s’individualiser (la construction de leurs personnalités, sa distinction, sa différenciation) et se transformer. A cette fin, j’ai mis en évidence à travers les extraits de leurs récits les moments où ils parlent le plus de leurs symptômes (moi symptomatique), de leur héritage (moi d’héritage), ou de leurs remèdes (moi remède) on fonction du développement temporel de la découverte de leur maladie (symptôme-diagnostic-traitement).

Il s’agit, à ce stade de ma recherche, de vous faire enfin partager un moment de la vie de Thomas, de Fred, et de Clara. D’abord en expliquant comment se sont déroulés les récits, puis en explicitant la méthodologie adoptée pour les présenter.