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5. Démarche de recherche

5.3 Déroulement des entretiens

5.3.6 Les épreuves de Fred : son rapport aux institutions

L’institution scolaire : « C’est un gros nœud »

Pour Fred, ce sont des échecs à répétition, des « problèmes de pensée », de mémoire, l’école le plonge dans une profonde solitude et ne parvient pas à le faire s’exprimer, ni même s’épanouir. Il se retrouve en échec, encore et toujours en échec.

Alors voilà ce qui s’est passé, alors là c’est un gros nœud qui se passe que je vais dire maintenant.

C’est que j’étais en cycle d’orientation, et puis j’ai eu des problèmes au niveau des échecs, au niveau de la…, comment on dit ça ? Quand, j’étais en classe en septième année, j’ai dû doubler en fait en septième. (l. 159-163)

L’institution scolaire alternative : « j’étais assez enfermé »

Être sur un bateau à voile entre les Canaries, la Mauritanie et le Sénégal en

compagnie de 3 éducateurs et de 4 adolescents en difficulté scolaire. Faire l’école et la voile. Un dispositif dont Fred n’arrive pas à profiter, il se sent encore isolé, incapable de parler. C’est déjà là qu’il commence à se perdre en lui et dans ses

années

3 10 15 20 25 30 35

1980 1985

naissance 1986

5 141994 17Le retour en formation 2000

Arrêt de la scolari obligatoire 19991998 2001

Le multi service en institution

37

Trajets Centre pour l’ingration 38

Arcade 84

2014 2016 2018 2020

Centre Espoir-atelier polyvalent-cannage

18 19 21

1983Adoption par une famille suisse Accueil à l’école primaire 1995La croisière avec Solaris 1997Retour sur le lieu de naissance à Medellìn Apprenti cuisinier au SGIPA Arrêt de la formation, stage de surf Diagnostic, appartement indépendant 39

délires et à ressentir des symptômes de plus en plus forts de sa maladie. Son moi symptomatique prend le dessus.

je me concentrais plus au travail enfin à l’école, parce que j’avais des problèmes de pensées, des problèmes de mémoire qui sont venus. Et puis j’arrivais plus vraiment à être à l’école, j’étais plus concentré, j’étais ailleurs, je pensais à autre chose, c’est là que ça commençait à devenir un peu difficile, j’ai fini par aller au bord de mer, faire une croisière en bateau, en fait, avec des personnes de mon âge, donc des enfants plutôt adolescents, qu’étaient en difficulté scolaire. (l. 167-172) et puis j’ai dû faire un break parce que je me retrouvais plus à l’école, j’ai du faire ça pour le biais, pour me retrouver un petit peu un équilibre, et voilà j’étais parti en fait, (…) (l. 176-183)

J’ai eu un flash carrément (l. 185)

(…). C’était tout un apprentissage de connaître un petit peu ce milieu marin, et euh…, j’étais assez enfermé encore et puis voilà j’étais pas ouvert, sain d’esprit, j’étais complètement dans ma bulle, il y avait même à un moment donné la télévision suisse qu’était venu faire un reportage, et ça m’avait marqué, je voulais parler, mais j’arrivais pas à trouver les mots, je voulais tellement parler, mais pour moi c’était dans un moment difficile. Je pouvais même plus parler, en tout cas avec les autres oui, au niveau de, pour la télévision en elle-même j’arrivais plus.

Les cours de surf : « je suis parti en délire »

C’est là que les symptômes de Fred deviennent visibles, il a envie de « passer à l’acte », son cerveau « disjoncte », il voit Anamaria partout, il fait appel à un médecin qui lui fournit un diagnostic.

la fille que je voyais là-bas, je voyais l’image de ma Ana Maria en elle en fait. Et puis j’essayais de rentrer en contact et tout, mais. Elle parlait espagnol, mais je parlais pas très bien espagnol, et euh, j’avais un flash. Mais tout ce que je voulais s’était vraiment passer à l’acte directement avec elle, c’était une pulsion carrément, ouais, et puis là en plus de vivre le surf, ça m’a carrément tourné la tête et puis je suis parti en délire, quand je suis revenu à Genève ouais. J’ai eu des bourdonnements à la tête, des palpitations dans le cerveau et puis j’avais comme une sorte de migraine, qui était resté un certain temps et puis euh, j’ai dû faire appel à un médecin et puis euh, le diagnostic il est tombé quoi ! (l. 753-760)

L’institution familiale : « il faut que tu ailles consulter je te reconnais plus » La mère d’adoption de Fred est désarmée, lui demande d’aller consulter. Fred est déjà sous curatelle, c’est donc qu’il avait des difficultés qui ont fini par s’accentuer.

Les remèdes d’aide et d’appui de ses parents ne fonctionnent plus. Il faut prendre des médicaments, un traitement à vie.

Ma mère qui m’a dit quand je suis rentré du voyage du stage de surf, quand je suis revenu à Genève je disais maman c’est super là-bas, j’ai adoré, je voulais rester là-bas, j’en ai marre de Genève, je voulais rester là-bas, de refaire du surf et de plus revenir, j’ai eu toute une discussion là-dessus puis elle m’a dit non là Fred il faut que tu ailles consulter je te reconnais plus.(…).Elle m’a dit ça ouais, et puis du coup ben voilà quoi, j’ai été consulter puis je dois prendre des

médicaments. Que je suis toujours d’ailleurs en médication. (l. 783-789)

ben en fait, c’est euh, j’étais sous curatelle déjà à l’époque. Ben parce que en fait j’arrivais pas à gérer mes papiers, à recevoir puis à envoyer les papiers, à l’époque. (l. 636-640).

donc ouais, j’étais un petit peu presque en transe quelque part, c’est à ce moment-là que j’ai fait

aussi un autre truc, mais, le système déclencheur je sais pas quand ça a commencé, mais en tout cas je sais que, voilà j’ai un problème de santé à ce moment-là ouais, qui s’est déclenché (l. 656-659).

Fred perd peu à peu de son autonomie mais grâce à ses parents et ses proches il ne sombre pas dans la précarité. Son moi est angoissé, la maladie, les médecins, ses proches lui « dictent » une partie de sa vie.

Ben j’ai une schizophrénie (l. 661)

F : euh, moi j’ai toujours ces angoisses qui sont là, des fois.

P : ah ouais ?

F : des fois, ben je sais pas, c’est la maladie qui fait qu’on va interpréter différemment, mais euh, c’est la maladie qui dicte malheureusement. (l. 696-704)

L’institution médicale : « je regardais bien la notice d’emballage »

Je sens, lorsque j’écoute Fred, que son médecin a fourni peu d’explications sur ses médicaments, ou que Fred a conscience que les neuroleptiques n’ont rien d’anodin.

Il a grossi, comme c’était prévisible.

et ça les médicaments ça été difficile et délicat de commencer à les prendre ?

F : ouais, je me posais la question, voilà qu’est-ce que ça va me faire ? Est-ce que j’aurai des vomissements ? Est-ce que je vais avoir des malaises ? Je regardais bien la notice d’emballage puis bon, tout s’est bien passé en fait.

P : et ils ont changé, trouvé d’autres choses ? Ils ont adapté ou est-ce que c’était bien dès le départ ?

F : ça a été bien dès le départ, mais euh y a un bémol c’est que ça m’avait fait prendre du poids, la plupart des médics c’est vrai que ça peut faire augmenter le poids.

P : c’est des neuroleptiques que tu prends ? F : c’est ça ouais.(l. 788-799)

« Des interprétations », voilà comment Fred parle de son moi symptomatique qui le fait agir à l’encontre des prescriptions médicales établies par le psychiatre. Les neuroleptiques ne font pas tout, et Fred a le sentiment que sa vie est un échec,

« une défaite », une décapitation, « un couperet », il doit en plus comme tout le monde faire face à des stress, des pensées négatives : et si la médecine avait tort ? Eux aussi interprètent. Mais quelques calmants et des séances régulières avec sa thérapeute lui permettent de ne pas être trop privé de sa liberté et de ne pas être tourmenté par ses symptômes.

C’est vrai que j’essaye de suivre un petit peu la médication, mais ça peut m’arriver d’avoir des interprétations évidemment, ça m’arrive de temps en temps de prendre du Temesta ça m’empêche d’avoir de trop grosses pensées négatives quoi et de vivre un stress. (l. 812-818) ben en fait j’accepte malgré tout la défaite comment si on peut dire, je voulais pas le croire, je l’ai pris comme ça comme un couperet, je l’ai accepté, comme un échec quand même, c’était pas évident de se faire voir de cette manière-là après la médecine comment les autres y peuvent interpréter ça de leur côté, ouais. (l. 833-834)

euh, ben, en fait euh, il me propose de continuer la séance régulièrement en fait avec elle, c’était une doctoresse. (l. 833-834)

Tableau 14: Évaluation des dispositifs en fonction de l’appréciation de Fred Symptômes Le logement La voile (solaris)

Stage surf L’école

Le père

Diagnostic Le médecin Le travail

Traitement Lieu de rencontre

Ateliers protégés

Psychiatre/médicament/ Temesta Le travail La famille

Il y a d’abord une prise de distance par rapport aux institutions scolaires, qui n’ont fait qu’accentuer le sentiment d’échec de Fred. Même les solutions proposées par des dispositifs alternatifs n’ont eu que peu de résultats sur le développement de son moi symptomatique.

Pour Fred, l’épreuve de la connaissance de l’héritage maternel est difficile. Mais il ne peut que s’y réfugier pour comprendre ce qui lui arrive, de son moi symptomatique en lien avec son moi d’héritage.

Ses parents adoptifs le soutiennent pour obtenir un logement protégé, le médecin trouve une médication adaptée. Les ateliers protégés en multiservice ne

fonctionnent pas sur la durée. Il a des symptômes de son corps qui l’empêchent de rester dans la même activité.

L’incapacité héritée de la mère : « donc je pense qu’elle a la schizophrénie, c’est sûr »

La mère biologique de Fred était malade, comme Fred me le dit, atteinte du même mal incurable que lui. C’est une schizophrénie qu’il a héritée d’elle selon lui. Mais Fred ne l’a jamais connue, il n’a entendu que des rumeurs. C’est elle qui aurait déjà fait mourir trois de ses frères et sœurs avant sa naissance à Medellín, en Colombie.

Non parce qu’en fait ce qui se passe c’est que ma mère biologique elle était, elle était incapable, enfin elle était malade, elle était ce qu’on appelle une malade une mère in… comment on dit ça ? Qu’était malade, euh, j’ai un blanc, mais elle avait aussi une maladie comme moi en fait quoi, donc elle était, donc je pense qu’elle a la schizophrénie, c’est sûr. Pour ça que j’ai hérité de cette

maladie. Et euh ce qui n’est pas simple de vivre avec ça d’ailleurs. (l. 684-689)

Fred : parce que ma mère, en fait elle s’occupait pas, des enfants qu’elle faisait et puis j’ai été mis à l’abandon, parmi les autres qui sont plus là, d’ailleurs de ce monde.

Pierre : Ah tu sais ça aussi.

Fred : mouais.

P : D’accord, t’as eu des frères et sœurs ?

F : Trois frères qui sont décédés directement et puis, ben j’ai, voilà quoi, j’ai appris ça par la suite.

P : T’as été sauvé ?

F : Voilà, sauvé par le gong. (l. 30-38)

Remarque :

A titre d’information, concernant la schizophrénie, les dernières études publiées montrent qu’il y aurait effectivement un lien génétique possible et donc une hérédité de la maladie.28 Ce n’est néanmoins pas le seul facteur et l’environnement (donc des facteurs psychosociaux) serait aussi à l’œuvre. Si quelqu’un est ou a été

schizophrène dans votre famille, il y a plus de risque que vous le soyez vous-mêmes. Fred et Clara parlent tous les deux de leur hérédité génétique en lien avec la schizophrénie.

On parle de gène de vulnérabilité29, bien loin de la notion de « mauvais » gènes.